Alors que notre pays est pointé du doigt à l’étranger, la majorité fédérale va voler au secours de Molenbeek et pister les djihadistes avec un bracelet électronique. Le Premier ministre est à la recherche d’une improbable unité nationale.
Les journées folles suivant les attentats de Paris ont tristement placé la Belgique sur la carte du monde : c’est chez nous que ces attaques ont été en grande partie préparées. Tout entier absorbé en début de semaine par la chasse à l’ennemi numéro un, Salah Abdeslam, le gouvernement fédéral ne pouvait toutefois pas rester sans apporter de réponses nouvelles. » Les nuits ont été très courtes « , reconnaît-on au 16. » Avec ce qui s’est passé à Paris, nous sommes passés dans un autre registre « , insiste le Premier ministre MR, Charles Michel. » Une question me taraude : comment ces types ont-ils pu échapper à notre radar ? « , clame à nos confrères de Knack son vice-Premier N-VA Jan Jambon. Autoproclamé gouvernement de la rupture et de la solution, l’équipe dominée par les libéraux et les nationalistes vit son épreuve de vérité. Elle doit affirmer sa détermination.
Ce jeudi 19 novembre, lors d’une séance plénière extraordinaire à la Chambre, Charles Michel a lancé un appel à l’union nationale et au rassemblement de toutes les forces vives de la société. » Il faut une mobilisation totale, avec une approche globale « , plaide-t-il en continu. Une sollicitation quelque peu entachée par les polémiques relatives aux responsabilités antérieures, notamment au sujet de la situation à Molenbeek. » Quand le Premier ministre a affirmé d’emblée qu’il s’emploie à corriger les erreurs du passé, c’est un peu court et pas du tout à la hauteur de la situation, regrette Georges Dallemagne, député CDH, spécialiste de la question terroriste. Il ne faut pas oublier que le MR est au pouvoir fédéral sans discontinuer depuis seize ans ! » La Belgique, ajoute-t-il, a » perdu du temps » dans la mise en place de son arsenal répressif et préventif. Même si son parti, comme d’autres, pourrait néanmoins soutenir quelques décisions gouvernementales.
Concrètement, le gouvernement va donner un nouveau coup d’accélérateur dans l’application des douze mesures adoptées à la suite des attentats de Charlie Hebdo, après avoir annoncé, le 17 novembre, le déploiement de trois cents militaires supplémentaires dans les rues. » Dès janvier, on a déjà pris le problème terroriste à bras-le-corps en interdisant notamment les départs en Syrie, dit-on au sein de la majorité. Avec des effets concrets : septante personnes ont été empêchées de se rendre là-bas. » Mais cela reste insuffisant. Dans la nouvelle vague d’actions en préparation, Molenbeek et les returnees occuperont une place centrale.
Un plan » pluridisciplinaire » pour Molenbeek
Depuis le 14 novembre, la presse du monde entier déferle sur Molenbeek, base arrière des kamikazes de Paris. Jan Jambon a annoncé son intention de » faire le ménage » dans la commune bruxelloise, non sans charger l’héritage des années Moureaux empreintes de » laxisme « . Mais encore ? Le 16 novembre, le Premier ministre réunit la bourgmestre Françoise Schepmans (MR), en compagnie de ses collègues de l’Intérieur et de la Justice (Koen Geens, CD&V). La volonté consiste bien à présenter rapidement un plan d’action pour cette commune délaissée.
» Nous avons besoin d’une approche pluridisciplinaire, souligne Françoise Schepmans. Une des difficultés, c’est que parmi ces radicaux, il y a des jeunes très proches de la délinquance, de trafics en tous genres, de drogue, d’armes… Nous ne parviendrons à éliminer le djihadisme violent qu’en luttant contre tous ces phénomènes omniprésents dans la commune. » Concrètement, Molenbeek a déjà reçu un appui one shot de 150 millions d’euros pour la prévention en octobre, mais espère un soutien structurel. » Nous avons demandé des moyens supplémentaires, y compris au niveau humain, précise Françoise Schepmans. Nous verrons ce qui est possible. » » Nous ne voulons pas faire un plan de com’ gadget, mais travailler sur le fond du problème « , précise-t-on au 16.
Une certitude : le fédéral entend s’occuper du problème molenbeekois en s’inspirant de l’exemple anversois où les départs vers la Syrie ont été pratiquement éradiqués par la méthode musclée de la N-VA. Voilà pour le message. La concrétisation sera certainement plus ardue.
Le bracelet électronique pour les combattants
L’ancien président français Nicolas Sarkozy a fait du suivi des combattants revenus de Syrie l’une de ses principales revendications au lendemain des attentats de Paris. Ce sont eux qui, trop souvent, sont à la source des attentats. Didier Reynders, ministre MR des Affaires étrangères, relaie l’idée : » Je ne demande pas de mettre ces jeunes dans des centres ou en prison, mais au moins un suivi électronique ou une capacité de les suivre précisément. » La piste suivie en Belgique est effectivement la possibilité de tracer les returnees par l’entremise d’un bracelet électronique.
Très concrètement, Le Vif/ L’Express est en possession du texte de loi qui devrait être déposé soit par le gouvernement, soit par le MR via une initiative parlementaire. Il avait été rédigé le 15 janvier 2015 par Denis Ducarme, chef de groupe MR à la Chambre et spécialiste des questions terroristes. A l’époque, on avait raillé son initiative, y compris à l’intérieur de son parti. Aujourd’hui, l’idée semble s’imposer, même si les modalités pratiques restent délicates à déterminer.
Préambule du texte ? » La présente proposition de loi entend agir avant, pendant et après la condamnation d’une personne coupable d’une infraction terroriste. » Concrètement, il s’agirait de systématiser l’obligation de mise à disposition du tribunal d’application des peines par le juge pénal chaque fois qu’il condamne une personne ayant perpétré ou tenté de perpétrer un attentat. Surtout, l’intention est de généraliser le recours au bracelet électronique, y compris en cas d’inculpation, mais pas de détention préventive. » C’est une nécessité, approuve Georges Dallemagne. Aujourd’hui, nos services sont dans l’impossibilité de suivre ces personnes. Il faudrait vingt-cinq policiers par returnee pour y arriver. »
La traque des » prédicateurs de haine »
Charles Michel l’a annoncé par ailleurs : » Il faut combattre les prédicateurs de haine, combattre quiconque protège ceux et celles qui appellent à la violence et au radicalisme. Je rappelle que c’est ce gouvernement qui a été le premier à expulser des prédicateurs religieux extrémistes ou à empêcher qu’ils viennent sur notre territoire. On doit faire encore plus et continuer dans cette direction-là. » Des expulsions d’imams, comme le secrétaire d’Etat Theo Francken (N-VA) en avait déjà annoncées cet été, sont prévisibles.
» J’ai mené pour mon parti une grande enquête en interrogeant tous les acteurs concernés et la grande inquiétude, c’est la mainmise des milieux salafistes et des Frères musulmans sur ces quartiers bruxellois, acquiesce Georges Dallemagne. Cela ne passe pas seulement par les mosquées, c’est sûr, mais cela reste un élément de diffusion de ces idées. Nous devons aussi faire monter en puissance la voix de penseurs laïques, ouverts, tolérants pour faire contrepoids. »
Là encore, ce sera une oeuvre de longue haleine, à l’heure où les idées se diffusent via Internet. » Aujourd’hui, elles se véhiculent de proche en proche, d’une maison à l’autre « , souligne même le député Ecolo Benoit Hellings. Traduction : plus que jamais, un travail social de proximité s’impose dans les quartiers.
Des méthodes particulières et des moyens supplémentaires
Bart De Wever, président de la N-VA, n’en est pas à une provocation près dans ces contextes de tension. Dans une réaction à la Gazet van Antwerpen, il a proposé de » supprimer le Sénat pour investir cet argent dans la Sûreté de l’Etat « . » Profiter des événements tragiques de Paris pour en revenir à ses propres fixations communautaires est particulièrement malvenu « , s’est irritée la présidente de la Haute Assemblée, Christine Defraigne (MR). Qui assène : » Bart De Wever est plus intelligent que ces propos populistes. » Rideau.
Plus fondamentalement, le leader nationaliste insiste sur l’importance de l’extension des méthodes particulières de recherche (écoutes téléphoniques, filatures… ) et évoque même la nécessité de les étendre au niveau des polices locales. Une nécessité, à l’heure où les failles de nos renseignements ont été exposées au grand jour, avec une enquête du Comité R à la clé. » Ces méthodes particulières de recherches ont été élargies pour les infractions terroristes, cela, c’est déjà fait dans le cadre des douze mesures du début de l’année « , précise le libéral Denis Ducarme.
Par contre, le débat sur le manque de moyens de nos services de renseignement, de sécurité et de défense va connaître de nouvelles heures chaudes au Parlement. » La situation est très préoccupante, insiste Georges Dallemagne. Le cadre de la Sûreté de l’Etat est largement insuffisant, il manque des moyens pour une centaine de personnes. Les quinze magistrats antiterroristes fédéraux sont totalement absorbés par les affaires en cours et ne peuvent plus en traiter d’autres. Notre défense est obsolète, c’est une honte absolue. Nous n’avons plus que 8 militaires en opération sur les 118 000 casques bleus déployés dans le monde. Nous menons la guerre par intermittence, c’est loufoque, alors que nous vivons une des périodes les plus dangereuses de l’après-guerre ! »
Le gouvernement rappelle que 40 millions d’euros supplémentaires ont été débloqués en juin pour lutter contre le terrorisme. Les fonctions régaliennes de l’Etat constituent la priorité absolue du moment, avec la création d’emplois. » Mais ne nous trompons pas : le contexte budgétaire est délicat. »
Lever tous les tabous
Au coeur d’un monde politique extrêmement polarisé du côté francophone, entre le gouvernement fédéral au centre-droit et les majorités régionales à gauche, un effort devrait être fait pour unir tous les efforts dans le cadre de cette lutte plurielle. » Nous plaidons pour une vision stratégique interfédérale, concertée et coordonnée entre tous les niveaux de pouvoir « , déclare Georges Dallemagne. » C’est un chantier, notamment en matière de prévention, mais nous ne savons pas encore quelle forme cela va prendre « , précise-t-on dans la majorité.
» Il faut lever tous les tabous, insiste Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo à la Chambre. Nous devons également prendre à bras-le-corps le trafic d’armes dans notre pays et le financement de ces réseaux djihadistes. Sans hésiter à remettre en question nos relations avec certains pays comme l’Arabie saoudite. » Le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, a déjà évoqué avec son homologue français la nécessité d’une plus grande coopération européenne dans la lutte contre le trafic d’armes.
Dans ce cortège de mesures, il ne faut toutefois pas oublier l’essentiel : la résistance de fond, la défense de nos valeurs. » Il faut continuer à vivre normalement « , martèle le Premier ministre. Même si l’annulation du match Belgique- Espagne, qui devait se dérouler au stade Roi Baudouin le 17 novembre, a donné un signal d’une autre nature. » On a préféré la certitude à l’incertitude « , selon les termes de Jan Jambon.
Alors, tandis que la Belgique se prépare à serrer une nouvelle fois la vis, résonnent les termes de la lettre rédigée par l’écrivain-star flamand David Van Reybrouck au président François Hollande, au lendemain de son discours guerrier postattentats : » Il existe d’autres formes de fermeté que celle de la langue de la guerre. Immédiatement après les attentats en Norvège, le Premier Stoltenberg a plaidé sans détours pour « plus de démocratie, plus d’ouverture, plus de participation ». Votre discours fait référence à la liberté. Il aurait aussi pu parler des deux autres valeurs de la République française : l’égalité et la fraternité. Il me semble que nous en avons plus besoin en ce moment que de votre douteuse rhétorique de guerre. »
Un message qui devra également faire son chemin dans cette Belgique en quête d’une improbable unité nationale.
Par Olivier Mouton
» Nous menons la guerre par intermittence, c’est loufoque, alors que nous vivons une période très dangereuse »