De l’utilisation massive des réseaux sociaux au buzz du panda, du signe V aux nains jaunes, rien n’a été laissé au hasard dans la campagne électorale de la N-VA. Plongée dans les coulisses d’une redoutable stratégie, avec, à la manoeuvre, le communicant Erik Saelens.
Le courriel tombe dans sa messagerie le 18 juin 2013 : » Cher Erik, Est-il possible d’avoir une conversation exploratoire avec vous sur la préparation de notre campagne électorale ? » Le message est signé Piet De Zaeger, directeur général de la N-VA. Ainsi démarre une collaboration de onze mois pendant laquelle Erik Saelens, patron de l’agence de marketing Brandhome, va imaginer et mettre en place la pré-campagne, puis la campagne de la N-VA dans la perspective du scrutin du 25 mai 2014. Avec le succès que l’on sait.
Lorsqu’il reçoit, à titre exploratoire, l’état-major de la N-VA dans les bureaux de son agence anversoise, Erik Saelens est de suite mis au parfum (1). Le but du parti est simple : il vise plus de 30 % des voix. » Personne ne doit être en mesure de nous approcher, exposent calmement Piet De Zaeger, Joachim Pohlmann, porte-parole national, et Nele Hiers, responsable de la communication. Nous ne voulons pas gagner puis être à nouveau écartés du pouvoir. » La réunion est bouclée en une heure et tout est dit. Le temps est compté.
Le message du président Bart De Wever, un an plus tôt, était le même, dans le cadre du scrutin communal. » Je veux changer la façon de faire de la politique, avait-il déclaré. Et pour cela, d’abord on prend Anvers, ensuite, Bruxelles. »
Erik Saelens, qui ne cache pas sa sympathie pour le parti nationaliste, se met alors à peser le pour et le contre d’une possible collaboration. Il a onze mois devant lui pour réussir à imposer un message. Et un agenda.
Difficile pour cet expert en marques de faire fi de l’avertissement que lui a adressé Piet De Zaeger. » Si vous travaillez avec nous, vous devez vous préparer à des réactions négatives, dures, brutales et personnelles. Il me semble correct de vous en informer. Cela dit, quand pouvez-vous commencer ? »
Immédiatement, même si aucun contrat n’est encore signé. On est entre gens de confiance. La petite équipe de Brandhome – cinq personnes, plus quelques créatifs – est informée du projet, sous le sceau de la confidentialité.
Alors, au travail ! Le 7 juillet, Erik Saelens fait une première proposition d’axes de campagne, en quatre pages, autour du concept du » pouvoir du changement « . La décision est prise, dans la foulée, d’imposer à tous les représentants du parti de parler d’une seule voix jusqu’aux élections. Et de ne jamais répliquer aux attaques. » Chaque fois que vous réagissez, écrit Erik Saelens, vous alimentez vos adversaires politiques pour leurs prochaines attaques. »
Le V de la victoire escomptée
Un jour, Piet De Zaeger interpelle le patron de Brandhome. » Nous avons besoin d’une image qui exprime le changement, indique-t-il. Quelque chose qui frappe les esprits et puisse être utilisé dans tous les modes d’expression. A toi de trouver l’idée, Erik. »
De fait. Chez Brandhome, l’équipe se met cogiter autour du concept de changement. Sur une feuille, le patron de l’agence a dessiné un V. Le V de Winston Churchill, celui de la victoire. La lettre ne convainc pas l’auteur du dessin. Cliché, déjà vu, déjà récupéré… Erik Saelens imagine Bart De Wever, debout sur un podium, faisant le même signe que les hippies des années 1960. Quel type de message enverrait le parti en s’assimilant à ces chevelus ? La réflexion se poursuit. Les collaborateurs de Brandhome se mettent à chercher sur le Net toutes les connotations, positives ou négatives, liées au V. Rien de contrariant. L’équipe tient une piste, elle ne la lâchera pas.
Pendant ce temps, la réflexion sur le slogan de campagne se poursuit. Lors d’une réunion, le concept de » progrès » fait soudain irruption dans la conversation. Changement et progrès sont évidemment liés : si l’on change, c’est pour améliorer les choses. Erik Saelens se tape le front. Comment n’y a-t-il pas pensé plus tôt ? D’autant que les deux concepts commencent, en néerlandais, par la lettre V (verandering-vooruitgang)…
A la tête de la N-VA, le slogan » le changement pour le progrès » est immédiatement approuvé. » Il nous place à l’exact opposé du vieux modèle politique qu’incarne le Parti socialiste, se réjouit Piet De Zaeger. Du coup, nous apparaissons comme « nouveaux » et eux, comme « vieux ». Nous voulons le changement ; eux, le conservatisme. » Sans attendre, le slogan est déposé et enregistré. Idem avec tous les noms de domaine qui pourraient être utiles : changeforprogress.be, changingforprogress.net… Désormais, ils sont à eux.
A la même époque, Bart De Wever suit un régime drastique et efficace. Qu’il l’ait ou non voulu, le président incarne plus que jamais le slogan de son parti. Il prouve qu’un changement a priori impossible à réaliser, comme perdre 60 kilos, peut se produire. Le stratège qu’est Erik Saelens s’interroge : serait-il pertinent d’utiliser le régime réussi de Bart pour la campagne ? C’est tentant. Aux Etats-Unis, personne n’aurait hésité. Mais en Belgique… On a déjà tant parlé de ce régime ! » Il ne faut pas en faire trop, pense Erik Saelens. Et puis, en termes de contenu, c’est un peu court. » L’idée est aussitôt enterrée.
Vingt-cinq engagements
Pour expliciter son programme, le parti décide de présenter aux électeurs vingt-cinq » engagements » – et surtout pas des » promesses » électorales. Engagements, en néerlandais, se dit » verbintenissen « . Encore un mot en V ! Ces engagements seront l’objet de capsules vidéo dans lesquelles vingt-cinq membres de la N-VA et vingt-cinq responsables du parti prendront la parole, chaque fois sur une thématique spécifique. Sur papier, l’idée se tient. Mais quand il s’agit de trouver une agence média pour prendre le relais, aucune n’est partante. Quelques centaines de milliers d’euros sont pourtant en jeu. Personne n’en veut. Contactés un à un, les diffuseurs radio et télé flamands, publics et privés, refusent également de participer au projet. La campagne, audacieuse par la force des choses, se déroulera donc sur le Web et les médias sociaux.
Sans attendre, la N-VA investit massivement ces réseaux sociaux, où elle espère capter les électeurs indécis. Dans cet esprit, le site Web du parti sera la plaque tournante de la campagne électorale. En présentant ses engagements sous forme de films, le parti nationaliste incite les électeurs à se rendre sur le site. L’opération est d’autant plus prometteuse que sur les médias sociaux, les gens sont plus enclins à faire circuler des liens vers des images que vers des textes.
En cette période délicate de pré-scrutin, la N-VA est, sur le fond, particulièrement attentive à ne heurter personne : elle ne veut pas polariser les opinions. Ce n’est pas elle qui allumera les feux, les autres partis, estime-t-elle, s’en chargeront. Le parti de Bart De Wever, qui pense déjà à l’après-mai 2014, tente aussi de modifier son image auprès de ses potentiels futurs partenaires. En d’autres mots, de se rendre fréquentable. La tâche est rude puisqu’au même moment, Charles Michel, chef de file MR, crache sa haine du nationalisme sur les ondes…
De l’utilité du gnome
C’est alors que surgissent les nains. A l’origine oeuvres d’art signées par l’artiste allemand Ottmar Hörl, ils vont venir pimenter la campagne sans que nul ne les ait vraiment vu venir. Plusieurs d’entre eux vivaient jusque-là paisiblement dans les bureaux de Brandhome : les uns dévoilant élégamment un doigt d’honneur, les autres faisant de la main droite… le signe de la victoire.
Sans savoir l’usage qui en sera fait, Erik Saelens emporte les seconds sur le lieu de la Convention du parti, à Anvers, quelques jours avant son lancement. Il choisit les modèles jaunes, plus quelques rouges et quelques noirs, pour faire bonne figure. Les farfadets ne savent pas encore que leur heure de gloire est venue. Séduit, Bart De Wever en brandira un à la tribune, devant 4 000 sympathisants en délire. Le cocktail idéal en termes de marketing : un nain de jardin moderne et jaune, faisant le V de la victoire, une campagne dans laquelle le V est central, un parti politique qui montre qu’il a de l’humour et un président de parti capable de faire verbalement le lien entre tous ces éléments. L’image fait le tour des réseaux sociaux.
Lors de la même Convention du parti, à la fin du mois de janvier 2014, la pré-campagne est lancée. Avec succès. Les adhérents, encouragés à visionner les vidéos et à liker en masse la page Facebook du parti, ne se font pas prier. Et le système Thunderclap, qui permet d’envoyer un seul message, en un coup, sur les réseaux de tous membres, ne loupe pas son objectif. Sachant que via 500 membres de la N-VA, 100 000 personnes sont contactées, l’impact de cet envoi collectif de messages unique peut être considérable. Ce jour-là, 4 000 personnes sont présentes…
Sans que ces personnes le sachent, chacune de ces actions en ligne est épluchée par l’équipe des communicants, modifiée, confirmée ou abandonnée, selon son succès. L’état-major de campagne a en effet mis au point un tableau de bord online, qui lui permet de suivre par le menu chaque opération lancée. » Ce tableau de bord est notre arme secrète, résume Erik Saelens. Il nous donnera un avantage définitif. »
Dimanche 2 février. Le placement des capsules vidéo sur le Net a été savamment pensé. Brandhome et la direction de la N-VA ont décidé de mettre en ligne en premier lieu, ce jour-là, le film axé sur l’engagement 8 : » Je veux me sentir en sécurité, avec une police forte et des sanctions effectives. » C’est la militante N-VA Kris Matheussen, mère au foyer, qui y prend la parole. Brillante idée : dès le 3 février, ce clip fait la Une en radio et dans la presse du nord du pays. En 72 heures, soixante parodies de ce témoignage fleurissent sur le Web. Erik Saelens se frotte les mains : ses opposants assurent sa campagne.
Seule Kris Matheussen, meurtrie d’être la risée du Web, vit mal ce début de campagne. Pendant quelques jours, deux membres de l’état-major de la N-VA sont dépêchés auprès d’elle pour la conseiller dans cette situation particulière. Dans les jours qui suivent, le nombre de vues sur le site du parti explose, comme le nombre de like sur la page Facebook. Les spécialistes du marketing et de la pub se fendent de commentaires dénigrants sur les films. En pure perte.
Alors que la Convention de la N-VA vient de s’achever, dans les autres partis, on n’observe toujours aucune activité de campagne : comme le prévoyait la direction du parti nationaliste, ils attendent le plus longtemps possible pour se lancer, comme d’habitude. Mais longtemps, c’est parfois trop tard.
Le panda en rajoute une couche
A la mi-mars, Bart De Wever est invité à présenter un gala télévisé qui récompense les émissions les plus populaires en Flandre. En pleine polémique sur le prêt de deux pandas au parc (wallon) Pairi Daiza, le président de la N-VA s’y présente déguisé… en panda. Les organisateurs lui avaient donné carte blanche. Ce qui n’était pas prévu, c’est qu’il tombe de la scène. Dans son discours, humoristique et intégrant sa malencontreuse chute, Bart lance une flèche à Elio Di Rupo, alors Premier ministre, avant de déchirer l’enveloppe contenant le nom du vainqueur. Là encore, les images feront la Une. » Cette prestation ne faisait pas partie de la stratégie, affirme Erik Staelens. C’est une idée de Bart. Je n’étais pas prévenu. Mais c’est un vrai cadeau. »
Le temps file. Le 15 mai, Jean-Luc Dehaene décède. La campagne électorale est gelée. Les débats politiques prévus sont annulés et n’auront jamais lieu.
Le soir du 25 mai, la N-VA obtient 32,4 % des voix. » Le Flamand est un vengeur silencieux, avait un jour confié Bart De Wever à Erik Saelens. Il peut rester calme pendant un temps incroyablement long, aussi calme qu’une souris, mais à un moment, toute cette rage rentrée explose. Et la souris se transforme en lion. Je pense que ce moment est venu. Les Flamands veulent envoyer un message clair : ça ne peut plus durer. C’est ce que j’espère et c’est ce que j’attends. Ensuite, nous verrons comment prendre ce bastion parce que même après les élections, tout le monde sera mobilisé contre nous pour nous maintenir en dehors du gouvernement, certainement au niveau fédéral. »
(1) Branded, par Erik Saelens. Disponible sur le site http://www.branded.lu
Par Laurence van Ruymbeke