A l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort, Le Vif/L’Express publie des documents inédits, extraits du livre Coluche, un mec libre (à paraître chez Textuel). Du gamin de Montrouge à l' » enfoiré « , histoires en images commentées par Véronique Colucci, sa femme
Vingt ans après sa disparition – le 19 juin 1986, à l’âge de 41 ans – Coluche est toujours vivant. Si l’on regarde à la loupe l’ascension de cet enfant de Montrouge, orphelin de père (d’origine italienne), on se rend compte que tout s’est joué pour lui en une dizaine d’années : le music-hall, le cinéma, la politique, les Restos du c£ur et le choc fatal avec un poids lourd sur une route du Midià
Michel Colucci, qui avait choisi un nom de clown rimant avec coqueluche, a exercé tous les petits métiers de Paris (garçon de café, barman, fleuriste) au creux des années 1960. Dans les années 1970, il inaugure la vague du café-théâtre avec la bande du Splendid et celle du café de la Gare. Sa troupe s’appelle Au vrai chic parisien-Théâtre vulgaire. La télévision le cueille pile à l’heure de la présidentielle de 1974, où son sketch L’Histoire d’un mec fait mouche. En 1975, c’est le Schmilblickà Il marche alors dans l’ombre de Fernand Raynaud. Gros dégueulasse, poète urbain, bouffon de la République, il invente un personnage. Son humour grinçant et provocant se cale sur un sens aigu de la repartie et des associations d’idées intempestives. Coluche devient le haut-parleur de la vox populi.
Il tacle tous azimuts : le Français râleur, le ministre, le CRS, l’ancien combattant, le curé, la veuve de guerreà Coluche se présente même aux » érections pestilentielles » de 1981, où il oppose sa » farce tranquille » aux slogans des autres candidats. Dans les rues, une partie de la France parle le Coluche. L’autre tire à vue sur l' » enfoiré « . Censuré, menacé de mort, il se retire un temps à la Guadeloupe et s’adonne à son hobby : fabriquer des chaussures. Le cinéma découvre son profil dramatique avec Tchao Pantin, qui lui rapporte le césar de la consécration. » Je ne crois pas qu’on se souviendra de moi, disait-il. Y a de moins en moins de cons qu’ont connu Napoléon. » Coluche avait tort. Les hommages pleuvent.
Coluche, un mec libre, le livre de Laurent Balandras et de Fabienne Waks, sortira le 29 septembre prochain aux éditions Textuel. Pour l’occasion, sa femme, Véronique Colucci, commente ces documents inédits.
C’est un rocker
» Elvis, Johnny, Eddy, Dick Rivers le fascinaient. A l’époque, dans les années 1960, il s’était fabriqué une guitare tellement lourde qu’il fallait être deux pour la soulever. Quand il a décidé de devenir comédien, il est allé au Champo (cinéma du Quartier latin) et a demandé avec ingénuité des conseils à la caissière. Ensuite, vers 20 ans, il a vu tous les films avec Ava Gardner et avec Liz Taylor, dont il affirmait avoir piqué des regardsà «
Sourire à 10 ans
» Michel n’était pas nostalgique de son enfance, qui avait été heureuse, bien que marquée par les problèmes de santé de sa mère. En fait, il n’évoquait pas trop ces années-là et citait parfois le nom de telle ou telle famille du quartier ou une anecdote sur ses mauvaises chaussures. En revanche, il était resté « très enfantin » dans son comportement. C’était quelqu’un de spontané, de nature, qui, pareil aux mômes, disait la vérité sans fard. »
Monette, sa mère
» Sa tendresse pour elle était magnifique. Il tournait à l’humour tous ses travers, et Monette l’acceptait volontiers, car elle l’admirait. En cela, Jamel me rappelle un peu Coluche, même si je ne suis pas là pour délivrer des certificatsà Michel était fidèle à Montrouge, au garage des copains, à cette banlieue qui l’avait nourri. Il n’a jamais coupé les racines. Sa fameuse phrase « Je ne suis pas un nouveau riche, mais un ancien pauvre » résume bien son attitude. «
Et aussi
Livres : Coluche. L’aristo du c£ur, par Sam Bernett. Albin Michel, 104 p. Le Best of Coluche (avec des pensées inédites). Le Cherche Midi, 240 p. Coluche. L’histoire d’un mec, par Philippe Boggio (nouvelle édition). Flammarion, 500 p.
BD : Coluche, par Baru, Edika, Goossens, Danyà Soleil, 80 p.
DVD : Coluche. Ses plus grands sketchs. TF1 Vidéo, coffret de 3 disques.
L’après-Mai 68
» Avec deux amis, Alain et France Pellet, Michel avait formé le trio des Tournesols, qui reprenait des chants baroques du xve et du xvie siècle italien. L’écriture, l’inversion des phrases, le jeu sur les rimes l’intéressaient, d’où son amour de Brassens, Lapointe, Bruant, Ferré, Vian, Ogeretà »
Ses cahiers privés
» Il avait écrit un scénario jamais tourné, inspiré d’histoires vécues dans son enfance. Des gamins de banlieue viennent à Paris et commettent de petits larcins. Michel, qui avait travaillé quai aux Fleurs, à Paris, avait vu un Américain, une liasse de dollars à la main, ouvrir toutes les cages du marché aux oiseaux avant de se faire arracher les billets par de petits marlous. C’est Les Quatre Cents Coups, c’est Paris, je t’aime. Coluche avait une écriture très posée, qu’il couchait dans de grands cahiers à spirale. Il jouait des couleurs et s’en servait pour ses sketchs. Ses fautes d’orthographe comme « des arbrent », par exemple, sont presque des prises de position. Il s’en fichait complètement. «
Table ouverte rue Gazan
» Vers 1979, j’ai dressé d’immenses tablées dans notre maison du XIVe arrondissement. Les copains jaillissaient à toute heure du jour et de la nuit. Le show-biz, le café-théâtre, la politique, le sport et les médias festoyaient ensemble. Hara-Kiri finissait là ses soirées de bouclage. Tout était prétexte au jeu. Il y avait d’ailleurs une table de ping-pong, un flipper, un billard. Coluche trouvait son inspiration dans cette agitation. Gérard Lanvin et son ami Jeanjean lui fournissaient aussi beaucoup d’idées pour son émission sur Europe 1. Coluche était très sensitif, toujours sur le qui-vive, comme un joueur d’échecs. «
La censure
» Après son renvoi de RMC, il a eu droit à cette page de Louis Pauwels. Michel lui a envoyé des fleurs et il a reçu en retour cette carte de visite très fair-play. Il regardait toute cette presse hostile avec beaucoup de cynisme et mesurait les articles au centimètre. La campagne présidentielle ne l’a pas épargné, mais il avait l’habitude. Au début, c’était parti comme une farce. A un moment, il a dérogé à son registre, à l’infini travail d’être un comique, et il a été emporté par le torrent de la presse, de la radio, des comités de soutien. «
Ses antisèches
» Ou son prompteur de poche. Coluche ouvrait, disait-il, « un journal à grand tirage pour allumer le feu ». Il suivait de près la façon dont les médias relataient les événements et décryptait le langage des journalistes pour s’en moquer. Il s’emportait contre la facilité à délayer les infos ou à prendre la tangente pour ne pas aller à l’essentiel. Coluche travaillait aussi beaucoup ses textes en tournée avec ses musiciens : Xavier Thibault et ses complices, qui avaient énormément d’esprit. «
La Guadeloupe
» Il avait découvert les îles comme un gamin qui tombe sur des cieux enneigés. A la Guadeloupe, Michel avait fait construire des pavillons pour tous ses amis, il en avait énormément, il voulait que tout le monde se sente bien. C’était un homme attentionné. La mort de Patrick Dewaere et celle de Reiser l’ont détruit. Il n’est pas allé à leur enterrement. Coluche n’aimait ni la mort ni la guerre. «
La valise sous les yeux
» Coluche avait collé « Adieu » en lettres fluo sur cette valise en carton dénichée sur le marché d’Aligre. C’est là qu’il rangeait, à la fin de son spectacle au théâtre du Gymnase, tous les jouets qu’il utilisait sur scène : son petit sax, sa revue de presseà Il s’était fabriqué la même mallette version maquillage car il bricolait beaucoup : les motos, la guitare, les chaussures, la politiqueà » l
l Gilles médioni