Collectionner, une affaire de famille ?

Guy Gilsoul Journaliste

Ils ont la quarantaine et comme leur père, achètent des oeuvres d’art. Comment se partage une passion ? Comment se transmet le sens de l’objet ? Pour répondre à ces questions, Pair(e), à Bruxelles, prend appui sur le cas de deux familles.

Sur les trois niveaux d’une superbe maison de maître, l’exposition Pair(e) propose un mix remarquable mêlant art ancien, contemporain, ethnique et mobilier. Outre le plaisir d’y admirer un couple Tellem-Dogon du XIIIe siècle, une peinture du XVIe flamand, des objets d’Ettore Sottsass et des pièces signées Basquiat, Cindy Sherman, William Kentridge, Francesca Woodman ou Christian Boltanski, le visiteur s’interroge de manière originale sur les motivations des collectionneurs ici reliés par les liens de parenté. Quelques pistes.

La prégnance de l’environnement professionnel

La première famille navigue dans le milieu des affaires. De nombreuses pièces réunies soulignent sa curiosité face à l’univers industriel et ses extensions que ce soit à travers la cybernétique de Nicolas Schöffer, l’électromagnétisme de Takis ou l’aseptisation du monde de Jean-Pierre Raynaud, par exemple. Un même enthousiasme traverse les choix de photographies de Bernd et Hilla Becher et Thomas Struth (l’archéologie industrielle) ou d’Andreas Gursky (l’anonymat des lieux de travail). Il conduit aussi à s’intéresser au mobilier moderniste (Le Corbusier, Jean Prouvé, Pierre Chareau). La seconde famille, avocats de père en fils, accorde davantage d’importance à l’art du portrait qui nous conduit vers diverses interrogations allant du jeu social (les peintures de Katy Grannan ou le discours féministe de la Yéménite Boushra Almutawakel) aux scènes du quotidien, pourvu qu’elles soient mises en scène.

La recherche du  » beau  »

Elle demeure le point d’attache déterminant chez de nombreux collectionneurs. Dans la première famille, elle s’écarte rarement de chromatismes de terre ou d’anthracite. Parmi les premières oeuvres contemporaines acquises par le père, on trouve une pièce d’Arte povera signée Pier Paolo Calzolari. Elle exprime le plaisir des textures et l’énergie des matériaux  » pauvres  » que l’on retrouve au regard des pièces ethniques de tous horizons rassemblées à la fois par le père et ses fils. Même remarque pour le choix des photos de Valérie Belin. En revanche, la seconde famille paraît plutôt avantager le pouvoir des images porteuses de messages comme dans l’art d’Andres Serrano ou celui de Ben Durham et ses portraits de voyous dont le modelé dissimule en réalité un texte écrit.

La quête de la singularité

L’oeil des fils s’est évidemment nourri aux exemples du père. Mais la volonté de s’en distinguer demeure. Ainsi, dans l’une des familles, on partage le même goût pour le mobilier moderniste et les crânes surmodelés de Papouasie mais le fils va peut-être plus loin quand il fait le choix d’une photographie monumentale représentant un ancien charnier (Luc Delahaye). Idem pour le choix des céramiques de Georges Jouve, plus figuratives pour le père, plus abstraites pour le fils. Les temps changent. Les rapports au monde aussi.

Pair(e), Maison particulière, à Bruxelles. Jusqu’au 13 décembre. www.maisonparticuliere.be

Guy Gilsoul

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire