Climat de peur entre Yvan Mayeur et sa police

Depuis son arrivée au maïorat de Bruxelles, Yvan Mayeur fait le nettoyage au sein de sa police. Objectif : l’  » adapter à sa personnalité « . Ses restructurations ont eu un vrai impact sur la gestion de la manifestation du 6 novembre.

Le rendez-vous exclusif du Vif/L’Express avec le bourgmestre de Bruxelles, Yvan Mayeur (PS), le vendredi 7 novembre, devait compléter une enquête sur le modèle bruxellois de gestion du maintien de l’ordre. Entretien fixé au lendemain de la manifestation nationale, qui fut défigurée, Porte de Hal, par le comportement violent (et peut-être sous influence d’autres substances que l’alcool) d’une phalange de dockers anversois, d’anarchistes et d’opportunistes de tout poil. La presse écrite n’avait pas encore évoqué ce qui deviendrait  » l’affaire Mayeur « , à savoir, le refus présumé du bourgmestre de laisser la police de Bruxelles-Capitale-Ixelles voler au secours de ses collègues de la zone Midi, attaqués par quelque 200 émeutiers.

Ce jour-là, le bourgmestre de Bruxelles n’était pas encore (trop) sous pression.  » J’ai été très satisfait de la manière dont la manifestation a été préparée, gérée et vécue, sauf à la fin, confiait-il au Vif/L’Express. C’était un phénomène attendu mais qu’on pensait pouvoir éviter. Toute la journée, les types ont provoqué ; toute la journée, on a décidé de ne pas répondre aux provocations. Depuis le début, ils cherchaient à entraîner toute la manifestation dans une bagarre. C’était le piège dans lequel il ne fallait surtout pas tomber. A ce moment-là, nous sommes alliés, nous, autorités publiques, forces de l’ordre et services d’ordre syndicaux. J’ai été tout le temps en contact avec les leaders syndicaux. On a convenu ensemble de la manière de faire.  »

Mais lorsque la situation dérape sérieusement, quand et comment faire intervenir la force ?  » Ce n’était pas évident, admet Mayeur. Il y avait les hommes sur le terrain, les chefs policiers au poste de commandement et moi-même qui ne suis pas censé voir les images des caméras de surveillance, puisque je dois avoir le recul nécessaire pour prendre une décision.  » De fait, il n’était pas au Bunker, le poste de commandement logé dans un bâtiment anonyme du Heysel (lire le reportage page 52). A un moment, on l’a aperçu sur les marches de la Bourse.  » Si je ne peux pas voir les images, autant rester ici (NDLR : à l’hôtel de ville), justifie-t-il. Je ne suis pas l’opérateur du maintien de l’ordre : c’est le chef de la police de Bruxelles-Capitale-Ixelles. Mais celui-ci doit avoir mon accord pour utiliser certaines méthodes.  »

Visiblement très attaché au bon déroulement de la manifestation syndicale, Mayeur n’a pas fait intervenir ses policiers en amont pour  » extraire  » de la foule les déjà fauteurs de troubles. Il n’a donné son feu vert à la charge policière que lorsqu’il y avait déjà beaucoup de blessés et de dégâts. A quelle heure approximative ? Il consulte son smartphone.  » Il y a deux coups de fil qui se suivent autour de 16 h 30, répond-il. Cela se situe entre 15 h 30 et 16 h 30. On a eu plein d’échanges entre ces deux moments-là. Je ne sais plus quand on a dit go, c’était entre 15 h 30 et 16 h 30.  »

Selon nos informations, le  » go  » est venu plus près de 16 h 30 que de 15 h 30. A 16 h 39, après les trois sommations d’usage, les moyens lourds (autopompe, gaz lacrymogène, charge policière) ont été mis en branle. Pourquoi le bourgmestre n’a-t-il pas agi plus vite ? Etait-il joignable et informé en temps réel ? Se trouvait-il près d’un poste fixe ou n’avait-il que son téléphone portable ? En tout cas, son éloignement du poste de commandement a posé un problème aux responsables policiers. Plus tôt dans l’après-midi, ceux-ci lui ont dépêché un commissaire divisionnaire pour servir d’interface, mais ce dernier aurait été remballé en moins de deux minutes par le bourgmestre. Il semblerait que, pendant quarante minutes, la chaîne de renseignement ait été interrompue et, partant, celle du commandement.

Toutefois, en cas de force majeure – la situation périlleuse dans laquelle se trouvaient les policiers de la zone Midi -, Guido Van Wymersch, le chef de la police de Bruxelles-Ixelles, qui était Gold Commander ce jour-là, aurait pu se passer du feu vert du bourgmestre. Mais Guido Van Wymersch, non plus, n’a pas été présent tout au long de la journée au poste de commandement. Il faisait passer des examens à de futurs commissaires divisionnaires. C’est le numéro 2 de PolBru, Michel Goovaerts, qui, en tant que directeur général des opérations, avait la main. A-t-il été freiné dans sa gestion de l’événement par l’absence de réaction, voire l’opposition d’Yvan Mayeur ? Non seulement le ministre de l’Intérieur, mais également les autres bourgmestres de la Région de Bruxelles-Capitale, qui ont eu des hommes blessés, aimeraient connaître la réponse.

La décision, ou plus probablement, l’absence de décision s’inscrit dans un contexte particulier de méfiance, voire de peur, qui règne entre la police bruxelloise et le bourgmestre Yvan Mayeur. Celui-ci a repris le mandat de Freddy Thielemans (PS), un an après les élections et avec une popularité bien inférieure (2 600 voix de préférence) à celle dont jouissait son prédécesseur (plus de 6 000 voix de préférence). En bon municipaliste, Thielemans avait compris qu’un bourgmestre est avant tout le responsable de la sécurité et qu’il doit faire un avec son chef de police. Cette confiance mutuelle est d’autant plus nécessaire que la loi sur la fonction de police est relativement floue quant au partage du pouvoir de décision entre l’autorité administrative et le chef de la police locale.

Or Yvan Mayeur s’est privé des services de deux responsables policiers avec lesquels il ne s’entendait pas mais qui se trouvaient être des experts du maintien de l’ordre. Jugés trop à droite, trop répressifs… En septembre dernier, le directeur général des opérations, Luc Ysebaert, a été écarté, tout comme Pierre Vandersmissen, directeur de l’intervention et du soutien opérationnel. Le premier avait le tort d’être marié à une nièce de l’ancien bourgmestre Thielemans, dit-on. Mais la gestion des émeutes de Matongé, la supervision de la présidence belge de l’Union, la visite de Barack Obama, c’était lui.  » La police a dû s’adapter à ma personnalité, reconnaît Yvan Mayeur. J’ai demandé à ce que l’on modifie l’organigramme. Je veux avoir à faire à des gens avec lesquels je peux parler, confronter les idées, dialoguer, puis, ensemble, prendre une décision qui fera consensus.  »

L’inverse s’est cependant produit, en juillet dernier, lorsqu’Yvan Mayeur n’a ni interdit ni autorisé la manifestation pour Gaza, qui comportait pourtant des risques évidents de violence. Il s’est contenté d’être  » avisé  » de celle-ci. Dans un autre dossier, il fait l’objet d’une plainte d’un policier fédéral, blessé alors qu’il s’interposait entre des militants d’extrême droite et leurs assaillants d’extrême gauche. Le maïeur aurait refusé que sa police intervienne pour le tirer de ce mauvais pas.

A tort ou à raison, les policiers bruxellois le suspectent d’être de parti pris, ce qui ne les rend pas très accueillants aux changements que Mayeur veut introduire dans leur organisation. Le bourgmestre souhaite améliorer le service à la population et combattre les comportements racistes ou abusifs, comme les arrestations administratives, qui permettent aux policiers de priver quelqu’un de sa liberté pendant douze heures.  » Ceux qui n’aiment pas Bruxelles et les Bruxellois, mais je les comprends, ironise-t-il, qu’ils ne viennent pas travailler chez nous, qu’ils nous quittent, qu’ils aillent dans une zone de police plus calme. Il ne faut pas qu’ils restent dans cette douleur…  » Pas étonnant que ce style de message ne passe pas auprès de la piétaille, ces simples policiers d’intervention qui ont déposé leurs boucliers tout amochés au pied de l’hôtel de ville, le 11 novembre dernier.

Par Marie-Cécile Royen

 » Je ne suis pas l’opérateur du maintien de l’ordre  »

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