La journaliste avait nourri ses deux premiers romans de ce qu'elle a pu observer lors de ses reportages. © DR

Chypre riots

Dans son dernier roman, Anaïs Llobet use de la fiction pour raconter une société chypriote déchirée, depuis 1960, entre deux communautés irréconciliables.

Correspondante de presse, Anaïs Llobet a nourri ses deux premiers romans, dont le remarqué Des hommes couleur de ciel (L’Observatoire, 2019), de ce qu’elle a pu observer lors de ses reportages: un mégatyphon ayant semé la mort aux Philippines pour Les Mains lâchées (Plon, 2016), puis les trajectoires antagonistes d’un djihadiste et d’un homosexuel tchétchènes. Riche aujourd’hui de son expérience de journaliste pour l’AFP à Chypre, elle raconte ici, sur quatre générations réunies dans un entrelacs chronologique savamment tissé, l’histoire dramatique de la famille propriétaire du Café de la ville perdue (« Tis khamenis polis », en VO), sis à Nicosie. Seuls survivants en apparence, le père Andreas et sa fille Ariana évoluent dans une ouate tendue, étouffés à la fois par le fort caractère de Giorgos, un mystérieux « bienfaiteur » au passé trouble, et le souvenir de leurs ascendants disparus.

Chypre riots

Ville, fantômes

Tout le récit est rythmé à la fois par une double histoire d’amour contrariée, à deux générations d’écart – des romances sous tension entre Grecs et Turcs nées au pire endroit envisageable pour les vivre sereinement… – et, surtout, par celle de Varosha, la ville balnéaire que toute la famille a dû abandonner au pied levé en 1974, expulsée par l’invasion turque du nord de l’île. Une cité promise à un brillant avenir touristique, ici abondamment personnifiée, qui fut « assassinée » par un soubresaut de l’histoire puis grillagée de fil barbelé, et dont le « corps de béton et d’acier » s’abandonne progressivement à la « putréfaction ».

L’ enjeu? La maison familiale, piégée dans ce no man’s land mortifère, qui aiguise les appétits de promoteurs turcs sans cesser d’exercer son puissant pouvoir affectif sur ceux qui ont cultivé son souvenir. Une maison ici imaginée « sur son lit de mort, cherchant désespérément ses anciens habitants pour ne pas agoniser seule ». De cette trame complexe, la narratrice – une journaliste européenne – s’essaie à démêler les fils existentiels, entre mystères intimes et destins fracassés.

Au café de la ville perdue, par Anaïs Llobet, L’Observatoire, 336 p.

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