Christophe Barbier, l’amateur amoureux

Le directeur de la rédaction de L’Express est un fou de théâtre. Il nous fait partager sa passion dans un Dictionnaire amoureux rédigé à l’encre du plaisir.

Le théâtre est à la fois précaire et éternel. Précaire parce que, fugitif, il n’existe vraiment que le temps de la représentation, ses captations ou retransmissions étant hélas par définition frustrantes. Eternel parce qu’il est, en Occident comme en Orient, sous des formes certes différentes, un inégalable réservoir de mythes.

D’OEdipe en Thyeste, de Faust en Hamlet, d’Harpagon en Cyrano, les plus fabuleuses figures de notre imaginaire collectif en sont issues au point que l’on est autorisé à dire qu’il est impossible d’aborder notre culture sans prendre en compte ces personnages essentiels, avec lesquels ne peuvent rivaliser que les  » premiers rôles  » de nos romans fondateurs. La grande différence entre ces deux familles de héros, c’est qu’il suffit d’ouvrir un livre pour retrouver les seconds, et qu’il nous faut nous rendre dans une salle de spectacle pour véritablement être en présence des premiers.

Le théâtre suppose donc un engagement, une passion, voire même une addiction dans certains cas. En cela, les amateurs de théâtre sont des amateurs par excellence, et, même, des amoureux. Il n’était donc pas de matière plus propice à un Dictionnaire amoureux, cette légendaire collection qui nous a déjà valu quantité de plus qu’heureuses surprises.

Dans le cas de ce Dictionnaire amoureux du théâtre, la surprise ne tient pas seulement à la réussite de l’ouvrage, mais à son auteur. Qui se serait attendu à ce que Christophe Barbier, véritable furet du monde journalistique, directeur de la rédaction de L’Express, chroniqueur télévisuel surbooké, puisse encore trouver le temps de s’asseoir plus que de raison au parterre d’une salle de spectacle, ou sur les travées des espaces à ciel ouvert des festivals d’été ? Comme l’ubiquité semble être de son ressort, il mène, de fait, cette double vie d’homme de presse à temps plus que complet et d’homme des scènes tout aussi assidu.

Le résultat est une brique de 1 182 (!) pages, où il nous promène de tragédies en comédies, de grands acteurs en marionnettes, de salles légendaires en tréteaux, de dramaturges en metteurs en scène, d’ouvreuses en souffleurs avec une égale appétence et une égale alacrité. Il parle non seulement de ce qu’il a vu et de ce qu’il a appris, mais aussi de ce qu’il a éprouvé, parce qu’il est lui-même comédien, amateur au sens noble du terme, et l’on sait qu’on ne trouve pas parmi ces non-professionnels moins de passion que parmi les gens de métier. Aussi, sa monumentale déclaration d’amour déborde-t-elle d’enthousiasme. Sans oublier, cependant, les règles de précision et de rigueur que suppose sa profession première.

Vue du Nord, malheureusement, cette vaste démonstration de savoir et d’émotion ne semble pas à l’abri du parisocentrisme. La Belgique n’a- t-elle pas, depuis Crommelynck ou Ghelderode, produit d’autres auteurs de théâtre importants, comme René Kalisky par exemple, dont Antoine Vitez fut l’un des plus ardents défenseurs, ou Jean Louvet, récemment disparu, qui brillent ici par leur absence ? N’y a-t-il pas, dans nos contrées, des compagnies, comme le Rideau de Bruxelles, des théâtres, comme celui du Parc où Guitry fit ses adieux à la scène, qui méritaient une place dans cette célébration véritablement encyclopédique ?

Voyons-y une erreur de focale, mais réjouissons-nous néanmoins que l’auteur s’autorise, puisqu’il n’est animé que par son plaisir, des a priori, des dadas, où d’aucuns verront des excès d’honneur ou d’indignité. Il y a quelques coups de griffe au passage, qui en agaceront quelques-uns comme ils en réjouiront d’autres. Heureusement, d’ailleurs, puisque nous sommes dans un monde où ovations et huées font également partie du genre. Ici, lorsqu’on sort de cette caverne d’Ali Baba épuisés parce qu’on l’a explorée selon l’alphabet ou parcourue dans tous les sens, on ne peut qu’applaudir. Bravo l’artiste !

Dictionnaire amoureux du théâtre, par Christophe Barbier, Plon, 1 182 p.

Par Jacques De Decker, secrétaire perpétuel à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique

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