Le coup de force du roi du Népal est du pain bénit pour les rebelles maoïstes, qui en appellent au soulèvement général. Un Belge, prisonnier de cette guérilla pendant quelques heures, raconte sa rencontre avec les révolutionnaires
L’image idyllique du Népal, pays qui attire chaque année de nombreux touristes, cache une sombre réalité. Le petit royaume himalayen est le théâtre, depuis 1996, d’une guerre civile opposant la dernière monarchie hindouiste au monde à une guérilla maoïste qui contrôle les deux tiers du pays. Le bilan des affrontements est lourd : plus de 11 000 morts depuis le début de l’insurrection. Le 1er février, le roi Gyanendra a limogé le gouvernement et, pour la seconde fois en moins de trois ans, pris lui-même le contrôle du pays. Apparemment excédé par l’enlisement du conflit, il a nommé un nouveau cabinet dominé par les royalistes, placé plusieurs dirigeants politiques en résidence surveillée et décrété l’état d’urgence. Des mesures qui suscitent l’ire et l’inquiétude de la communauté internationale : Washington et New Delhi déplorent le » recul de la démocratie » – mais aident l’armée népalaise engagée dans la répression -, Londres appelle au » retour du multipartisme » et l’ONU parle de » sérieux revers pour le pays « .
Ce coup d’Etat est une aubaine pour la rébellion. Son chef, » Prachanda » ( » le Féroce « ) de son nom de guerre, s’est empressé d’appeler les partis politiques à constituer un » large front contre l’autocratie féodale « . Il menace aussi de paralyser le pays si le roi conserve les pleins pouvoirs. Au-delà de leurs revendications sociales et ethniques, les maoïstes veulent désormais en finir avec la monarchie. Mais leur stratégie et leur position sur la démocratie restent floues. Qui sont vraiment ces rebelles ? Quels sont leurs mobiles ? Comment agissent-ils ? Les informations qui circulent à Katmandou, la capitale, sont peu fiables et le site Internet de la guérilla (cpnm. org) affiche une propagande communiste au jargon désuet. Tout récemment, un groupe de touristes français et belges partis faire un trekking au Népal a été capturé par la guérilla et emmené dans l’un de ses camps d’entraînement. Ils ont dialogué avec leurs geôliers, avant d’être libérés quelques heures plus tard. Le Vif/L’Express a recueilli le témoignage de l’un de ces otages d’un jour, l’architecte belge José Vandevoorde. Un éclairage sur une rébellion encore mal connue…
Le Vif/L’Express : Dans quelles circonstances avez-vous été enlevés ?
José Vandevoorde : Au moment d’aborder le massif du Ganesh, au nord-ouest du pays, notre guide nous avait prévenus : nous entrions dans une zone non contrôlée par l’armée. Peu après, des hommes nous ont contraints à les suivre dans un camp retranché. Là, une trentaine de rebelles nous ont entourés. Ils portaient des guenilles et marchaient nu-pieds. Outre quelques rares kalachnikovs, leurs fusils dataient du début du siècle dernier. Ils nous ont fait asseoir et nous ont infligé un interrogatoire et un sermon d’extrême gauche truffé de slogans éculés sur les classes réactionnaires et le prolétariat international. La première question portait sur notre engagement à combattre, à leurs côtés, l’impérialisme américain. Le débat, dans un anglais approximatif, a laissé nos interlocuteurs perplexes. Ils se demandaient si nous étions sérieux ou si nous voulions les ridiculiser en leur disant qu’avec leur arsenal antédiluvien il était vain de vouloir en découdre avec la première puissance mondiale. L’amateurisme de cette guérilla est frappant. Néanmoins, des communistes indiens, dont certains étaient présents dans ce camp, semblent pousser les rebelles népalais à durcir leur action. L’absolutisme du roi favorise aussi cette radicalisation.
Vous ont-ils fait part de leurs revendications ?
Ils insistent surtout sur la suppression des castes. Les gens issus des campagnes et des castes inférieures, si instruits soient-ils, n’ont aucune chance de trouver un emploi honorable, tel que postier ou employé de banque. La seconde revendication est une meilleure répartition des ressources de l’Etat, notamment en faveur des régions touristiques, qui alimentent largement le budget national. La priorité des maoïstes est donc la lutte contre la corruption, qui gangrène le sommet de l’Etat et fait que les revenus à redistribuer s’évanouissent dans la nature. Une grande majorité de la population rurale soutient, en principe, la cause des rebelles, mais non sans réticences. Et pour cause : elle doit les nourrir, alors que le pays est l’un des plus pauvres du monde. De plus, la guérilla recrute parmi la jeunesse des campagnes. De nombreux jeunes émigrent en Inde pour éviter d’être enrôlés de force ou pour ne plus risquer leur peau à chaque déplacement.
Comment avez-vous réussi à vous libérer ?
Il a fallu négocier notre libération par un » don » aux rebelles. Au terme d’un curieux marchandage, nous avons été obligés de payer, par personne, l’équivalent de 1 % du coût de notre voyage. Quand ils nous ont donné un » reçu « , nous avons cru à une plaisanterie. En réalité, le mouvement tient à être reconnu et délivre des documents » officiels « , comme un vrai gouvernement. Au moment de quitter le camp, ils nous ont fait la tika, une marque rouge sur le front, en signe de sympathie. Ils nous ont assuré qu’ils n’étaient pas des terroristes, mais des révolutionnaires en lutte contre un régime pourri. Ils voulaient qu’on dise, partout dans le monde, qu’ils étaient seuls, isolés. J’ai eu un moment de profonde tristesse, presque de compassion, pour ces jeunes perdus dans leurs montagnes au milieu de nulle part, en quête d’un avenir meilleur.
Entretien : Olivier Rogeau