Charlotte de Belgique, impératrice du Mexique, folle…

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Fille de Léopold Ier, elle avait tout pour plaire et tout pouvait lui réussir. Mais l’histoire de l’impératrice du Mexique finit dans la folie. Une psychanalyste belge s’appuie sur la correspondance de Charlotte de Belgique pour éclairer ce destin tragique.

« Pauvre Charlotte !  » s’exclame Maximilien de Habsbourg, le 19 juillet 1867. Ce sont les dernières paroles de l’empereur du Mexique, exécuté, avec deux de ses généraux, par un peloton républicain.

 » Pauvre « , en effet. Car, au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, la longue descente aux enfers de son épouse, Charlotte de Belgique, prend une tournure inexorable. Phobies, aberrations religieuses, délires de grandeur et de persécution alternent avec des moments plus lucides. Selon les médecins qui l’examinent dans son château de Miramar, près de Trieste, en Italie du Nord, le climat mexicain et l’insuccès complet des efforts de l’impératrice pour sauver sa couronne ont conduit à cet état. Mais aucun d’eux ne pose de diagnostic précis. Il faut préciser qu’à cette époque les grands aliénistes Kraepelin et Bleuler, qui marqueront l’histoire de nos connaissances sur la démence précoce, ne sont encore que des gamins de 10 et 9 ans.

Comment un destin de conte de fées a-t-il pu basculer dans la tragédie grecque ? La psychanalyste belge Coralie Vankerkhoven tente de répondre à cette question dans Charlotte de Belgique : une folie impériale (La Muette-Le Bord de l’eau), ouvrage dont Le Vif/L’Express propose, en primeur, les bonnes feuilles. Guidée par les théories de Freud et de Lacan, l’auteure a entrepris une étude psychanalytique de la correspondance de la fille de Léopold Ier, en particulier des quelque 400  » lettres de folie « , en partie inédites, écrites entre le 16 février et le 15 juin 1869, soit deux ans à peine après la chute de l’éphémère Empire mexicain.

Tracer des mots sur le papier aura été, pour celle qui aurait pu être la petite étoile de la famille royale de Belgique, une tentative de reconstruction, de suppléer au  » désastre « , dirait Lacan.  » Cette période de  »graphorrée » marque une importante structuration de la vie délirante de Charlotte « , remarque Coralie Vankerkhoven. Mais la tentative de guérison échoue. Faute d’écho ? Faute de partenaire, pour cette femme mal aimée et jamais mère – l’éphémère pour seul  » effet-mère « , commenteraient les lacaniens -, veuve jamais remariée ? Sans doute. Ses lettres n’ont pas été envoyées à leurs destinataires, ne laissant ainsi à personne la chance de répondre.

Promise au plus bel avenir

Pourtant, elle avait tout pour plaire, cette princesse, et tout pouvait lui réussir. Petite-fille de Louis-Philippe, roi des Français, fille de Léopold, premier roi des Belges, s£ur du duc de Brabant, futur Léopold II, cousine de Victoria, reine d’Angleterre, archiduchesse d’Autriche par son mariage avec Maximilien, impératrice du Mexique par la volonté de l’empereur Napoléon III… autant de titres qui promettaient à Charlotte de Belgique le plus bel avenir.

 » Elle était d’une beauté extraordinaire, avec son grand front, le long nez des Bourbons hérité de sa mère, sa petite bouche bien dessinée, son teint clair, ses cheveux foncés et son allure élancée, note l’historienne anglaise Barbara Emerson. Un seul défaut : une légère lourdeur dans le bas du visage. Elle avait, en outre, la volonté et l’ambition des Cobourg. Ses auteurs préférés étaient Plutarque et Auguste Nicolas, dont elle dévorait les Etudes philosophiques sur le christianisme, en vogue à l’époque. En musique, elle préférait Bach à Strauss, pourtant à la mode.  » (1)

Son père, Léopold Ier, avait souhaité un fils pour mieux assurer l’avenir de sa dynastie. Charlotte sera néanmoins son enfant préférée. Elle lui ressemble au point qu’on l’appelle  » sa miniature « . Précoce et malicieuse, la petite princesse devient, à 10 ans, après la mort de sa mère, Louise d’Orléans, taciturne et introvertie. Ses précepteurs lui inculquent nombre de préceptes moraux et religieux, qu’elle prend à la lettre. Elle a une haute opinion d’elle-même et de ses devoirs. Dans une composition littéraire, elle assure que les princes doivent  » rendre des comptes à Dieu « , qui leur a confié une part de son pouvoir, mais leur ordonne de veiller au salut des peuples.

 » Comme cela m’étonne « 

A 17 ans, elle épouse l’archiduc d’Autriche Maximilien, frère cadet de l’empereur François-Joseph. Etre faible, velléitaire et chimérique,  » Max  » a négocié âprement la dot de sa fiancée, tentant d’en tirer le maximum.  » Qu’il ait eu le coup de foudre est plus que douteux « , estime Coralie Vankerkhoven. Fut-il un mari ? De sa nuit de noces, Charlotte tire cet étrange commentaire, répété à l’envi :  » Comme cela m’étonne, comme je suis étonnée « . Non- consommation du mariage ? Il était de notoriété publique que les époux faisaient chambre à part.

Un véritable enthousiasme saisit la jeune femme quand le couple fait sa joyeuse entrée à Venise et à Milan, Maximilien ayant été nommé, par son frère, gouverneur du royaume lombardo- vénitien. Mais, dès 1858, surviennent les premiers désenchantements : les manifestations anti-autrichiennes se multiplient en Italie, Charlotte est délaissée par son mari et Maximilien est relevé de ses fonctions de vice-roi. Le couple se retire à Miramar pour un long exil.

C’est Napoléon III qui sort les archiducs de leur inactivité. L’empereur des Français rêve de créer un empire latin et catholique en Amérique, afin de contrer l’influence des Etats-Unis. Il offre alors au couple la couronne du Mexique. Maximilien est réticent, mais le projet donquichottesque assouvit les rêves de grandeur de son épouse. Ils partent, nantis de la bénédiction papale.

Au Mexique, Charlotte, devenue  » Carlota « , peut, à l’occasion des déplacements de son mari en province, laisser s’exprimer sa volonté de gouverner. On lui reconnaît un réel talent. Mais les difficultés vont crescendo avec le retrait des troupes françaises, trois ans après leur arrivée. Le Mexique se révèle être un marché d’  » archidupes « . L’entourage de Maximilien suggère l’abdication.

L’impératrice s’insurge –  » Les empereurs n’abdiquent pas !  » – et part en croisade. En juillet 1866, elle quitte Mexico pour l’Europe. Elle plaide la cause de l’Empire mexicain auprès de Napoléon III et du pape. Elle ne reverra plus ni le Mexique ni son époux, bientôt renversé par les troupes de Juarez.

Les doigts dans la sainte tasse

Si les premières manifestations de psychose sont apparues dès avant son départ, lors d’un voyage dans le Yucatan, c’est au cours d’une entrevue avec Pie IX, à Rome, que Charlotte a sa première crise de paranoïa. Dans les appartements du pape, où elle débarque sans tambour ni trompette le 30 septembre 1866, l’impératrice clame que tout le monde veut l’empoisonner, qu’elle est entourée de personnes à la solde de Napoléon III. Elle se sustente en trempant les doigts dans la sainte tasse de chocolat papale, puis se refuse à quitter le Vatican, seul endroit où elle se sent en sécurité. On la laisse dormir dans la bibliothèque, avant de la ramener à son hôtel.

A Miramar, où elle reste enfermée pendant dix mois, les délires de persécution et les hallucinations visuelles se multiplient. A la mort de Maximilien, qu’on lui cache, elle est rapatriée auprès de sa famille par la reine Marie-Henriette, épouse de Léopold II, monté sur le trône en 1865. Charlotte prend ses quartiers au château de Tervuren, puis à celui de Bouchout, près de Laeken.

L’  » Auguste Malade « 

La sollicitude des siens l’apaise, en dépit de crises toujours latentes. En janvier 1868, son entourage lui apprend, avec de grands ménagements, la mort de son mari, nouvelle qui n’a pas de répercussion sur son psychisme. Ses hantises, obsessions et fabulations la reprennent au moment du premier anniversaire de l’exécution de Maximilien et lors de la maladie et du décès, en janvier 1869, du prince héritier Léopold. Elle s’enfonce alors dans les méandres de la folie, rêve que son mari n’est pas mort, qu’un officier français, Charles Loysel, connu au Mexique, viendra la délivrer.

Charlotte ne sortira plus de la nuit, si ce n’est à sa mort, cinquante-huit ans plus tard, quand tous ceux qu’elle a connus se seront éteints depuis longtemps. Restent ses lettres, abondantes. Elles constituaient, pour son entourage, un baromètre de l’humeur de l’  » Auguste Malade « . Les Archives du palais royal ont accordé à Coralie Vankerkhoven un accès exclusif à l’intégralité de cette correspondance. Les thèmes les plus étranges s’y croisent et s’y entrecroisent : visions christiques, changement de sexe, jouissance débridée, fantasmes de duel et de fustigation corporelle, ferveur pour l’armée impériale française et ses composantes, identification à Loysel… Dans ce naufrage,  » seule a compté l’écriture en tant que telle « , conclut l’auteure.

(1) Léopold II, le royaume et l’empire, Duculot.

OLIVIER ROGEAU

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