Sous le coup de Dancing, album de reprises crooner, Gérard Darmon célèbre à sa façon l’univers de Sinatra, Paolo Conte, Celentano ou Bécaud. Fun
Avant ma naissance, mon père, arrivé en France en 1932, faisait partie de la voyoucratie, de ces types genre René la Canne qui pratiquaient un certain code de l’honneur. Puis il est retourné chercher une femme en Algérie en 1947, s’est marié et a oublié tout cela. Je suis né l’année suivante, et ma jeunesse a été baignée de musique orientale et d’opéra. » Si Gérard Darmon snobe le yé-yé et s’enfonce goulûment dans une consommation de pop anglaise sixties, il tombe aussi amoureux du crooning de haut vol, Sinatra, le Rat Pack et les rugosités italiennes d’Adriano Celentano.
Influences biologiques qu’il honore dans Dancing, tout en évitant le piège de la copie standardisée : » Les chansons originales ont été mises à plat, désossées et réarrangées avec la collaboration du producteur Philippe Abitbol « , explique un Darmon très smart, citant volontiers l’atterrissage d’un groupe de manouches sur le Via con me ou l’intégration d’une batterie de percus brésiliennes dans Avec ces yeux-là, du tandem Legrand-Aznavour. Autant de recettes gourmandes mises dans les arrangements et la voix, celle-ci quittant le terrain gainsbourgien du premier disque pour une approche moins récitative. » J’ai évidemment beaucoup appris en tournant Emmenez-moi, où je joue un légionnaire alcoolique maboul des chansons d’Aznavour : il fallait éviter de chanter comme Charles ou même d’être trop » parfait » dans l’interprétation, tout en assurant. » Du coup, Darmon habille Dancing des fringues appropriées : voix susurrante ou libérée, mais toujours dans le coup de l’intime et de la musicalité balèze. Même s’il ne les a pas écrits, le jewish lover parisien s’approprie ces contes de l’amour ordinaire que sont Mes Mains (Bécaud) ou La Belle Vie, une dose de caramel de chez Distel.
Difficile de ne pas évoquer l’entreprise de séduction qu’est la musique : » Je n’ai pas oublié que j’ai longtemps été considéré comme » typé « , j’ai raté le concours d’entrée au Conservatoire à une voix près à cause de cela. Mon statut de second couteau a duré un bout de temps. Et puis, les cheveux ont grisonné, le succès est venu. Mais, si je suis chanteur aujourd’hui, ce n’est pas un caprice, la musique a toujours fait partie intégrante de ma vie. Le concert est une expérience complètement charnelle, beaucoup plus forte que le plateau de cinéma ou le théâtre, que j’ai beaucoup pratiqués. Un truc complètement épidermique. » Il suffit d’entendre Darmon s’enthousiasmer pour Celentano – dont il reprend fort bien le classique Svalutation – pour comprendre que les émotions balayées sur Dancing tiennent du c£ur, des tripes et de la mémoire. Avec une fixette prononcée pour Old Blue Eyes, modèle vocal absolu que Darmon a croisé à deux reprises : » J’ai vu Sinatra en concert à Paris avec Liza Minelli et Sammy Davis Jr, en 1989. Grâce à des amis, je me suis retrouvé face à lui, totalement dans la peau du fan, j’avais le sentiment d’être dans un vide sidéral. Mais je me suis quand même lâché et lui ai déclaré : » Vous êtes le plus grand de tous. » Il m’a regardé de ses yeux incroyablement bleus et m’a dit : » Puis-je vous offrir un verre ? ( rires) « . Je l’ai revu une seconde fois lors d’un dîner, quelques années plus tard, et cela m’a fait le même effet : en l’observant, je pensais aux Kennedy, à Ava Gardner, à la Mafia. Quelle folie ! »
En regardant l’acteur-chanteur Gérard Darmon, on ne pensera plus seulement au Grand Pardon, mais au tour de Dancing, chansons de la séduction pour moments de tendresse. Et plus si affinités.
CD Dancing, chez Universal.
Philippe Cornet