Il faut différencier ceux qui gèrent les maisons de repos et consorts, de ceux qui en possèdent les murs. Mais de part et d’autre, il s’agit de groupes de plus en plus grands.
A l’origine, la maison de repos classique était une petite structure familiale, dont le directeur gérait tant l’affaire que l’immeuble qu’il possédait. C’était dans les années 1970. On ne parlait pas encore, à l’époque, de normes de sécurité ou d’agréments (quotas de lits). » En Flandre, il faudra attendre 1985 pour voir arriver une réglementation en la matière, se souvient Vincent Frédéricq, secrétaire général de la Fédération des maisons de repos de Belgique (Femarbel). Tandis qu’en Wallonie et à Bruxelles, celle-ci est relativement récente, puisqu’elle date de… 1998 ! » Une fois le (strict) cadre législatif planté, le marché, alors très diffus et dispersé, a tendance à faire tache d’huile. » Dès 1994-95, beaucoup d’établissements sont contraints de mettre la clé sous la porte, face au poids des contraintes normatives « , poursuit-il. Et ce, au profit de leurs concurrents, plus robustes, qui sortent petit à petit du lot. Les chiffres de Femarbel parlent d’eux-mêmes : » Entre 1993 et aujourd’hui, nous avons perdu 2 membres sur 7 parmi nos affiliés. Or le nombre de lits est actuellement largement supérieur. »
Cela étant, l’allongement de l’espérance de vie a contribué à l’essor des maisons de repos. Peu à peu, voici une dizaine d’années, face à la complexité croissante du secteur, le métier se transforme, suivant l’expression : » chacun son business « . D’un côté, une poignée de grands groupes gestionnaires de maisons de repos (dont beaucoup sont d’origine française), de l’autre, des investisseurs immobiliers, propriétaires des murs, avec à leur tête, des sicafi comme Cofinimmo (dès 2007-08, représentant aujourd’hui 33,3 % de son portefeuille, soit plus de 1 milliard d’euros) et Aedifica (dès 2005-06, 55 % de son portefeuille, soit quelque 300 millions d’euros), rapidement suivies par des privés ( » family office « ) et des compagnies d’assurances (parmi lesquelles KBC, Ethias et Ageas). Et les premiers de se constituer un réseau, en rachetant les petites structures en péril et en construisant de nouvelles par ailleurs, avec les fonds alloués par les seconds.
Pour sceller ce partenariat, les deux parties s’accordent en général sur un bail emphytéotique de vingt-sept ans, dit » triple net « . » Cela signifie que toutes les charges immobilières sont pour le locataire, qui gère le bâtiment comme il l’entend, explique Stefaan Gielens, CEO d’Aedifica. C’est exactement le même type de contrat que celui qui a été utilisé dans les années 1960-70, au profit des groupes GB et Delhaize. Ceux-ci étaient en pleine expansion et avaient besoin de fonds pour accroître le nombre de leurs points de vente. «
Des projets d’expansion
Si les gestionnaires apprécient leur grande liberté d’action, les investisseurs s’en accommodent fort bien également. Car leur expertise porte ses fruits. » Pas de risque de vacance locative, de chute de loyer, de départ anticipé du locataire, énumère Sébastien Berden, responsable du segment health care de Cofinimmo. Il s’agit d’un bon investissement (6,12 % de rendement à la date du 30 septembre 2011), stable et très porteur. » Tant et si bien que les sicafi ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Aedifica se montre intéressé par les résidences-services, » dont le marché, fort disparate, ressemble à celui des maisons de repos il y a dix ans « , glisse Stefaan Gielens, qui se dit en attente de la consolidation du secteur, par les grands groupes gestionnaires en place, avant de s’aventurer plus loin. Pour Cofinimmo, l’avenir est aussi dans les partenariats public-privé. » Nous voudrions travailler également avec les CPAS, ainsi qu’avec le secteur associatif « , indique Sébastien Berden.
Pour leur part, les grands groupes comme Armonea et Senior Assist, pour ne citer qu’eux, ont aussi la ferme intention d’aller toujours plus de l’avant. » Nous avons 12 chantiers qui tournent actuellement et 25 projets dans le pipeline, souligne Alexis du Roy, directeur du développement chez Armonea. De quoi coller à notre rythme de croisière : l’ouverture de 6 à 8 établissements par an. » De son côté, Senior Assist poursuit un objectif de » 10 à 15 % de lits en plus par an, mais aussi une croissance importante dans les résidences-services et les soins à domicile « . A titre d’indication, une maison de repos nécessite une surface bâtie de minimum 4 000 mètres carrés (de plain-pied ou en hauteur), soit au moins 80 à 90 lits. Et de 7 000 à 8000 mètres carrés pour les complexes plus importants. Le tout représentant un budget d’environ 8 à 10 millions d’euros. » Voire entre 30 et 50 millions d’euros dans le cas de certains ensembles mixtes, comprenant également une résidence-service et un centre de jour, par exemple « , ajoute Stefaan Gielens. Or, c’est clairement ce vers quoi les opérateurs se dirigent.
Les défis de la résidence-service
Si une grande partie des regards sont tournés vers la résidence-service, c’est aussi parce qu’elle présente certains avantages. Combinant l’autonomie de la vie en appartement et la mise à disposition de services » à la carte « , elle ne tombe pas sous la coupe des autorités publiques. Ce qui n’est pas négligeable étant donné la quantité de normes techniques et de sécurité auxquelles les maisons de repos et consorts doivent se plier – dont coût, à chaque mise à jour. Sans parler du contrôle sur les tarifs. D’où une plus grande liberté d’action, dont les résidences-services ont largement profité, s’inscrivant historiquement dans une niche de standing.
Mais pour aller de l’avant, il faudra que les résidents se fassent à l’idée de la… location, maître mot des grands groupes privés, qui préfèrent de loin travailler avec un seul propriétaire immobilier. Un sérieux changement de mentalité à opérer dans le chef des Belges, seniors de surcroît, qui auront du mal à abandonner leur droit de propriété.
FRÉDÉRIQUE MASQUELIER