Chacun cherche son point de chute

En Belgique, à chaque législature, une vague de collaborateurs des cabinets se substitue à une autre. Comment, au PS, Elio Di Rupo, Laurette Onkelinx et les autres  » recasent « -ils leurs fidèles bras droits ? Enquête.

C’est un phénomène habituel à la fin de chaque législature : dans les semaines et les mois qui suivent les élections, des membres de cabinet sont affectés par leur ministre à l’un ou l’autre poste.  » Un bon ministre est celui qui a recasé tous ses conseillers et se retrouve seul dans son ministère le jour de la passation de pouvoir « , déclare Laurette Onkelinx, ancienne ministre socialiste des Affaires sociales et de la Santé.

Cependant, en ce début de législature et surtout de changement de majorité, un recasage n’est pas évident pour les collaborateurs de cabinet, stricto sensu, qui ont un statut particulier puisque leur fonction prend fin en même temps que le mandat du ministre qui les a recrutés. De fait, cette fois, les socialistes perdent quatre cabinets fédéraux. Il s’agit pour presque une centaine de personnes, qui n’ont aucune chance d’être récupérées par la nouvelle équipe dirigeante, de trouver un point de chute. Les places sont donc plus rares. Reste que c’est bien au PS (davantage que chez Ecolo, par exemple), un parti qui dispose de nombreux relais dans l’administration et ailleurs, qu’il est plus facile de retrouver un emploi après une expérience en cabinet. Soit, en principe, trois  » filières  » de  » recasage  » : l’administration très souvent, les cabinets régionaux et l’Institut Emile Vandervelde.  » En ce moment, le téléphone sonne beaucoup, reconnaît un ex-chef de cabinet du Premier ministre, qui ignore encore où il va atterrir. Nous avons reçu notre notification de sortie ce vendredi soir (NDLR : le 17 octobre).  »

Fonction publique et entités fédérées

Ainsi, peu de collaborateurs proviennent vraiment du privé. Et ceux qui retombent le plus facilement sur leurs pieds sont sans doute les fonctionnaires : ils rempilent le plus souvent dans leur service d’origine, voire bénéficient de passerelles au sein du secteur public. Au 16, par exemple, Serge Bodart, juge détaché comme conseiller justice, asile et migration, est reparti au Conseil d’Etat en juillet dernier. Quant à Jean-Joël Schittecatte, directeur de cabinet adjoint et conseiller diplomatique du Premier ministre, consul général de Belgique d’abord à Mumbaï, puis à Istanbul, il devrait continuer à servir la fonction publique et réintégrer le service public fédéral Affaires étrangères. Quelques-uns avaient déjà fait leurs cartons, juste après le scrutin, pour un poste plus ou moins stratégique à la tête d’une administration. Des exemples ? En juin dernier, Pascal Petry, 44 ans, conseiller sécurité chez Elio Di Rupo, était parachuté numéro deux des services civils de renseignement, un poste taillé sur mesure. De même, Vincent Magnée, 43 ans, conseiller budget débauché à la Cour des comptes, a pris, lui, la direction de la Banque nationale.

Les cabinets socialistes des entités fédérées servent également de cellules de recyclage. Ainsi Jean-Marc Liétart, dircab-adjoint et toujours directeur financier du parti, dont le nom a été suggéré pour rempiler à la Fédération Wallonie-Bruxelles, au côté de Rudy Demotte. Ou Pierre Provost, 36 ans, lui aussi dircab-adjoint qui devient chef cab de la ministre-présidente… de la Commission communautaire française (Cocof) Fadila Laanan. Un poste quasi invisible pour ce jeune économiste dont il se dit qu’il est l’un des plus brillants esprits du PS (il a négocié la nouvelle loi de financement).  » C’est un métier à forte rétribution symbolique, mais une expérience difficile à revendre dans le privé. Or nos profils sont une plus-value : savoir négocier, réaliser des compromis, établir un réseau… Ce serait dommage de ne pas en profiter « , ironise Jean-Marc Liétart.

L’exercice de l’opposition

Quant à la garde rapprochée d’Elio Di Rupo, elle le suit directement au siège du PS, boulevard de l’Empereur. Il s’agit généralement de conseillers avec lesquels il entretient les meilleures relations. On trouve à la place d’Anne Poutrain, partie chez Paul Magnette, Hervé Parmentier, directeur de cabinet du Premier depuis deux ans et demi, après avoir travaillé chez Laurette Onkelinx, Paul Magnette et Didier Donfut. En effet, celui que l’on considère en coulisses comme un  » quasi-ministre  » a refusé la direction de la Banque nationale et prend donc les rênes de l’Institut Emile Vandervelde, centre d’études du PS. C’est là d’ailleurs que Hervé Parmentier avait débuté son parcours comme spécialiste de la politique européenne. Il devra outiller le parti en notes et en argumentaires contre le gouvernement Michel Ier.

D’autres l’y ont rejoint, comme Jérémie Tojerow, 32 ans, expert en droit institutionnel, simple  » conseiller  » rue de la Loi, et l’un des talents les plus prometteurs dans l’entourage d’Elio Di Rupo. Le chef du service de presse et porte-parole du 16, Guillaume de Walque, prend les commandes de la communication du président du PS : formé lui aussi à l’IEV, ce quadra a fait ses premières armes auprès de Di Rupo sous cette législature. Thomas Mels, son collègue néerlandophone, ancien journaliste politique au Morgen, le suit au QG du PS. En tout, ils seront six pour animer la cellule com’ qui épaulera leur président.

Bassin traditionnel de reclassement du parti, l’IEV a donc récupéré pas mal de candidats. L’objectif, cette fois, c’est d’adapter les  » nouveaux  » profils à l’exercice de l’opposition.  » C’est vrai, la nature du travail a changé. De même que l’on doit mettre en place une nouvelle façon de fonctionner. Concrètement, nous allons redéployer le parti sur la bataille idéologique, toucher les faiseurs d’opinion en mettant en avant nos valeurs, nos recettes pour sortir de cette « pensée unique » économique prônée par le gouvernement Michel. Il a donc fallu accorder le casting en fonction « , détaille un récent collaborateur de l’IEV venu tout juste du 16.

Les staffs Onkelinx et Labille

Ailleurs, au fédéral, les chefs cab migrent eux aussi, et cinq mois après l’élection, les conseillers de la ministre des Affaires sociales et de la Santé ont leurs lendemains assurés. Après plus de vingt ans de cabinets, dont quinze chez la vice-première, Laurence Bovy, 47 ans, a décidé de reprendre sa liberté. L’ex-dircab vient finalement d’opter pour un stage de plusieurs mois à la Berd (Banque européenne pour la reconstruction et le développement), à Londres. Autre dircab-adjoint, Christophe Soil, 36 ans, rallie également l’IEV où il est chargé des matières socio-économiques. A l’instar de Guillaume Lepère, expert énergie. D’autres ont évidemment rejoint les cabinets régionaux. Il y a un an déjà, deux fidèles conseillers de Laurette Onkelinx, Yves Goldstein et Ridouane Chahid, ont été placés à la direction du cabinet de Rudi Vervoort. Comme David Zylberberg, conseiller affaires européennes, parti lui aussi chez Rudi Vervoort, et Florence Lepoivre, conseillère emploi passée chez Rachid Madrane. Dernier en date, Alban Antoine, expert en politique hospitalière se retrouve chez Rudy Demotte.

Les collaborateurs du ministre des Entreprises publiques ont également été bien traités. De retour aux Mutualités socialistes depuis le 12 octobre, Jean-Pascal Labille a emmené avec lui son porte-parole, Christopher Barzal, 33 ans, qui devient directeur de la communication de Solidaris. Son directeur de cabinet, Laurent Levêque, président de la Société wallonne des aéroports (où son mandat s’achève), figure lui sur la short list pour le poste de secrétaire général de l’ISPPC, intercommunale regroupant les hôpitaux publics de Charleroi. Passée par le cabinet de Philippe Courard, puis par celui de Jean-Pascal Labille, Florence Thys, dircab- adjointe, a été nommée directrice des services d’appui du Musée royal d’Afrique centrale. Quant à Guy Beringhs, dircab-adjoint également, il a regagné son poste d’attaché à la Coopération internationale. Mis à part Philippe Courard, qui a quitté son secrétariat pour prendre le poste d’Isabelle Simonis comme chef de groupe au parlement wallon, on retrouve plusieurs exilés de son  » petit  » cabinet (une quinzaine de collaborateurs) dans le secteur public. Ainsi Pascale Lambin, dircab adjointe aux Affaires sociales, a été promue directrice générale adjointe au Fonds des maladies professionnelles.

Le casting régional

Mais le jeu de chaises musicales se corse au sein des cabinets régionaux. Des chefs cab libèrent leur poste parce qu’ils sont désignés, par leur ministre, à des fonctions stratégiques. Les premières nominations politiques socialistes ont d’ailleurs débuté rapidement. En septembre dernier, Sylvianne Portugaels, chef cab de Jean-Claude Marcourt, se retrouve sous-directrice du CHR de Liège, tout en étant assurée de devenir directrice en 2015. Pascale Delcominette, cheffe de cabinet de Rudy Demotte, est devenue depuis juillet la patronne de l’Awex. Avant elle, Julien Compère, un autre chef de cabinet, est parti, en mars 2013, exercer ses talents à la tête du CHU de Liège.

Paul Magnette, lui, découvre les joies du troc. A l’heure de constituer les cabinets à la Région wallonne, il n’a pas hésité à choisir des collaborateurs dans son carnet d’adresses  » communal  » : Olivier Jusniaux, ex-directeur de la Ville de Charleroi, est désormais chef cab d’Eliane Tillieux, tandis que l’ex-chef de cab de cette dernière, Françoise Lannoy, est à la tête du cabinet d’Isabelle Simonis. Ou Renaud Lorand, chef cab de Jean-Claude Marcourt, devient celui de Paul Magnette, et Eric Mercenier, chef cab de Fadila Laanan, dirige celui de Rachid Madrane.

Les transferts sont effectivement légion. De quoi donner le tournis. A l’exemple d’Eric Van Sevenant, chef cab, qui vient de quitter Rudy Demotte pour Jean-Claude Marcourt ; Nicolas Fragneau, autre chef cab adjoint, qui passe de Fadila Laanan à Rudy Demotte. De même que Laurence Christians, conseillère de Charles Picqué et de Rudi Vervoort, devient chef cab adjointe chez Paul Magnette. Ou Julie Lumen, qui après avoir servi dans les cabinets de Charles Picqué et de Rudi Vervoort, a reçu le poste-clé de  » facilitateur école « , chargée des projets de création de places d’école.

Les écuries socialistes ne semblent pas avoir trop souffert du changement de majorité fédérale. D’autant que d’autres nominations auront lieu au compte-gouttes, lorsque des mandats viendront à échéance. Reste en attente, pour 2014, le conseil d’administration de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) ou le poste de délégué général aux droits de l’enfant.

Par Soraya Ghali

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