Cet été-là… (2) 1946 par Philippe Noiret

Durant la période estivale, quelques personnalités françaises évoquent l’époque de leur adolescence. Cette semaine, le comédien Philippe Noiret revient sur 1946, l’année de ses 16 ans. Période décisive où il songea à monter sur les planches

Miss Ambre solaire

La tradition de la famille, originaire du Nord, était d’aller passer l’été au Touquet. Mais, durant les années de guerre, nous avons sympathisé avec des gens de Cavalaire, sur la Côte d’Azur, où nous sommes allés l’été 1946, dans une Chevrolet Bel Air magnifique, avec une étape dans la région lyonnaise – mon père, qui était représentant de commerce en vêtements, aimait les bonnes tables et m’a transmis ce plaisir.

A Cavalaire, je suis tombé très amoureux d’une jeune fille superbe, élue Miss Ambre solaire dans un de ces concours qui fleurissent encore aujourd’hui sur les plages de France. D’ailleurs, je me souviens très bien de l’arrivée, cet été-là, du Bikini, dont on fit grand bruit. On voyait, un peu partout, des photos de ce maillot deux pièces, on ne peut plus chaste par rapport à ce qu’on a connu par la suite. Néanmoins, j’étais ravi d’assister à des défilés, jusqu’à la piscine parisienne Molitor, porte d’Auteuil, que je fréquentais assidûment.  »

Citizen Welles

 » Mon principal centre d’intérêt restait le cinéma. J’allais voir tout et n’importe quoi. Je profitais de l’été pour me rattraper, car, durant l’année scolaire, je n’étais libre que le dimanche : renvoyé de Janson-de-Sailly, j’étais pensionnaire d’un collège religieux oratorien au fin fond de la Brie, à Juilly. C’est en fait l’un des pères, très sévère mais sympathique, qui m’a encouragé à faire de la scène et à poursuivre dans cette voie. Il a même écrit à mes parents ! Ce qui était étonnant, car le métier d’acteur n’était pas à la mode comme aujourd’hui. Et c’est précisément en 1946 que l’idée a commencé à me trotter dans la tête. Dans le parc du collège, il y avait un petit théâtre, où on jouait des pièces et des sketchs. Je n’imaginais pas un instant me retrouver dans un film, mais monter sur les planches, pourquoi pas ?

Le comédien que j’admirais le plus était Raimu. J’ai été très choqué par sa mort, survenue, sans crier gare, à la fin de l’été [le 20 septembre]. Il devait subir une opération bénigne – je crois, sauf le respect que je lui dois, qu’il avait un problème d’hémorroïdes. J’avais été frappé qu’une chose si anodine le fasse passer de l’autre côté.

Mais le choc de ma vie, ou au moins de ma jeunesse, a été la sortie, début juillet, de Citizen Kane, d’Orson Welles. Pour la première fois, je percevais, derrière une £uvre, un artiste dont je voulais connaître l’identité. Jusqu’ici, je me fichais du nom du réalisateur. Et il se trouve que celui-là était également l’acteur et l’auteur du filmà Cette découverte allait indubitablement changer ma perception du cinéma.  »

Viviane Romance, et moi, émoi

 » J’ai également un vague souvenir de la première édition du Festival de Cannes, relayée par les actualités présentant quelques créatures peu frileuses qui ne me laissaient pas indifférent. Il faut dire qu’à l’époque, question érotisme, il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. Mon premier émoi, qui provoqua chez le jeune spectateur que j’étais une tentative d’érection, chose nouvelle pour moi, fut Viviane Romance. Une femme magnifique, découverte avant guerre dans La Belle Equipe [Julien Duvivier], et que j’appréciais, une fois de plus, en 1946 dans Panique [Duvivier]. Elle dégageait une sensualité, une séduction qui faisait penserà Disons qu’on ne pensait qu’à ça ! Je lisais beaucoup, aussi. Mon Citizen Kane de la littérature demeurait Les Trois Mousquetaires, d’Alexandre Dumas. Comment un type pouvait-il avoir autant d’imagination et de brio pour raconter une histoire pareille ? Mon père, friand de Baudelaire et de Verlaine, m’avait transmis son goût de la poésie. C’est ainsi que Jacques Prévert, dont Paroles sortit cette année-là, est le premier auteur contemporain auquel je me suis intéressé.  »

Drames et légèreté

 » En revanche, je n’étais pas encore le papivore que je suis devenu. Mais, si je ne lisais pas les journaux, je ne pouvais rester sourd aux comptes rendus du procès de Nuremberg, que nous faisaient les actualités au cinéma. J’ai eu la chance de ne pas avoir à souffrir de la guerre comme d’autres, mais j’ai toujours été au fait des événements, par mon frère aîné, résistant dans le maquis de Tarbes, avant son incorporation dans l’armée du général de Lattre de Tassigny.

On parlait également beaucoup, cet été-là, des problèmes en Palestine. Encore sidéré par la découverte des horreurs nazies infligées aux juifs, on apprenait qu’eux-mêmes perpétraient des attentats à l’explosif contre les troupes britanniques installées à Jérusalem ; je pense notamment à celui de l’hôtel King David [22 juillet]. On se posait des questions. Auxquelles, soixante ans plus tard, nous n’avons toujours pas de réponse.

Je mentirais en disant que je me passionnais pour l’actualité. Je pensais plus à découvrir la capitale le nez en l’air, au gré du vent ; après avoir vécu à Toulouse, nous venions d’emménager à Paris. Mon père et moi en avons profité pour aller à Roland-Garros, lui coiffé de son superbe panama, moi de mon bob. C’est là que j’ai vu Yvon Petra, qui, un mois plus tard, remporta le tournoi de Wimbledon. Un immense gaillard qui avait ce qu’on appelle aujourd’hui un service canon. Bien que je ne sois pas passionné de sport, je me souviens aussi d’Alex Jany, qui, en juillet, inscrivait un record du 200 mètres nage libre. Son père, maître-nageur à la piscine municipale de Toulouse, m’avait donné quelques conseils. J’aime mieux vous dire que le roi n’était pas mon cousin et que je roulais mon crawl comme pas un.

Une certaine insouciance régnait sur ces beaux jours de 1946. Au sortir immédiat de la guerre, l’opinion publique ne se posait pas de questions : il y avait les bons d’un côté, les mauvais de l’autre. Le procès retentissant du Dr Petiot fut le premier voile qu’on leva sur une période finalement nauséabonde. Moi, je ne me rendais pas bien compte que nous vivions le premier été de paix, après une période dure. Mais je me souviens d’une atmosphère particulièrement agréable, d’une légèreté de vivre, d’un bonheur palpable. L’avenir appartenait à tout le mondeà  » l

Propos recueillis par Christophe Carrière

Christophe Carrière

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