» C’est l’obstruction au parlement bruxellois qui nous a mobilisés « 

Denis Ducarme, chef de groupe libéral à la Chambre, porte à bout de bras une résolution sur la reconnaissance du génocide arménien et défend l’arsenal gouvernemental de mesures contre le terrorisme. Objectif, dans les deux cas : faire ce qui était impossible avec le PS, plaide-t-il.

C’est le  » Monsieur Muscle  » du MR au Parlement. Son chef de groupe, aussi, qui défend la politique du gouvernement en cognant s’il le faut. En cette fin de session parlementaire, Denis Ducarme retrouve des dossiers qu’il affectionne particulièrement. Avec la volonté de rompre avec le passé.

Le Vif/L’Express : Le 18 juin, le Premier ministre, Charles Michel, a reconnu le génocide arménien au parlement. Un moment important. Doit-il être concrétisé par le vote d’un texte à la Chambre ?

Denis Ducarme : Non. La reconnaissance par le Premier ministre de ce génocide, au nom du gouvernement, devant la Chambre, est un geste tout à fait formel. C’est fait, la Belgique l’a reconnu, il n’y a rien à voter ! Et c’est historique : ça faisait vingt ans qu’on tournait autour de la question, qu’on n’osait pas le faire en raison, soyons clair, de pressions communautaristes exercées à l’encontre de certains partis. Mais nous voulions associer par ailleurs la Chambre à cette démarche. Voilà pourquoi un projet de résolution devrait être pris en considération ce jeudi 25 juin. Nous espérons qu’au-delà de la majorité, des députés de l’opposition s’associeront à ce texte et le voteront. Il reprend la déclaration du Premier ministre dans son intégralité, et contient des souhaits explicites de dialogue avec la Turquie pour avancer sur le chemin de la réconciliation.

Vous voulez piéger certains élus d’origine turque pour qui cette reconnaissance est difficile, dont le député PS Emir Kir ?

(Il sourit) Je ne veux piéger personne, chacun doit prendre ses responsabilités.

Certains députés, CDH notamment, réclamaient un texte plus dur, avec une pénalisation de la négation du génocide…

Ça peut faire partie du débat, je n’ai pas de difficulté avec ça, mais on ne peut pas non plus faire l’impasse sur le droit. La Belgique a posé un acte moral fort, mais le génocide en tant que tel n’a pas été reconnu par une Cour internationale, à la différence de la Shoah ou du génocide rwandais. C’est pourquoi, en 2012, la Cour constitutionnelle française a cassé la résolution prise par l’Assemblée nationale pour sanctionner ceux qui posaient un acte niant l’existence de ce génocide.

Il y a donc une faille à éviter ?

Voilà. Prendre un risque comme celui-là alors que l’on vient de poser un geste aussi fort, ce serait fragiliser la démarche. Mais le texte sera transmis à la Cour européenne des droits de l’homme en espérant qu’un tribunal international, à un moment donné, puisse prendre ses responsabilités comme nous les avons prises.

Craignez-vous des représailles de la Turquie ?

Certains lobbys ont compris que nous faisons la différence entre l’Empire ottoman et la Turquie d’aujourd’hui. L’idée n’est pas de condamner la Turquie, mais bien de porter un jugement moral étayé sur l’Histoire. Les mêmes comprendront que nous n’admettrons plus d’assister à ce qui s’est passé au gouvernement bruxellois, il y a deux mois. Des députés socialistes d’origine turque y ont empêché une minute de silence et ont, en outre, été félicités pour cette obstruction par la presse en Turquie. Je vais vous dire ceci : cet acte a mobilisé davantage nos volontés que toute autre chose. Ces personnes ont commis une faute politique majeure. Il faut envoyer un signal fort montrant qu’on ne plie pas devant ces communautarismes.

Pourquoi cette question, importante certes mais très symbolique, a-t-elle pris une telle acuité politique chez nous ?

C’est quand même l’année du centenaire de ce génocide. Il y avait déjà une volonté parlementaire de le reconnaître dans ce contexte. Mais cette démonstration communautariste inacceptable au parlement bruxellois a accéléré la volonté du Premier ministre de produire cet acte assez exceptionnel dans la vie d’un Etat.

Dans un autre registre, vous allez porter au Parlement, cet été, le plan en douze points de lutte contre le terrorisme. Une urgence ?

Le gouvernement est effectivement prêt à déposer les textes au Parlement et, à nos yeux, c’est une priorité absolue. Ces textes concernent notamment le retrait de la carte d’identité ou du passeport pour empêcher un candidat au départ en Syrie de s’en aller, l’interdiction des départs et la déchéance de la nationalité jusqu’à la deuxième génération pour ceux qui ont été condamnés pour une infraction terroriste. Ça fait trois ans au moins que je me bats pour qu’on prenne de telles mesures. Elles avaient été inscrites dans l’accord de gouvernement avant l’attaque dramatique contre Charlie Hebdo, qui a tout accéléré.

Espérez-vous une union nationale de tous les partis démocratiques sur ces textes ?

Il n’y en aura pas… Après les événements de Paris et de Verviers, on l’a cru un instant. Mais j’ai immédiatement senti, sur la question du déploiement des militaires, que ce désir était davantage une expression de façade qu’une adhésion sur le fond. Quand on a présenté ce plan complet au Parlement, j’ai entendu certains députés nous comparer à un gouvernement de Pinochet ou pire encore. Moi qui travaille sur les questions de radicalisme et de terrorisme depuis dix ans, je me dis qu’on aurait dû déployer cet arsenal de mesures beaucoup plus tôt. On a visiblement cru que la menace ne nous concernait pas. Il a fallu qu’il y ait la Syrie pour qu’on se rende compte que tout ce dont nous parlions alors n’était pas l’effet de personnes qui cultivaient de mauvais fantasmes. Ce qu’on fait aujourd’hui, nous n’aurions pas pu le faire avec le PS ou avec la gauche de manière générale.

Pour une question de principe ?

D’idéologie, mais aussi, et surtout, pour une question de communautarisme, soyons clair.

Là aussi ?

C’est évident. Quand Laurette Onkelinx compare devant les caméras les départs en Syrie des jeunes Belges aux départs des résistants pour la guerre d’Espagne, vous avez compris… Pendant des années, on a joué avec la sécurité des citoyens soit par excès de naïveté, soit pour les mauvaises raisons que je viens d’exposer. Il était essentiel que le gouvernement avance de manière franche sur ces questions tout en nouant d’excellentes relations avec les représentants du culte musulman. Car le président de l’Exécutif des musulmans a d’emblée soutenu un certain nombre de ces mesures. C’est indiqué clairement dans la déclaration commune que les représentants de tous les cultes ont pu faire après les événements de Paris et de Verviers. Nos meilleurs alliés contre les islamistes, ce sont les musulmans de Belgique eux-mêmes, parce qu’ils en ont assez d’être des victimes directes ou collatérales des radicaux qui abîment notre vivre ensemble.

Entretien : Olivier Mouton

 » Nos meilleurs alliés contre les islamistes, ce sont les musulmans de Belgique eux-mêmes  »

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