C’est l’amour à la plage…

Avec un Elisir d’amore (Donizetti) très coloré, La Monnaie distille, derrière la franche bonne humeur, une comédie plus aigre que douce…

C’est la fin de l’été, et La Monnaie (installée temporairement au Cirque royal, à Bruxelles) nous fait ce cadeau d’encore un peu le prolonger : pour ces housses rayées bleu et blanc sur les sièges du parterre, pour le drapeau vert flottant à la brise chaude d’une soufflerie cachée, pour les membres de l’orchestre et leur chef Thomas Rösner prenant place dans leurs tenues follement incongrues – chapeaux de paille, bermudas fluo, chemises tahitiennes, paréos bariolés… merci. Merci aussi pour la déclinaison sans faille d’un farniente estival, d’un bout à l’autre de cet Elisir d’amore : tout y est, les bouées girafes ou crocodiles, les bêtes magazines, le bar, les tongs, les chips, les boomboxes, les crèmes solaires et les gels douches, dont l’écoeurant mélange de parfums monte haut, haut dans les gradins. Tout y est, sauf la mer, bien sûr. Car c’est la plage qui compte ici, celle qui accueille chaque saison, aussi stupides ou réglés que la vie qu’elle y décline, ses lots de drames amoureux et d’estivants aux habitudes mesquines.

Voilà la frivole Adina, qui éveille la passion de l’arrogant sergent Belcore et de son rival malheureux, un plagiste nommé Nemorino. Particulièrement ridicule (mais on l’est toujours, n’est-ce pas, quand on est épris), poète et crédule, le gamin transi pense trouver son salut dans une boisson énergisante dont le marchand ambulant Dulcamara vient vanter les mérites aux vacanciers. Parodie des events qu’organisent les marques de drinks dans les stations balnéaires de la planète entière, l’arrivée du charlatan illumine le premier acte d’un baratin assez drôle (qui doit beaucoup au talent de la basse Riccardo Novaro). Nemorino croit tellement au pouvoir de cette boisson miracle, qu’il acquiert, peu à peu, une assurance  » naturelle  » qui lui permet d’au moins feindre d’ignorer Adina. Laquelle se met soudain à trouver le naïf à son goût, et d’autant plus quand le jeune homme, devenu fortuné par la grâce d’un testament inopiné, se voit subitement convoité par une nuée de prétendantes. Face au viril Belcore (Armando Noguera ou Aris Argiris), la soprano belge Anne-Catherine Gillet (en alternance avec Olga Peretyatko) est absolument formidable en Adina coquette, pragmatique et bientôt clairvoyante.

Le deuxième acte, qui illustre le revirement de certains sentiments, se déroule toujours sur le sable (artificiel) : les ateliers de La Monnaie y ont adapté un énoooooorme gâteau de mariage gonflable, qui sert aussi de piscine. Bataille d’eau, bain de mousse, jet de bulles de savon. Mais derrière l’humour glissent de vraies larmes. Car tout ça est bien triste, en vérité, quand même l’actualité nous rappelle combien la plage, parfois, se montre cruelle aux tout-petits. L’Elisir, c’est sûr, ne se résume pas à une simple farce. Dans cette oeuvre (la treizième la plus jouée au monde) où il n’est finalement question que de jalousie, de pouvoir et de domination habilement dissimulés sous les tendres manifestations du désir, Donizetti nous invite à un peu de lucidité : comme si un simple breuvage et un bel héritage pouvaient jamais induire un véritable amour, allez ! Réécoutez Una furtiva lagrima : dans ce morceau de bravoure pour grands ténors, Nemorino (touchants Antonio Poli et Dmitry Korchak) traduit la quête infinie du besoin universel d’être aimé. Il est d’ailleurs piquant de constater que cette romance désespérée reste le morceau le plus célèbre d’un opéra pourtant dit  » comique « . Ceux qui n’y verraient que la plainte d’un benêt déçu se fourvoient. Mais que la musique leur soit douce, malgré tout : les baigneuses-choristes en Bikini, les secouristes, les policiers et leur chien noir dessinent un univers parfaitement Playmobil dont on se régale tout au long de la partition, comme des enfants goulus, repus aux inestimables saveurs de l’été.

L’Elisir d’amore, de Gaetano Donizetti, au Cirque royal, à Bruxelles. Jusqu’au 18 septembre. www.lamonnaie.be

Valérie Colin

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