Ce n’est pas la fin des remous pour la suédoise

Malgré le tax-shift, Charles Michel n’est pas au bout de ses peines… Quinze jours après l’accord fiscal, le CD&V est au bord de la rupture.

La promesse a été tenue, oui. Mais l’édifice reste fragile. Le gouvernement Michel a bouclé, le 23 juillet dernier, un ambitieux tax-shift, à hauteur de 7,2 milliards.  » De par son envergure, ce n’est pas une opération classique, se félicitait Charles Michel au lendemain de l’exercice. Je n’en ai vu aucune d’une telle ampleur à la Chambre ces dernières années.  » Rideau. Depuis, le Premier ministre profite de vacances bien méritées – il a mis le cap sur le sud de la France, dans la maison familiale, avant une escapade à moto.

A priori, Charles Michel est parti le coeur léger. Ce fut une réelle prouesse de mener à bien ce dossier budgétaire et fiscal après les surenchères du printemps au sein de sa majorité. Tant et si bien qu’au lendemain de l’accord, bien des analystes politiques estimaient qu’à ce rythme, la suédoise pourrait déjà rêver d’une deuxième législature au pouvoir.  » L’année passée, tout le monde considérait que le gouvernement tomberait dans les deux semaines, minimisait le Premier ministre avant son départ. Je n’étais pas impressionné par ces commentaires et je ne le suis pas davantage par ceux qui disent aujourd’hui que nous sommes partis pour dix ans.  »

A juste titre. Probablement se doutait-il que deux semaines après l’accord, la perception changerait, surtout au nord du pays.  » Au moment de la communication du tax-shift, tout le monde était euphorique au sujet de l’efficacité du gouvernement Michel, reconnaît Carl Devos, politologue à l’université de Gand. Mais aujourd’hui, on s’aperçoit que l’accord fragilise fortement le CD&V, ce qui est une très mauvaise chose pour la coalition.  » L’histoire agitée de la suédoise n’est donc pas finie, même si l’équipe Michel a déjà mis sur la table la plupart de ses réformes structurelles et impopulaires.

Un danger : le CD&V est déchiré

Un tax-shift ambitieux ? C’est pourtant ce que le CD&V réclamait depuis des semaines.  » On avait demandé une solution avant les vacances, ce qui a été le cas « , se félicitait d’ailleurs son vice-Premier ministre Kris Peeters. Mais le week-end suivant l’accord, déjà, le malaise interne s’exprimait et Bart Sturtewagen, éditorialiste en chef du Standaard, tirait la sonnette d’alarme : la position du CD&V au sein de la coalition est  » inconfortable « , le parti est  » isolé « , coincé par une alliance objective sur le plan socio-économique entre la N-VA et l’Open VLD, fragilisé aussi par l’accointance inattendue entre le parti nationaliste et le MR. La faiblesse des sociaux-chrétiens flamands est la conséquence d’un choix historique : pour la première fois, ils n’ont pas le leadership du gouvernement après avoir refusé le poste de Premier ministre.

Depuis, le constat est unanime.  » Le parti qui a le plus insisté pour un tax-shift est celui qui a le moins pesé sur le résultat « , analyse Dave Sinardet, politologue à la VUB.  » Le parti pivot des coalitions est seul responsable de la situation infernale dans laquelle il se trouve, prolonge Pascal Delwit (ULB). Bien sûr, au CD&V, on a le sens du sacrifice. Donc, on boira le calice jusqu’à la lie.  »  » Le CD&V est ultradominé dans un gouvernement à consonance très libérale, acquiesce leur collègue gantois Carl Devos. Avec l’Open VLD, le MR et la N-VA, c’est du trois contre un ! Le CD&V avait fait de nouvelles promesses sociales très ambitieuses après la formation du gouvernement, mais elles sont impossibles à tenir. Le tax-shift devait être, pour lui, la compensation des mesures antisociales comme le saut d’index ou la réforme des pensions, mais c’est loin d’être le cas.  »

Les messages se multiplient pour atomiser les chrétiens-démocrates jusque dans leurs propres rangs.  » C’est un glissement fiscal dans le porte-monnaie des gens, les capitaux échappent une nouvelle fois à la danse « , grince Patrick Develtere, président de Beweging.net, nouveau nom de l’ACW (Mouvement ouvrier chrétien), en référence à l’augmentation minime du précompte immobilier et à la création aléatoire d’une taxe sur la spéculation.  » Avec moins de moyens, nous ne pourrons pas faire davantage « , râle Luc Van Gorp, le nouveau patron des Mutualités chrétiennes : le CD&V avait promis que l’on ne toucherait plus aux dépenses sociales, mais les mutualités doivent contribuer à l’effort global à hauteur de 100 millions d’euros.  » Nous restons sur notre faim au vu des résultats de la négociation « , soupire Wim Soons, président des jeunes du CD&V, en regrettant la contribution minime du capital, mais aussi l’annonce d’une nouvelle régularisation fiscale.

S’il ne conteste pas la participation gouvernementale du CD&V aux côtés de la N-VA, Wim Soons ajoute un constat préoccupant :  » La grande question est de savoir si l’électeur veut encore d’un parti du centre en Flandre. Pour le convaincre de répondre positivement, le CD&V devra boxer au-dessus de sa catégorie.  » Marc Hooghe, politologue à la KUL, traduit cela à sa manière :  » Le CD&V n’est plus un grand parti, mais il ne le sait pas encore… Et il est si seul sans ses piliers.  » Pour l’ancien Premier ministre social-chrétien Mark Eyskens, qui n’est certes plus la voix de référence dans son parti, la conclusion est toute trouvée :  » Après les élections, poursuivre la tripartite avec un Premier ministre CD&V aurait probablement été un meilleur choix.  »

Le chemin de Michel reste miné

Ce n’est pas un hasard si Kris Peeters est resté au pays pendant les vacances : il se contentera… d’une escapade à moto avec Charles Michel.  » Je comprends aux réactions qu’il faut encore beaucoup communiquer « , s’est contenté de réagir le vice-Premier ministre CD&V, laconique. Sa mission, au-delà d’un effort pédagogique indispensable ? Peser d’ici à la fin août sur les nombreuses zones d’ombre qui subsistent dans l’accord : la répartition effective de la diminution des charges patronales, la neutralisation ou non de l’augmentation de la TVA sur l’électricité (avec la menace d’un second saut d’index) ou encore la concrétisation en textes précis de la taxe sur la spéculation.  » Il y a une ligne à ne pas dépasser, insiste-t-il en guise de mise en garde à ses partenaires flamands. Nous restons positifs, mais nous sommes vigilants.  »  » Beaucoup de points de l’accord doivent encore être réglés, et le diable se cache souvent dans les détails « , insiste Carl Devos.

Une crise gouvernementale est-elle envisageable ? C’est peu probable dans l’immédiat. Le CD&V n’a aucun intérêt à tirer la prise, ce serait suicidaire au vu de son bilan famélique.  » Attention, toutefois, car à force de le pousser dans ses retranchements, le CD&V peut devenir dangereux, avertit le politologue gantois. Car, à ce rythme, on en arrive tout doucement à la limite de la destruction pure et simple du parti.  » Rien de moins… En outre, deux échéances délicates se profilent pour le parti de Wouter Beke. En 2016, les élections sociales mettront à rude épreuve les nerfs de l’ACV (équivalent de la CSC), son syndicat frère, dont les disputes avec la FGTB sont d’ores et déjà homériques. Et, en 2018, le CD&V devra défendre son leadership dans les communes de Flandre face à la N-VA, qui vise la première place au niveau local. Un bras de fer susceptible de faire tanguer le navire fédéral.

Pour se rassurer, les sociaux-chrétiens flamands se diront que le plus dur est fait. En une petite année, le gouvernement Michel a entamé la plupart de ses réformes structurelles majeures, dispensant à la population ses effets d’annonce les plus impopulaires sous le mot d’ordre d’une  » prise de responsabilité  » : relèvement de l’âge de la pension, saut d’index, coupes claires dans les dépenses publiques…  » Ce n’est pas à une pluie de mauvaises nouvelles à laquelle les gens ont eu droit, mais à une drache, à débit constant « , s’irrite Laurette Onkelinx, cheffe de groupe PS à la Chambre. Le 7 octobre prochain, les syndicats organisent une manifestation nationale pour le dénoncer. Mais le front commun est fragile : cet été, l’union syndicale a souffert d’une vive polémique personnelle entre Marie-Hélène Ska (CSC) et Marc Goblet (FGTB). Là encore, une division qui sert la majorité.

 » Il reste du travail  »

A l’automne chaud qui s’annonce, le gouvernement fera donc le gros dos. Désormais, Charles Michel et les siens espèrent cueillir aussi vite que possible les fruits des efforts consentis par la population. En termes de croissance et de  » jobs, jobs, jobs « , pour reprendre les termes de l’invective du Premier aux entreprises. Selon les dernières estimations de la Banque nationale, l’embellie se dessine. Le produit intérieur brut (PIB) devrait croître de 1,3 % en 2015 – une amélioration sur le front du chômage se fait ressentir à partir d’une croissance supérieure à 2 %.

La suédoise va-t-elle désormais se contenter de gérer le tout-venant en marge des débats parlementaires ? Ce n’est pas le genre de la maison Michel.  » Le travail du gouvernement ne s’arrête pas là, insiste le Premier ministre. Les mesures doivent être concrétisées et nous devons monitorer toutes les évolutions, c’est vrai. Mais il reste d’importants dossiers : la justice, la SNCB, la défense, les pensions, l’énergie… Quand on vient de boucler une réforme de 7,2 milliards, ne me demandez toutefois pas de vous dire qu’on repart pour trouver 7 milliards demain.  » De la relance du nucléaire à la modernisation des chemins de fer, le cadre est fixé. Parmi les sujets sur lesquels la majorité s’était engagée à bouger avant la fin juillet, seule la réforme de la défense et le remplacement de nos F-16 reste dans les limbes. Des dossiers sensibles, certes, mais qui n’ont pas l’ampleur d’une révolution socio-économique.

 » On peut légitimement se demander ce qu’il restera à faire ces prochaines années, au-delà de la concrétisation des accords déjà conclus, souligne Carl Devos. Le tax-shift n’est pas vraiment un scénario ambitieux et novateur en termes de réforme fiscale, il pourrait y avoir un nouveau round quand la conjoncture sera meilleure. De même, il reste l’opportunité d’une grande réforme du marché du travail ou d’une modification du système des salaires. Mais pour tout cela, le MR aura besoin du CD&V…  »

La hauteur des prochaines ambitions de la suédoise se mesurera à la force de sa cohésion interne. S’il veut éviter des convulsions plus fortes à la rentrée, Charles Michel devra rapidement revitaliser la relation de confiance nouée avec Wouter Beke, président du CD&V. Celle-ci fut déterminante au moment de la naissance de l’actuelle majorité, elle doit désormais l’être au moment où l’un des deux partenaires vacille.

Par Olivier Mouton

 » Ce n’est pas à une pluie de mauvaises nouvelles à laquelle les gens ont eu droit, mais à une drache, à débit constant  »

 » Quand on vient de boucler une réforme de 7,2 milliards, ne me demandez toutefois pas de vous dire qu’on repart pour trouver 7 milliards demain  »

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