Carte des presses
Ce midi-là, dans les salons chics d’un hôtel bruxellois, Christian Van Thillo, fringant patron du Persgroep, le puissant éditeur du Laatste Nieuws et du Morgen, n’y va pas par quatre chemins. Aux responsables de médias et d’agences de pub venus l’écouter, il souligne qu’il y a bien trop de quotidiens en Belgique et que, comparé au marché américain, il n’en faudrait qu’un seul par communauté linguistique. Le propos se voulait froidement économique et non politique, bien sûr. Tenu voici plusieurs années, il reste pourtant d’actualité, et sans doute davantage au sud qu’au nord du pays.
Les 4 millions de francophones se partagent en effet pas moins de 15 journaux quotidiens quand les 6 millions de Flamands n’en ont que 10. A quoi s’ajoute, au Sud, le Grenz Echo, unique journal de la communauté germanophone. Mais, derrière ce foisonnement de titres, dont beaucoup sont des déclinaisons régionales d’un même quotidien, on ne trouve que 3 éditeurs francophones. Rossel est le plus puissant d’entre eux, avec Le Soir pour vaisseau amiral, les régionaux de sa filiale Sud Presse, le quotidien économique L’Echo (qu’il détient à égalité avec le Persgroep), et plusieurs périodiques. IPM publie essentiellement deux titres » nationaux « , bien différents dans leur vocation et leur sensibilité : La Dernière Heure mise surtout sur le fait divers et le sport, La Libre Belgique se veut journal de référence et de débat. Enfin, Mediabel, le seul non-bruxellois du trio des éditeurs, se consacre exclusivement, depuis Namur, à l’information régionale avec pas moins de 5 titres bâtis autour de Vers l’Avenir.
Ce paysage de la presse écrite francophone comporte quelques curiosités. Ainsi, il n’existe plus, depuis la mort du Matin en avril 2001, de quotidien s’affirmant de gauche. Dans une Wallonie majoritairement socialiste, cet écart entre électorat et lectorat est assez paradoxal. Le premier newsmagazine de la Communauté française – Le Vif/L’Express – appartient en copropriété à un éditeur flamand (Roularta) et à un éditeur parisien (Socpresse). Ce n’est d’ailleurs pas le seul exemple de présence flamande dans les médias francophones. Editrice, entre autres, du Standaard, la VUM est le principal actionnaire du groupe Mediabel, tandis que le Persgroep détient la moitié de L’Echo. Mais le mouvement inverse existe aussi puisque Rossel possède 50 % du Tijd. Enfin, deux des trois éditeurs francophones sont des familles (Hurbain chez Rossel, le Hodey chez IMP).
Ignorance réciproque
Sur le terrain audiovisuel, les choses sont un peu plus comparables entre francophones et Flamands. Quoique. Les premiers ont aussi leurs chaînes publiques ( La Une et La Deux de la RTBF), privées (celles de RTL-TVI et celle du groupe AB), à péage (Be TV) et locales. Mais, contrairement à la Flandre où l’ex-BRT fut toujours centralisatrice, la RTBF créait, voici plus de quarante ans, des centres régionaux à Liège, Namur, Mons, Charleroi et Bruxelles. Les sensibilités sous-régionales, très vivaces en Wallonie, y trouvaient leur compte, mais pas toujours l’organisation rationnelle de la chaîne publique. Depuis peu, ces centres ne sont plus des » mini-RTBF « , mais des lieux de production spécialisés.
Au-delà des chiffres et des structures, le sud et le nord du pays affichent aussi des différences au sein même des rédactions. Aux yeux des francophones, les rédacteurs politiques flamands ont la réputation d’être volontiers plus agressifs, y compris sur les thèmes communautaires. En revanche, vis-à-vis de l’extrême droite, les médias francophones observent une distance critique de moins en moins de mise en Flandre. Il est vrai que l’environnement politique n’a rien de comparable. Mais le groupe VUM devait-il pour autant accepter les publicités du Vlaams Belang en novembre 2004 ?
Les étrangers le découvrent parfois avec surprise : la Belgique ne dispose d’aucun média bilingue, exception faite de l’agence Belga – seule passerelle d’informations entre les communautés – et… du Moniteur, qui ne paraît plus que sous forme électronique. Tout cela n’est pas neuf. Par contre, l’ignorance réciproque des médias audiovisuels ou écrits pour l’autre communauté ne fait que s’accroître. Si les francophones ouvrent encore un peu leur presse à l’actualité flamande, l’inverse est devenu rarissime. » Nous traitons la Wallonie comme un pays étranger « , confirment en substance des rédacteurs en chef et analystes flamands. Un » pays » qui a droit de cité lorsque les événements qui s’y déroulent répondent aux attentes et aux clichés des médias…
Jean-François Dumont
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