Le 70e festival de Cannes s’ouvrira mercredi prochain, célébrant le glamour et le cinéma d’auteur. Avec Monica Bellucci pour maîtresse de cérémonie.
Cannes représente toujours un moment spécial. Unique. La première fois que j’y suis allée, je me suis retrouvée à gravir les marches du palais avec Gene Hackman et Morgan Freeman. Je tremblais. Sarah Bernhardt a dit que la peur fait partie du talent. Cette phrase me sert d’excuse : je continue en effet, encore aujourd’hui, à trembler à chaque tapis rouge. Les cris des photographes, les flashes sur les visages, les regards des gens… On se croirait dans une arène. Et tout cela n’a rien à voir avec le coeur même du métier de comédienne. Travailler un rôle se fait dans la solitude. » (1) Maîtresse de cérémonie du 70e festival de Cannes, une fonction qu’elle avait déjà occupée en 2003, Monica Bellucci exprime en termes choisis, dans son autobiographie qui paraît ses jours-ci (et dont on lira les bonnes feuilles en page 71), l’étrange alchimie présidant à la manifestation. Si Cannes est sans conteste la Mecque du cinéma d’auteur portant, bon an mal an, un regard aiguisé sur le monde, le festival s’est aussi imposé comme temple du glamour, en une cohabitation harmonieuse certes pas étrangère au mythe cannois, ni à sa pérennité.
Stars, starlettes, égéries et autres, c’est aussi l’éternel féminin que l’on célèbre ici – postulat encore vérifié tout récemment avec la somptueuse affiche du millésime 2017, cliché d’une toute jeune Claudia Cardinale virevoltant sur un toit de Rome en 1959. Et affirmé d’entrée de jeu, en 1946, lorsque la femme fatale s’invitait sur la Croisette sous les traits de Rita Hayworth, flamboyante héroïne de Gilda, de Charles Vidor, l’un des films en compétition lors de la première édition du festival dont l’histoire a retenu que le prix d’interprétation féminine revint à Michèle Morgan (celle-là même à qui Jean Gabin donnait du » T’as de beaux yeux, tu sais… » quelques années plus tôt dans Quai des brumes, de Marcel Carné) pour La symphonie pastorale, de Jean Delannoy.
De la dynamite en forme de confiserie fine
A leur suite, elles seraient nombreuses à écrire l’histoire de la manifestation, déclinant au féminin un mouvement que le sociologue Edgar Morin a su admirablement décrire dans la revue Les Temps modernes, en 1955 : » De même que, lors des Anthestéries, les morts reviennent parmi les vivants, de même tous les ans, au festival de Cannes, les vedettes impalpables quittent la pellicule et s’offrent au regard des mortels ; elles s’incarnent en un être fragile et daignent avoir un corps, un sourire, une démarche terrestre, distribuent cette preuve tangible de leur incarnation corporelle, l’autographe […] » (2) Les années 1950, où le culte de la star est sans doute à son apogée, alimenteront ainsi généreusement la légende cannoise : initiales B. B. quand rayonne Brigitte Bardot, d’abord starlette de 1953, puis star et enfin divinité descendue de son Olympe lorsque, en 1967, elle débarque aux portes du palais. Elle déclenche une cohue indescriptible – son compagnon d’alors, Gunter Sachs, implore, affolé : » Surtout, ne me l’écrasez pas » -, semblant devoir éclipser jusqu’à la Palme d’or octroyée à Blow-Up, de Michelangelo Antonioni (on peut en trouver une trace éloquente dans les archives de l’INA). Conte de fées mêlant stars et strass lorsque, venue présenter Country Girl, de George Seaton, sur la Croisette en 1955 (et non, comme souvent rapporté erronément, To Catch a Thief, d’Hitchcock, tourné à Cannes l’année précédente), Grace Kelly est invitée par un photographe de Paris Match, Pierre Galante, futur époux de Olivia de Havilland, à Monte-Carlo où elle rencontre Rainier de Monaco, avec qui elle se mariera un an plus tard, délaissant le firmament hollywoodien pour une existence de princesse. Scandale, et épisode tragique, lorsque, un jour de 1954, Simone Silva tombe le soutien-gorge sur la plage, sous le regard concupiscent d’un Robert Mitchum rigolard lui offrant la couverture de ses mains. Le grand Bob n’en était pas à une fredaine près, n’ajoutant là qu’une énième péripétie à sa réputation de bad boy ; la starlette britannique aura moins de chance et mourra trois ans plus tard à Londres après s’être vue refuser un permis de travail aux Etats-Unis… Eclat incandescent, enfin, du passage de Kim Novak sur la Croisette au printemps 1956, objet d’un reportage télévisé pour Reflets de Cannes dont le commentaire, mélangeant lyrisme et hyperbole a, aujourd’hui, le don de laisser rêveur : » C’est un cyclone de douceur, de la dynamite en forme de confiserie fine […] Ici, son apparition a brusquement fait oublier tout le reste. Toutes les petites pin-up, fussent-elles à 12 millions par film, ont senti passer le long de leur suave colonne vertébrale un véritable frisson de la mort. […] On ne sait pas encore si cet admirable ustensile de salon est doué de la parole, mais ce que l’on sait en tout cas, c’est que cela n’a aucune importance… » (3) Et l’on pourrait ainsi multiplier les exemples à foison.
Soixante ans plus tard, les temps ont changé, et le festival de Cannes avec eux. Mais si on lui reproche, pas toujours à tort, une dérive quelque peu bling-bling, glamour et cinéma d’auteur y entament toujours le même pas de deux. Et le rituel du tapis rouge de se répéter inlassablement, où défile tout ce que la planète cinéma compte de stars. Si, comme le disait François Truffaut, » les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie « , c’est encore un peu plus vrai à Cannes : démonstration dans quelques jours, avec la présence annoncée de Nicole Kidman, Charlotte Gainsbourg, Kristen Stewart, Tilda Swinton, Adèle Haenel, Aure Atika, Diane Kruger, Sherilyn Fenn, Jeanne Balibar, Elle Fanning, Marine Vacth, Kirsten Dunst, Jacqueline Bisset, Jessica Chastain, Alba Rohrwacher, Michelle Williams, Fan Bingbing, Isabelle Huppert et autre Julianne Moore. Sans oublier Vanessa Redgrave, double prix d’interprétation féminine, en 1966 pour Morgan et en 1969 pour Isadora, et qui viendra présenter son premier long-métrage comme réalisatrice, Sea Sorrow. Manière de concilier élégance, cinéphilie et engagement dans le monde, cette (sainte) trinité cannoise…
(1) Rencontres clandestines, par Monica Bellucci et Guillaume Sbalchiero, éd. de l’Archipel, 140 p.
(2) » Notes pour une sociologie du festival de Cannes « , cité dans D’or et de palmes : le festival de Cannes, par Pierre Billard, Ed. Découvertes Gallimard, 1997.
(3) http://bit.ly/2qgoN8q
Par Jean-François Pluijgers