Bryan Ferry revisite Dylan

Le Narcisse britannique s’attaque au répertoire du misanthrope du Minnesota pour un Dylanesque quasi rhythm’n’blues. En prélude au concert anversois, une interview dominée par l’après-guerre et l’enfance anglaises

L’été dernier, l’enregistrement du nouvel album de Roxy Music – le premier depuis Avalon, en 1982 – s’est sérieusement embourbé. Ferry a alors ressorti un vieux fantasme de ses grimoires : réaliser un disque entier des reprises de Bob Dylan. Aussitôt dit, aussitôt bouclé en trois jours de studio, du jamais-vu pour le crooner maniaque abonné aux sessions interminables. De cette fougue sont nés onze versions perso, dont un bouleversant Make You Feel My Love, et des comptes rendus élégants de Positively 4th Street et Gates of Eden. Le folk-rock crypté de Dylan s’est transformé en r’n’b briton, avec la voix veloutée de Ferry jouant du vénéneux dylanesque avec décontraction.

Le Vif/L’Express : Trois jours pour enregistrer un album : pour vous, c’est à proprement parler un miracle, non ?

EBryan Ferry : Tout à coup, j’ai retrouvé le même esprit, la même spontanéité que lors de mon premier disque solo en 1973, où j’avais d’ailleurs repris une chanson de Dylan – A Hard Rain’s A-Gonna Fall. J’ai senti que je devais donner un autre  » produit  » à mon public. Je pensais que ce serait un nouveau disque de Roxy Music mais, après quelques mois de boulot, je me suis rendu compte qu’il nécessitait encore un an, voire deux, de travail.

Mais, au début, Dylan n’était pas du tout votre truc musical.

EExactement, j’étais dans le rhythm’n’blues, Stax, Motown, et je me suis intéressé à lui quand il est devenu électrique parce que c’était compliqué de danser sur ses paroles de folk acoustique ( rires). A un moment, j’ai réalisé que les chansons étaient magnifiques ! J’ai voulu faire ses morceaux sans artifice : mon Gates of Eden sert l’interprétation de ce paysage abstrait et surréaliste dont je ne sais même pas si c’est une chanson religieuse. C’est intéressant de voir l’autre côté, vulnérable, de Dylan : ce type simple dans un endroit glauque, comme s’il était de retour dans les plaines froides et solitaires du Minnesota, alors que, dans ses premières chansons, il projette une image forte et énergique…

Vous êtes né en 1945 à Washington, une communauté minière du nord-est de l’Angleterre. Dylan est né en 1941 à Duluth, Minnesota, mais a passé son enfance dans une autre ville décentrée et également minière, Hibbing. Cela constitue une sorte de parcours parallèle, non ?

EOui, j’y ai pensé. Washington était une localité blue collar, pas très glamour. C’est donc un endroit parfait pour quelqu’un qui veut davantage de la vie ! ( Rires.) Nos aspirations communes étaient de partir ailleurs, Londres, Paris, New York. J’étais fasciné par le monde de l’art, que j’ai étudié. Je ne pensais pas avoir un quelconque talent pour la musique. Ce qui est intéressant, c’est que Dylan et moi avons écouté le même genre de rock’n’roll à la Fats Domino, Little Richard ou Elvis Presley, sans oublier le blues à la Leadbelly. Dylan a créé son monde, et moi, le mien, plutôt différent ( silence). Mes parents n’avaient pas de tourne-disque mais un piano, pour lequel on achetait des partitions chaque semaine dans les années 1950…

Sentiez-vous encore les dommages de l’après-guerre ?

EComplètement. On avait encore des coupons pour avoir du jus d’orange, du lait. Nous n’avions ni téléphone ni frigo, mais, de toute manière, il faisait toujours froid !( Rires.) Cela semble dur mais, à l’époque, cela paraissait formidable ( silence). Mes parents vivaient pour leurs enfants, le golden boy et ses deux s£urs ! ( Rires.) Ma mère mettait beaucoup d’espoir en moi, elle voulait absolument que j’aille à l’université, que je sois  » éduqué  » !

Quel était le métier de votre père ?

EDans les années 1930, le business des fermes s’est écroulé, les gens crevaient de faim. Il a trouvé un boulot à un kilomètre de là, dans une mine où il s’occupait des chevaux. C’était un type simple, tombé amoureux de ma mère qui venait de la ville : il est venu la voir, sur un cheval, avec son chapeau boule pendant dix ans, avant de l’épouser…

Qu’ont-ils dit la première fois qu’ils vous ont vu à Top of the Pops (NDLR : LE show musical anglais des seventies), en chanteur glamour de Roxy Music ?

EIls étaient totalement… bluffés, ils avaient l’impression de voir un type débarqué de Mars. Pour leurs dix dernières années, ils ont vécu avec moi dans la campagne ou j’avais acheté une propriété au mitan des seventies. C’était formidable de voir mon père en jardinier doué…

Vous êtes récemment apparu dans une pub pour Burberry avec deux de vos fils. Est-ce la transmission d’un certain dandysme ?

EMes deux fils ne sont pas exactement aussi bien que moi ! ( Il rigole.) Non, celui de 23 ans, Otis, est plus célèbre que moi mainte-nant ! Il est devenu une sorte de Robin des bois en Grande-Bretagne, il milite contre la proposition de loi sur la chasse à courre, il prend la parole au Parlement. Ces temps-ci, les gens me demandent :  » Comment va votre fils ? « , alors que je pensais qu’ils allaient me dire qu’ils aimaient mon dernier disque ! ( Rires.)

En parlant de parents, je pense que vous avez tué le père Dylan avec votre propre version de Positively 4th Street !

EOui, d’une certaine façon. Je ne sais pas si cela m’apportera une reconnaissance supplémentaire en Amérique. Vous savez, c’est curieux, j’ai étudié l’art avec Richard Hamilton, grand artiste anglais de pop-art qui colportait évidemment l’image parfaite du fantasme américain, genre  » Un jour, j’irais habiter à New York dans un loft et deviendrai un artiste  » ( rires) et cela ne m’est pas arrivé ! L’Amérique a eu une énorme influence sur ma vie mais, aujourd’hui, en dehors de New York et de L.A., elle me semble loin de mon travail. Je ne sais même pas si j’irai là-bas avec ce disque. L’Europe est devenue un endroit tellement fantastique…

CD Dylanesque, chez EMI. Bryan Ferry est en concert le 29 mars à la salle Reine Elisabeth d’Anvers, www.livenation.be. Bob Dylan est en concert le 6 avril à Forest-National,

www.forestnational.be.

Entretien : Philippe Cornet

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