Bruxelles Babel, deuxième ville la plus cosmopolite d’Europe

Selon des statistiques récentes, la population bruxelloise est composée d’un tiers de ressortissants étrangers. Mais les communautés vivent souvent des réalités diamétralement opposées. L’emploi, l’enseignement ou encore le logement alimentent les contrastes.

Ils sont fonctionnaires, habitant de cossues villas dans les quartiers chics. Ils sont clandestins, débarqués avec l’espoir de trouver un emploi. Ils sont cadres supérieurs, venus s’installer au coeur du Vieux Continent pour leurs affaires. Ils sont citoyens européens, profitant de la libre circulation des travailleurs. Ils sont hyperqualifiés, débauchés pour combler des pénuries de main-d’oeuvre. Ils sont époux, épouses ou enfants, retrouvant leur famille suite à une procédure de regroupement.

Ils sont un peu tout ça à la fois, ces 33,8 % de ressortissants étrangers vivant à Bruxelles. Ce chiffre, publié début octobre par la direction générale de la Commission européenne chargée de l’information statistique Eurostat, classe la capitale au deuxième rang des villes les plus cosmopolites d’Europe. Des statistiques similaires, il y en a beaucoup d’autres. En 2013, une étude du sociologue de la KUL Jan Hertogen estimait que trois quarts de la population était issue de l’immigration et que d’ici à 2023, plus de 8 habitants sur 10 posséderont une autre nationalité, auront été naturalisés ou seront nés de parents étrangers.

Bruxelles métissée, mais Bruxelles contrastée : ses habitants sont loin d’être socialement logés à la même enseigne.  » Il y a des gens qui s’y sentent profondément cosmopolites, une élite internationale dont le monde est le terrain de jeu, puis il y a des gens qui se sentent d’abord profondément Marocains, Congolais, Turcs, Bruxellois… « , observe Marco Martiniello, directeur du Centre d’études de l’ethnicité et des migrations de l’ULg.

Les Français les plus représentés

Bruxelles cliché, aussi : certaines communautés sont souvent stigmatisées, alors qu’elles ne constituent qu’une partie de cette diversité. Le pays qui y est aujourd’hui le plus représenté est… la France. Entre 2000 et 2013, selon des données collectées par l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse (IBSA), le nombre d’Hexagonaux est passé de 34 497 à 57 700. Suivent les Marocains (39 758, contre 62 292 treize ans plus tôt) et les Italiens, dont la présence reste stable (29 720). Près de 70 % de la population étrangère présente dans la capitale sont des migrants européens.

Les ressortissants dont la présence a la plus augmenté cette dernière décennie sont roumains (de 729 à 27 381) et polonais (de 2 096 à 26 245). L’Espagne, l’Allemagne et le Portugal ont aussi progressé, mais moins rapidement. Quant à la Turquie, elle a perdu pile 10 000 représentants depuis 2000. Quoi qu’il en soit, vivent à Bruxelles des personnes originaires de presque tous les pays du monde, des Pays-Bas à la Russie en passant par la Guinée, la Chine, le Brésil ou l’Inde.

Cette diversité est souvent présentée comme un problème. A tort, à raison ?  » S’il peut y avoir des conflits, des tensions, il faut se garder de céder à des visions fantasmées ou caricaturales de la réalité sociale. Du type « tout va bien, la diversité c’est super » ou d’autres discours, notamment politiques, pour lesquels « nos quartiers flambent, il y règne un état de non-droit et c’est la faute à certains « , plaide-t-on au Centre bruxellois d’action interculturelle.

Ni tout rose ni tout noir

Ne pas faire l’autruche, mais ne pas noircir outrageusement le tableau.  » Bruxelles ne me semble pas plus problématique que d’autres grandes villes, estime Marco Martiniello. Il y a pas mal de points positifs. Par exemple, il existe une jeunesse urbaine qui vit cette diversité, qui ne connaît que ça. Ce qui lui pose problème, c’est qu’on problématise cette diversité. Mais il existe aussi des jeunes qui tendent à se refermer sur ce qu’ils considèrent comme leur groupe.  » On parle alors de communautarisme.

Bref, la réalité est complexe et mieux vaut éviter les raccourcis. Comme celui d’utiliser le mot  » intégration  » pour parler de personnes vivant en Belgique depuis deux, trois, voire quatre générations…  » Jusque quand renvoie-t-on les personnes à leur origine ? Cela ne correspond plus à aucune réalité « , dénonce Patrick Charlier. Le directeur adjoint du Centre pour l’égalité des chances constate que l’acceptation de la différence des origines n’est pas toujours admise, que la vision  » eux et nous  » reste trop souvent partagée de part et d’autre.

Il identifie trois axes sur lesquels travailler pour mieux gérer la diversité. D’abord l’enseignement.  » Un enfant d’origine étrangère a trois fois plus de chances d’être orienté vers l’enseignement technique et spécialisé, relate- t-il. Ce genre de mécanisme reproduit les inégalités.  »

Cliver plutôt que rassembler

Subsiste aussi la question du fossé qui se creuse entre les écoles renommées et celles qui traînent une mauvaise réputation. Avec pour conséquence que certains établissements deviennent  » mono-ethniques  » ou uniquement fréquentés par des jeunes provenant du même milieu social. L’objectif d’une même formation de pointe pour tous semble encore lointain. L’enseignement reproduit aujourd’hui davantage les clivages qu’il ne brasse les populations…

L’emploi, ensuite. Un autre point noir forcément lié au précédent.  » Plus personne ne conteste les questions de discriminations, juge Marco Martiniello. Mais elles n’expliquent pas à elles seules pourquoi l’accès au marché du travail reste limité pour certains. Le déficit de formation joue aussi un rôle.  »

Pour Patrick Charlier, davantage d’initiatives émanant du monde des entreprises pourraient inverser la tendance. Comme celle, expérimentée par quelques sociétés flamandes, de s’engager en cas de recrutement à s’adresser d’abord aux travailleurs âgés, handicapés ou d’origine étrangère, puis seulement à tous si le profil n’est pas trouvé endéans un certain temps.

 » Peut-être aussi faudrait-il réfléchir à une autre manière d’attribuer les jobs d’étudiants, propose-t-il. Souvent, dans les grandes entreprises, ils sont réservés aux enfants du personnel. Les jeunes d’origine étrangère ont plus de difficultés à y accéder, alors que cette expérience peut être valorisée sur un CV.  »

Le logement, enfin. Empêcher les discriminations à la location, éviter que certains quartiers deviennent monoculturels, construire davantage tant des habitations privées que sociales, faire en sorte que chaque commune soit accessible via les transports en commun, etc. On pourrait encore citer la culture, souvent attaquée en période de crise mais qui peut contribuer à la cohésion sociale.

Les chantiers à mener sont nombreux.  » Les pouvoirs publics ont déjà pris des mesures et doivent continuer à jouer un rôle. Mais la société, les citoyens, ne peuvent pas se décharger de tout, prévient Marco Martiniello. Il faut trouver des modalités du vivre ensemble.  » Différentes études ont montré que plus on est confronté à la diversité, plus on devient tolérant. Mais que rester enfermé chez soi et entre soi tend à raviver les préjugés. A Bruxelles comme ailleurs, la parfaite harmonie n’existera sans doute jamais, mais cela n’empêche pas d’essayer de l’atteindre…

Par Mélanie Geelkens

Bruxelles métissée, mais Bruxelles contrastée : ses habitants sont loin d’être socialement logés à la même enseigne

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