Les gourmandes Nuits Botanique invitent une centaine de groupes à convoler en justes noces pendant dix soirées magnétiques. Parmi les conjoints, on a choisi quatre prétendants – DAAU, Nervous Cabaret, Katerine et Cyrz – et des fauteurs de troubles notoires, Babyshambles
On adore détester Katerine
Cela fait un peu bizarre de titrer aussi négativement sur un chanteur qui, au fond, n’a pas commis de crimes ! Sauf à considérer que le look de la pochette de son nouvel album Robots après tout (Universal) – quelques filles et Monsieur Katerine en sous-vêtements – appartienne à cette funeste catégorie. Chanteur déchantant et auteur d’un autoportrait cinématographique ovni ( Peau de cochon), Philippe » Blanchard » Katerine se positionne en dehors de tout retranchement : la meilleure défense de la chanson française étant son attaque pure, c’est bien connu. Contre-rythmes zinzins et paroles truffées de mauvaise foi, production minimaliste assumée par Gonzales & Renaud Letang, allusions sardoniques, ce jeune homme né en 1968 pousse à fond une désincarnation du politiquement correct et s’éloigne de ses premiers pas vaguement easy-listening des années 1990. Aujourd’hui, les rares fois qu’il traverse un plateau de télévision – pas exactement un produit Drucker… -, son comportement évoque Mike Brant qui chanterait du Antonin Artaud. Ou encore plus fort : l’inverse. Ce comportement, qui hérisse beaucoup de gens, trouve aussi un nouveau public ravi de tant d’impertinence. Sous chapiteau le 5 mai avec le brillant Dominique A et le valeureux Liégeois Zop Hopop.
DAAU apaisé
Depuis maintenant une bonne décennie, ce groupe anversois à l’imprononçable patronyme germanique (Die anarchistische Abendunterhaltung – DAAU) expérimente des combinaisons nouvelles et audacieuses, à la frontière poreuse du » rock « , de la musique contemporaine, du classique et du grattage sonique. Sur Domestic Wildlife (Pias), tout cela semble couler dans une partition moins chaotique, moins sombre. La crispation naturelle des cordes affronte toujours des particules électroniques sur des structures parfaitement maîtrisées, mais la clarinette de Han Stubbe prend des allures tsiganes franchement mélancoliques. On ne dira pas que DAAU s’inscrit désormais dans une » école sérieuse » – ils en seraient mortifiés -, mais le disque de ce sextet convainc sans devoir mettre l’agression au premier plan. La redécouverte d’un style épuré, touchant à l’essentiel, c’est pour le 30 avril, sous chapiteau, avec les Norvégiens également inventifs de Jaga Jazzist.
Les mots d’artichaut de Cyrz
On nous le présente comme étant de la famille Miossec, ce qu’il n’est pas, si ce n’est pour la qualité de la langue chantée. Là où le Breton noie ses désespoirs misanthropes dans des bordées de mots faucheurs, Cyrille Paraire choisit une certaine douceur réaliste. Mais Un morceau de mon avenir (Pias) n’est pas non plus de la trempe (fatigante à la longue) des » quotidiennistes » au vocabulaire notablement déprimé. Même s’il a composé l’essentiel des seize morceaux de son premier disque dans le cadre confiné de ses neuf mètres carrés de chambre, Cyrz présente un cocooning qui voyage. Il fait partie des gens qui ne renoncent pas à faire une chanson épanouie capable de… respirer le » bonheur « , comme Content, radiographie d’un c£ur d’artichaut qui se prend avec une goutte de vinaigre. Ex-éducateur à Valence, il a visiblement développé un sens de l’observation apte à recycler les banalités dans des essais de grandiose. La dimension parfois épique de sa musique – les accords de basse obsédants d’ Au peigne fin, le banjo de Montéléger – est en partie due à la production ad hoc d’un revenant, Sylvain Van Holme , vétéran des glorieux Wallace Collection et du non moins mondialiste Two Man Sound, qui trouve ici le juste assaisonnement sonore. Le 30 avril au Cirque royal, avec Mickey 3D et Eté 67.
La puissance de Nervous Cabaret
Ce groupe new-yorkais est impressionnant, leur album éponyme aussi (Pias). La fièvre est déjà dans la combustion naturelle de la musique, une sorte de frénésie rock-tsigane qui a lâché les freins, mais la voix incroyablement vibrante du chanteur Elyas Khan a vraiment le truc pour caler des frissons. On dirait un peu un type sommé de vocaliser une ultime fois avant de faire connaissance avec l’échafaud ! La surprise et le charme ne viennent pas seulement de la claque instantanée de certaines chansons ( Instant Lady, God’s Greatest Lover), mais aussi de la grande liberté stylistique qui les impressionne : c’est du rock supersonique qui semble réagir aux écarts dignes du meilleur jazz. D’ailleurs, le blues – de préférence martyrisé – pénètre plusieurs titres avec une malignité diabolique ( Grand Palace of Love). S’il n’y avait qu’un seul instant de rock’n’roll ululant pour hanter ces Nuits Botanique, ce sera celui de Nervous Cabaret, aucun doute là-dessus. Le 7 mai au Cirque royal, avec Motorpsycho.
Babyshambles : le triomphe de l’incertitude
Viendront ? Viendront pas ? On peut dire que Paul-Henri Wauters, le programmateur musical du Botanique, fait acte de courage en choisissant d’inviter le groupe qui doit détenir le record du monde des annulations de concerts. En fait d’imprévisibilité, cette bande de truc’n’roll emmenée par Pete Doherty est directement dépendante de la conduite » incohérente » de l’ex-(?) fiancé de Kate Moss. On connaît déjà l’histoire musicale de Doherty, révélé au sein des Libertines et devenu pop-star complète avec ses propres Babyshambles. Musicalement, le premier album, Down in Albion (Rough Trade), sonne comme d’agréables démos de Clash 1978 – c’est d’ailleurs produit par Mick Jones – dopés par un zeste de New York Dolls. Il semble que Doherty, qui se fait arrêter jusqu’à deux fois par jour chez lui à Londres, n’ait pas seulement réinjecté l’énergie dévastatrice des groupes susnommés dans sa bande sonore pirate, mais aussi les substances (crack, coke, héroïne) du type qui ont fini par zigouiller pas moins de trois New York Dolls (un quatrième s’étant chopé une leucémie après une vie d’alcoolique). Mais la morale, la prudence ou la légalité semblent autant préoccuper Doherty que sa première arrestation. Donc, s’il n’est pas en taule ou en désinto, on pourra voir le phénomène le 2 mai, sous chapiteau, avec nos jeunes compatriotes de Malibu Stacy…
Les Nuits Botanique, du 28 avril au 7 mai, au Botanique et au Cirque royal, à Bruxelles. Infos et programme complet sur www.botanique.be et 02 218 37 32.
Mais encore…
Cette année, les » nouvelles filles de la chanson française » ou les filles de la nouvelle chanson française s’appellent Camille, Anaïs, Claire Diterzi et Marie Warnant (lire le prochain numéro du 28 avril de Weekend-Le Vif/L’Express), mais les Nuits ramènent aussi Lio qui n’a plus chanté son propre répertoire en Belgique depuis des lustres (le 7 mai, au Cirque), la Belgo-Portugaise de Paris étant au même programme qu’une rescapée de la Star Ac, Olivia Ruiz. Le contingent belge 2006 est à peine moins visible que les autres années : Venus (en deux versions), Malibu Stacy, My Little Cheap Dictaphone, mais aussi les nouveaux de chez Bang !, le chanteur tout gamin Samir Barris (le 3 mai, à la Rotonde) et l’intéressante Sophie Galet (le 4, à la Rotonde). Parmi les têtes d’affiche chargées de remplir le Cirque royal, Calexico en ouverture le 28 avril, Mickey 3D (le 30), Dionysos partageant le Mons Orchestra avec Venus (le 2 mai), les énigmatiques bidouilleurs sonores canadiens A Silver Mt Zion plus Coco Rosie (le 3 mai) et le retour de deux groupes flamands attendus : Zita Swoon (le 4 mai) dans son concept A Band in a Box qui a déjà rempli le Cirque en petite conformation il y a quelques semaines et An Pierlé accompagnée de White Velvet dans la promo d’un tout nouveau disque plutôt séduisant (le 5 mai).
Philippe Cornet