Désolé de gâcher la fête, mais l’accord de futur traité européen conclu à Bruxelles, le 23 juin, n’a soulevé d’applaudissements qu’en France, laissant fortement sceptiques les Allemands, les Italiens, les Belges et les Luxembourgeois. Et pour cause. Si l’on était rompu à l’égotisme des Britanniques, le cas de la Pologne est venu illustrer concrètement une grave déconvenue. Il a fallu qu’Angela Merkel menace d’isoler ce pays et de convoquer sans lui la conférence intergouvernementale, fixée au 23 juillet, pour que l’on parvienne à s’entendre. Encore les Polonais ont-ils exigé que les règles de vote actuelles, qui leur sont favorables, soient prolongeables jusqu’en 2017. Bons baisers de Varsovie : vue de l’est, l’Union européenne apparaît encore moins désirable que sur son flanc ouest.
En réalité, on ne mesure toujours pas ce qu’est devenue l’Europe depuis la chute du mur de Berlin : d’une communauté, on est passé à un continent. Ce continent n’a pas été que le siège de multinationales. Il a également hébergé des kolkhozes. Comme le rappelait dans Le Nouvel Observateur le talentueux écrivain polonais Andrzej Stasiuk : » On ne peut pas séparer l’Europe et l' »européanité » du communisme. Après tout, le communisme est une réalité purement européenne. C’est ici qu’il fut conçu et c’est bien ici que l’on tenta sa réalisation. On ne peut pas dire : chez vous, c’était le communisme, et chez nous, c’était l’Europe. » Il était prévisible que la décontamination communiste se fasse par le national-populisme, magnifiquement incarné par les jumeaux Kaczynski, auteurs d’un duo cinématographique plus vrai que nature. Mais la conversion éclair au libéralisme, alliée à l’incapacité de l’Europe à sécuriser un Etat traumatisé, a exacerbé le sentiment identitaire et le lessivage du passé au point qu’ils envahissent tout l’espace politique. Or l’entêtement polonais, qui s’appuie sur 40 millions d’habitants et un vrai décollage économique, jouit d’un certain prestige dans l’ex-bloc communiste. On le voit, par exemple, à l’euroscepticisme du gouvernement tchèque, qui s’est associé à Varsovie dans le cadre du bouclier antimissiles américain. A ne pas avoir su créer de modèle suffisamment fort, l’Union européenne n’a réussi qu’à donner une extension orientale à son propre malaise. A Bruxelles, l’Union a peut-être avancé, mais l’esprit de l’Europe a reculé. l
CHRISTIAN MAKARIAN