Blatter

Olivier Mouton Journaliste

Ce devait être l’année de son cinquième mandat de patron absolu du football mondial. Elle aura été celle de sa chute fracassante. Donc de la mise au jour d’un système de corruption quasiment généralisé au sein de l’organisation du sport-roi.

 » Oui, j’ai frôlé la mort.  » Physiquement, Sepp Blatter revient de loin. Le 1er novembre 2015, le corps du président de la Fifa a dit stop. Hospitalisé d’urgence, à 79 ans, le dinosaure du football mondial est passé par le chas de l’aiguille.  » Heureusement, je n’ai jamais perdu conscience pendant les 48 heures où j’étais entre les anges qui chantaient et le diable qui mettait du feu « , philosophe-t-il. Insubmersible, comme on le dépeint, il continue à affirmer :  » Je n’ai rien fait de mal. Je n’ai pas à prouver mon innocence.  »

Pourtant, en 2015, l’homme a sombré, coulé par le poids des casseroles accumulées tout au long de son règne. Rejeté par ses pairs et traqué par la justice, il démissionne de son poste le 2 juin, quatre jours à peine après avoir été réélu pour un cinquième mandat.  » Je n’ai n’a pas le soutien de l’intégralité du monde du football « , justifie-t-il. Même s’il restera en place jusqu’à la désignation de son successeur… en février 2016.

Ce Suisse valaisan paye le prix d’une gestion despotique à la tête d’une organisation gangrenée par la corruption. David Triesman, ancien président de la Fédération anglaise de football, n’hésite pas à comparer la Fifa à une  » famille de mafieux « . Ironiquement, le 29 juillet, le musée de la Mafia à Las Vegas a organisé une exposition au sujet des dérives d’un homme comparé à Vito Corleone, le parrain de la trilogie de Coppola. C’est dire…

Blatter a rapidement compris le potentiel du football pour ses propres intérêts. Ce loisir ultrapopulaire est devenu l’une des plus grandes entreprises mondiales, brassant des milliards de revenus, mais elle reste gérée par une caste de privilégiés sans scrupules. Entre 2011 et 2014, la Fifa a engendré des recettes équivalant à 5,7 milliards de dollars, soit les PIB du Burundi et du Liberia réunis. En retour, elle investit dans les compétitions, mais aussi dans des  » projets de développement  » mis en place par des fédérations membres… Ce faisant, Sepp Blatter s’assure de leur soutien. Un système, ni plus ni moins.

Depuis sa première élection, déjà entachée de soupçons de corruption, en 1998, ce président tout-puissant n’a eu cesse d’étendre les tentacules de son pouvoir. Après avoir travaillé pour le fabricant de montres suisses Longines et dirigé le club de Neuchâtel, c’est déjà lui qui avait lancé les compétitions pour les femmes, les jeunes de moins de vingt ans ou le foot en salle quand il était secrétaire général. Arrivé au sommet avec l’appui d’Adidas, il porte le nombre de fédérations membres à 209, bien plus que le nombre d’Etats qui constituent l’ONU, et se fixe comme objectif d’imposer le ballon rond dans les continents où il reste marginal. Cap sur les Etats-Unis, l’Afrique mais aussi et surtout l’Asie, le Moyen-Orient et la Russie. Avec un marketing omniprésent et des pratiques douteuses. Il s’entoure d’alliés peu fréquentables,  » arrose  » les fédérations et oriente à sa guise l’avenir de son empire. Jusqu’à la désignation de la Russie et du Qatar pour les Coupes du monde 2018 et 2022.

Cet appétit gargantuesque l’a finalement tué. C’est des Etats-Unis qu’est venu le coup de grâce. Une enquête menée par la procureure générale Loretta Lynch met à jour un dossier comptabilisant 150 millions de dollars de pots-de-vin en tous genres et impliquant de nombreux proches de Blatter, dont son ancien vice-président Jack Warner. Il concerne l’attribution des droits pour le centenaire de la Copa America mais aussi l’attribution des Coupes du monde 1998 en France et 2010 en Afrique du Sud. Dans la foulée, les grands sponsors américains – McDonald’s, Visa, Coca-Cola et Budweiser – lui demandent de faire un pas de côté. C’est la fin.

Ce n’est pas la seule procédure visant le président démissionnaire. En septembre, le ministère public suisse lance une enquête pénale à son sujet pour gestion déloyale et abus de confiance. En cause ? Un versement de 2 millions de francs suisses effectué à l’intention du Français Michel Platini, président de l’UEFA, qui s’était mis en tête de lui succéder. La somme serait liée à des travaux de consultance réalisés avant 2002, se défend l’ancien capitaine de l’équipe de France, sans convaincre grand monde. Le 8 octobre, les deux hommes sont suspendus par la commission éthique de la Fifa. Rien ni personne ne semble échapper à cette  » chasse à l’homme  » : l’ancien international Franz Beckenbauer est accusé d’avoir acheté l’organisation de la Coupe du monde 2006 en Allemagne, dont il était le président du comité organisateur. Blessé, le Parrain balance, affirmant que l’attribution de la Coupe du monde au Qatar est un cadeau de la France. Et promet un livre plein de révélations en mars 2016.

Jamais le football n’a été aussi populaire dans le monde. Mais les coulisses du sport numéro un sentent le soufre.

Olivier Mouton

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