Le Perfectionniste, par Laure Buisson. Grasset, 253 p.
Les Pygmalion û Shaw n’en doutait pas û peuvent être de solides casse-pieds, fâcheusement imbus de leur savoir-faire et de leur prétention à faire le bonheur de l’être qu’ils ont élu û fût-ce par amour û comme chantier de leur talent. Et, quand le perfectionnisme et la possessivité s’en mêlent, on a de bonnes raisons de craindre. Et, quand la relation se joue entre un frère et une s£ur qui s’aiment tendrement, on pénètre dans des régions aussi appétissantes pour le psychiatre que pour le romancier ou, en l’occurrence, la romancière. Les quatre personnages imaginés par Laure Buisson (auteur de Blanquette et d’ Occupée)vivaient dans une maison cossue de Paris : Vinie, la métisse, commise autrefois par la DDASS à l’éducation de Séverin et, plus tard, des frère et s£ur Max et Lena. On dit » vivaient » parce que, pour l’heure, Séverin, devenu le mari de Léna et l’assistant de Max, est mort, le cou rompu, au bas d’un escalier. Max û le narrateur û est un photographe réputé, apprécié pour la perfection de ses portraits et pour son art de » capter » la nue personnalité de ses clients. Il entretient avec sa s£ur cadette, séduisante mais affectée d’un pied bot, une relation très tendre et très protectrice, assez sensuelle bien que dénuée d’ambiguïté, et agrémentée d’un ludisme inventif qui remonte à l’enfance. Il n’est pas inutile de préciser qu’il est aussi collectionneur passionné de bilboquets. Un jeu moins innocent qu’il n’y paraît lorsque l’auteur suggère la symbolique arrogante d’un art et d’une adresse consistant à replacer le monde sur son axe. (Au fil de sa narration, Max s’y montrera de moins en moins habile.) Séverin victime d’un accident ? Un policier n’y croit pas vraiment. Pas plus que le lecteur, il va sans dire. Mais ce n’est pas un polar que Laure Buisson propose, parce que tout se passe au niveau du rapport intime et de plus en plus énigmatique entre les trois survivants, entre le » perfectionniste « , sa s£ur imprévisible et déifiée, et Vinie, la mère adoptive (devenue une sorte de gouvernante) peut-être porteuse de secrets trop lourds, sans oublier l’ombre d’un Séverin peut-être moins falot qu’il n’y paraissait. Un univers à la Simenon baignant dans un climat de tension bien entretenu et annonciateur d’orage majuscule : jouer au bilboquet quand la boule est trop lourde et la main devenue moins sûre peut faire très mal. Cela dit, ce n’est pas sans raison que l’éditeur évoque des enfants terribles. Même s’il n’y met pas de guillemets, on pense à la pièce de Cocteau. A ce mélange étrange de réalisme, de douce violence, de théâtralité romantique et aussi de ce brin d’artifice qui, au nom même de l’art, peut agacer les uns et faire le miel des autres.
Ghislain Cotton