Biarritz L’empire des bains

 » Quand on hésite entre deux plages, l’une d’elles est toujours Biarritz « , disait Sacha Guitry. Comme tant de têtes couronnées, l’auteur de Si Versailles m’était conté aimait prendre ses quartiers d’été dans la station de la côte basque, ce modeste port de pêche qu’un caprice de l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, avait transformé en  » reine des plages, plage des rois « … C’est la légende de Biarritz que nous vous invitons à découvrir. Le premier voyage d’une série d’été que Le Vif/L’Express consacre aux villes françaises mythiques.

Après sa fondation, au XIIe siècle, autour de l’église Saint-Martin, Biarritz connaît une première période de prospérité grâce aux baleines du golfe de Gascogne, que les marins intrépides partent chasser en chaloupe depuis le Port-Vieux et le plateau de l’Atalaye. Mais, au XVIIe, les prises se font rares, et la dernière baleine est capturée en 1686. Désoeuvrés, nombre d’habitants quittent le village, qui sombre dans une douce léthargie. C’est la vigueur des vagues sur ses rivages qui va le réveiller. Dès le milieu du XVIIIe siècle, la pratique est vivement recommandée par les médecins, qui la jugent tonifiante. A Biarritz, où les villageois des alentours se livrent déjà à des bains plus ou moins rituels sur l’actuelle Côte des Basques, les vagues sont parées de vertus thérapeutiques, y compris pour les aliénés, que l’on plonge dans les flots.

Le destin va alors prendre les traits gracieux d’Eugénie de Montijo, née en 1826, fille cadette d’un noble ayant pris le parti de Napoléon Ier durant la guerre d’indépendance espagnole et d’une descendante de lord écossais. Veuve en 1839, cette dernière voit grand pour ses filles, dont elle confie l’éducation à deux proches, Stendhal et Prosper Mérimée.

Circulant entre Saint-Sébastien, où la reine Isabelle II d’Espagne a installé ses quartiers d’été, Pau, Toulouse et Paris, mère et filles s’arrêtent souvent à Biarritz plusieurs semaines. Dans le port basque, Eugénie l’intrépide monte à cheval, escalade les contreforts de la Rhune et s’adonne aux bains de mer… et manque de se noyer dans le Port-Vieux, un jour de forte houle. En 1850, l’Andalouse francophile est présentée au prince président Louis Napoléon Bonaparte, qui se cherche une épouse. Ebloui par sa beauté et son esprit vif, il épouse cette ambitieuse de dix-huit ans sa cadette en janvier 1853. Dès lors, pour échapper au quotidien empesé des Tuileries, à Paris, la nouvelle impératrice n’a plus qu’une seule idée : retrouver en famille la douceur de Biarritz. Le 20 juillet 1854, le couple impérial, en repérage, s’installe dans le château de Gramont, propriété du maire de Bayonne, Jules Labat. Initié à la culture basque par son ami le savant voyageur Antoine d’Abbadie d’Arrast, l’empereur acquiert prestement une vingtaine d’hectares de landes et de vignes sur la côte du Moulin, qui s’étend jusqu’au phare de Saint-Martin, érigé en 1831. A peine un an plus tard, le couple emménage dans la villa Eugénie, dont la silhouette massive domine aujourd’hui encore la grande plage sous le nom d' » hôtel du Palais « .

A l’été 1856, la bâtisse résonne des cris du prince impérial Eugène Louis Napoléon, né quelques mois plus tôt. Désormais, Eugénie, qui admire Marie- Antoinette, impose son programme au cercle d’intimes qui passent plusieurs semaines estivales à Biarritz : climat vivifiant et exercice physique pour tous.

Le beau monde qui afflue dans le sillage du couple impérial ne tarde pas à transformer le port basque. Sur le front de mer ouvrent en 1858 le casino Bellevue et un premier établissement de bains, qui deviendra plus tard le casino municipal. En 1864, la gare de Biarritz – la Négresse – met la station à seize heures de Paris par le train. Surtout, Napoléon III entend doter sa villégiature d’un port digne de ce nom. Il entreprend la construction d’une digue à 300 mètres au large. Une opération aussi pharaonique que désastreuse, dont il ne reste aujourd’hui que la passerelle reliant la côte au célèbre rocher de la Vierge.

Bismarck aussi…

A Biarritz, l’empereur ne délaisse pas les affaires de l’Etat. Un courrier apporte chaque jour les dossiers importants de Paris, qu’il remporte sitôt signés. C’est sur la côte basque que s’échafaude la pathétique aventure mexicaine (1862-1867), par laquelle la France essaie d’imposer au pouvoir l’archiduc autrichien Maximilien. Napoléon III et Eugénie reçoivent aussi les couples royaux d’Espagne et du Portugal. En 1865, Otto von Bismarck vient à Biarritz sonder les ambitions de la France. Sur la côte, le Prussien volage, qui a découvert l’endroit avec son ex-maîtresse la princesse Orloff, fait une cour pressante à Mme de La Bédoyère, une proche d’Eugénie. Objet de plaisanteries, notamment de la part de Mérimée, Bismarck n’en repart pas moins rassuré : la France est une volaille prête à être plumée.

Ce sera chose faite cinq ans plus tard, après la débâcle de Sedan. Exilés à Chislehurst, en Angleterre, l’empereur déchu et son épouse apprennent avec consternation les attaques de quelques Biarrots revanchards, ces ingrats, contre les symboles que constituaient la villa Eugénie ou la chapelle impériale attenante. Veuve en 1873, l’ex-impératrice endure six ans plus tard la perte de son fils, tué en Afrique du Sud par des guerriers zoulous. Eugénie ne remettra jamais les pieds à Biarritz. En 1880, le domaine est divisé en lotissements, sur lesquels furent bientôt construites de somptueuses demeures. L’ex-impératrice vendit la villa Eugénie à la Banque parisienne pour 1 million de francs de l’époque. L’endroit se mua dès l’année suivante en un hôtel casino, le Palais-Biarritz. Eugénie s’éteindra à Madrid en 1920, avant d’être inhumée à Farnborough, en Angleterre.

So British !

La mort en Afrique du Sud, en 1879, du prince Louis Napoléon Bonaparte douche les derniers espoirs d’une restauration de l’Empire. Privée des figures tutélaires de la famille impériale, la station balnéaire craint pour son avenir.

Pour conjurer la dépression, Biarritz peut toutefois compter sur un allié inattendu : la Grande-Bretagne ! Ses sujets ont toujours aimé le Pays basque, qui fit jadis partie de la couronne des Plantagenêts avant d’être occupé brièvement par le duc de Wellington, en 1814. A Londres, les médecins recommandent vivement le bon air des Pyrénées et les bains sur la côte basque. A l’instar du prince de Galles, futur Edouard VII, qui avait découvert la région en 1879 et qui y fit de longs séjours jusqu’à sa mort, en 1910, la communauté anglaise prend ses quartiers dans les palaces qui fleurissent à Biarritz, le Victoria, le Carlton ou l’hôtel d’Angleterre. Un terrain de golf voit le jour en 1888 près du phare, ainsi qu’un champ de courses.

L’année suivante, la reine Victoria en personne s’installe un mois entier dans la villégiature basque. Logée avec ses domestiques indiens dans un hôtel particulier, la souveraine, en grand deuil, conduit chaque jour sa petite carriole tirée par l’âne Jacquot, arrivé spécialement de Buckingham. Agrandie et reconstruite après l’incendie de 1903, l’ancienne Villa Eugénie, devenue l’hôtel du Palais, reste l’épicentre des mondanités biarrotes. C’est là, dit-on, que, des années plus tard, le futur – et éphémère – Edouard VIII d’Angleterre connaîtra les premiers frissons avec l’Américaine Wallis Simpson.

Comme nombre de grands d’Espagne, le roi Alphonse XIII est conquis par cette  » Biarritz, reine des plages, plage des rois « , où il vient oublier la perte de ses colonies à Cuba, Porto Rico et aux Philippines. Il y fait la cour à sa fiancée, Victoire Eugénie de Battenberg, nièce d’Edouard VII. Pendant des années, il viendra tous les jours ou presque de Saint-Sébastien profiter des terrasses de Biarritz, parfois coiffé d’un béret basque, avant de disparaître vers de galants rendez-vous. Le roi, qui a échappé à plusieurs attentats anarchistes, aime déambuler incognito ou presque dans ce havre de paix. Un sentiment de sécurité qui, un siècle plus tard, séduit toujours autant les milliardaires, comme le Mexicain Carlos Slim.

Inoubliables fêtes russes

Aux premières lueurs d’un XXe siècle qui va balayer leur monde, les têtes couronnées vivent à Biarritz une parenthèse apaisante. En 1897, l’impératrice Sissi s’y remet des drames personnels de sa vie… avant son assassinat l’année suivante, à Genève. Enfin, et surtout, il y a les Russes, omniprésents dans la station basque depuis la seconde moitié du XIXe siècle. D’août à novembre, l’aristocratie tsariste, impératrices et grands-ducs en tête, fait le plein d’iode et perd des fortunes au baccara, avant de retrouver les rigueurs de l’hiver de Saint-Pétersbourg. En 1897, Anton Tchekhov vient soigner sa tuberculose au défunt hôtel Victoria. Les familles russes dépensent sans compter et la station se couvre de villas, aux influences modernes, mauresques ou néobasques, un style promu par l’architecte Henri Godbarge. L’hôtel Continental abrite des fêtes somptueuses. Revenus en exil après le cataclysme de 1917, les Russes blancs reprennent la ronde des galas, notamment au Château basque, niché dans la célèbre villa Belza. La vie artistique bat son plein : Igor Stravinsky compose dans une villa basque le début de Petrouchka, tandis que le chanteur d’opéra Fédor Chaliapine se produit au casino municipal. En 1918, ce coquin de Picasso croque sur le sable biarrot ses fameuses Baigneuses en maillot.

Tant de beau linge attire les créateurs de mode. Fuyant la guerre, Coco Chanel ouvre dès 1915 sa première vraie maison de couture et achète trois ans plus tard la villa Larralde, avec des fonds prêtés par son amant, Boy Capel. Suivent Jean Patou, qui propose maillots de bain et peignoirs aux mondains de l’époque, mais aussi Paul Poiret. Précurseur d’un style Art déco auquel la ville servit de laboratoire, le pourfendeur du corset organise des défilés et dessine des costumes pour les mirifiques bals des Années folles. Bal Petrouchka en l’honneur de Diaghilev et de ses Ballets russes ou bal Goya, ces festivités ont pour organisateur le marquis Pierre d’Arcangues. Pour divertir ses riches amis, le président du comité du tourisme de Biarritz ne recule devant rien. En septembre 1922, pour le bal second Empire, l’intérieur de l’hôtel du Palais est entièrement recouvert de feuillages et de tonnelles. De quoi éblouir les invités venus s’encanailler : magnats de l’industrie, Amerikanoak (Basques partis faire fortune aux Amériques), mondaines, princes déchus et célébrités du monde des arts. Car le showbiz de l’époque – Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks, Sacha Guitry et Yvonne Printemps – supplante peu à peu les familles nobles dans l’imaginaire collectif. D’autant que le krach de 1929 a souvent ruiné les exilés. Selon l’historien Alain Puyau,  » les années 1930 ressemblent à un long calvaire pour Biarritz « .

La ville, qui est passée de 18 000 à 28 000 habitants entre 1920 et 1927, voit sa fréquentation touristique brusquement diminuer. La concurrence de la Côte d’Azur est de plus en plus vive. En 1939, les Biarrots, frileux, laissent échapper le festival international de cinéma que la France veut créer en contrepoint de la Mostra de Venise, aux mains des forces de l’Axe. C’est Cannes qui est retenue. La fin d’une époque.

Dans notre numéro du 18 juillet : Chamonix.

Par Thierry Dupont

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