Bernard Foccroulle, le roi de l’orgue

Le Liégeois célébrissime qui a tant apporté à la vie musicale de son pays, et directeur général du Festival de l’art lyrique d’Aix-en-Provence, revient pour un récital exceptionnel consacré à Jean-Sébastien Bach et à Georg Böhm.

Le Vif/L’Express : Pour commencer, quelques mots sur le programme du 20 décembre qui réunit les £uvres de Bach et de Böhm ?

Bernard Foccroule : En 1700, à l’âge de 15 ans, Bach arrive à Lunebourg, au terme d’un voyage à pied de près de 300 kilomètres. Il y passera trois années qui se révéleront cruciales dans son apprentissage musical. A cette époque, Georg Böhm vient d’être nommé organiste à l’église Saint-Jean de Lunebourg. Il est considéré comme l’un des meilleurs organistes et compositeurs de l’école nordique. Le programme de ce concert illustre cette rencontre, témoigne du talent de Böhm, de son influence sur le jeune musicien, montre la rapidité et la sûreté avec lesquelles le jeune Bach va assimiler les leçons de son aîné et imposer sa personnalité.

Qu’est-ce qui vous séduit dans l’univers musical de Bach ?

Je fréquente cet univers depuis la petite enfance. Il m’est très proche et m’a beaucoup nourri. Ce qui me séduit le plus, c’est sa force expressive et sa force rhétorique. Bach a une formidable unité du discours et une cohérence extraordinaire, beaucoup plus présentes que chez n’importe quel autre compositeur. J’aime aussi la directionnalité. Son £uvre n’est jamais statique, elle avance. J’ai le sentiment de ne pas faire d’effort pour laisser passer cette énergie. Chez Bach, il y a une telle force. Elle s’impose à moi avec une évidence.

Vous avez enregistré l’intégrale de Bach pour orgue. Où se situe  » votre  » Bach par rapport à d’autres interprètes, par exemple André Isoir ou Michel Chapuis ?

Ces enregistrements sont un long processus qui s’est étalé sur quinze ans, entre 1982 et 1997. Ma volonté était de ne faire appel qu’à des instruments historiques. Or, au début des années 1980, plusieurs intégrales existaient, mais aucune sur instruments anciens. Je suis convaincu que les instruments anciens bien conservés ou bien restaurés ont une qualité nettement supérieure. Les orgues historiques sont magnifiques et tous différents, ceux d’aujourd’hui sont standardisés. Avant l’enregistrement, j’ai effectué un travail de recherche pour trouver les instruments qui convenaient le mieux aux £uvres composées à des époques différentes. Ce choix d’instruments a été un vrai parcours initiatique. C’est comme si chaque instrument me prenait par la main et donnait des solutions qui s’imposent. Ces enregistrements sont très différents des concerts où il n’y a pas la même diversité des instruments.

Quels moments retenez-vous de votre mandat à la Monnaie entre 1992 et 2007 ?

La Monnaie est liée à des souvenirs extraordinaires. Je n’oublierai jamais le Requiem de Verdi, dirigé par Antonio Pappano en 1992. Il a marqué le début d’une belle collaboration qui a duré dix ans. Pappano était à l’époque un jeune chef inconnu et a fait, par la suite, une carrière extraordinaire. Nous avons eu des créations magnifiques, notamment Reigen ou Julie de Philippe Boesmans qui ont beaucoup tourné en Europe, ce dont je suis assez fier. Parmi les productions marquantes, je pourrais aussi citer La Calisto, de Cavalli, avec René Jacobs et Orfeo, de Monteverdi, avec Trisha Brown, une belle et longue complicité avec Anne Teresa De Keersmaeker, l’arrivée du chef japonais Kazushi Ono et, enfin, la mise en scène de Jan Fabre dans Tannhäuser de Richard Wagner.

En 2007, vous avez succédé à Stéphane Lissner à la direction générale du Festival de l’art lyrique à Aix-en-Provence. Comment a-t-il évolué depuis votre arrivée ?

Il a évolué et continue d’évoluer dans le sens d’une plus grande interdisciplinarité. Nous avons renforcé la présence de la création. Nos efforts se portent également sur la démocratisation, sur l’ouverture aux jeunes et aux musiques du monde. Après une ouverture vers le Nord, l’ouverture vers le Sud sera le défi des prochaines années. Dès le début, Mozart était la marque de fabrique du Festival d’Aix. Mais les choses évoluent et on ne revient pas en arrière. Aujourd’hui, Mozart, on connaît, il faut explorer de nouveaux territoires et travailler sur le dialogue des cultures et sur la mixité des publics. Les enjeux sont différents. Ce sont des défis que j’essaie de mettre en pratique grâce, notamment, aux multiples soutiens dont bénéficie le Festival. Si le public est en majorité français, nous accueillons aussi pas mal de Belges qui ont une résidence dans la région.

La formation des jeunes vous tient très à c£ur. De quelle façon la soutenez-vous ?

Nous avons deux types d’activités. Dans le cadre des actions de sensibilisation, nous préparons les jeunes à venir à l’opéra. Ils doivent recevoir certains outils. Nous formons donc des enseignants en leur fournissant des dossiers pédagogiques, nous organisons des rencontres dans les classes pour présenter l’opéra de la manière la plus vivante possible, mais aussi des rencontres avec des chanteurs de notre Académie de chant pour un contact plus immédiat. Chaque année, nous formons entre 2 000 et 2 500 jeunes. Ils viennent et participent. Rien que pour L’Enlèvement du sérail de Mozart, nous avons accueilli 800 enfants. Les pratiques artistiques constituent le second type d’activités. Il s’agit d’un pas qui va plus loin dans la mesure où nous proposons aux jeunes de devenir chanteurs ou danseurs et les mettons au défi de présenter un projet concret. Nous donnons aussi la possibilité aux musiciens en herbe de faire partie d’un jeune orchestre et de se retrouver vraiment au c£ur de l’action.

Vous êtes très actif dans la musique contemporaine. Qu’est-ce qui vous y intéresse tant ?

Quand j’étais jeune musicien à Liège, j’avais la chance de côtoyer Henri Pousseur, Philippe Boesmans et Pierre Bartholomée, ce qui m’a permis de vivre la musique contemporaine de l’intérieur. La culture doit rester créative, sans quoi elle devient quelque chose de mort. Il est nécessaire d’établir en permanence des liens entre les £uvres anciennes et la création de notre temps. Les nouvelles techniques induisent de nouvelles formes de participation à la création. Ce sont les questions et les défis sur lesquels nous travaillons, mais ce n’est pas gagné d’avance.

Vos projets personnels pour 2012 ?

Une tournée au Japon et des enregistrements, notamment un CD réunissant un cycle d’£uvres (lieder et pièces instrumentales), écrites sur les poèmes de Rilke, ainsi que l’enregistrement des £uvres de Matthias Weckmann, organiste du XVIIe siècle, pas suffisamment connu et reconnu et assez comparable à Bach par son écriture et son élévation de pensée.

Quels seront les moments forts de la 64e édition du Festival d’Aix en juillet 2012 ?

Mozart sera très présent avec Les Noces de Figaro et La Finta Giardiniera. Le premier sera dirigé par Jérémie Rohrer, un chef français très doué, le second sera mis en scène par Vincent Broussard. Je citerai, aussi, David et Jonathas, un opéra magnifique de Marc-Antoine Charpentier, dirigé par William Christie, et Written on Skin, une création de George Benjamin, compositeur anglais âgé de 50 ans. Cet opéra de quarante minutes va tourner ensuite dans toute l’Europe.

Bernard Foccroulle, orgue, £uvres de Jean-Sébastien Bach et Georg Böhm, mardi 20 décembre à 20 heures à la cathédrale Saint-Michel, à Bruxelles, www.bozar.be

ENTRETIEN : BARBARA WITKOWSKA

Après une ouverture vers le Nord, l’ouverture vers le Sud sera le défi des prochaines années

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