Une longue saga s’annonce à Jambes. Le plateau de Bellevue est destiné à accueillir un éco-quartier comportant entre 329 et 434 logements. La Ville n’y voit que des avantages, les riverains que des inconvénients.
Une enclave. Un îlot d’herbes folles encerclé par un océan de coquettes villas 4-façades, comme celles érigées par centaines dans les campagnes durant les années 1980 et 1990. Si les quartiers se développent en général en partant d’un centre pour s’étendre tels des cercles concentriques, celui du plateau de Bellevue, sur les hauteurs de Jambes, a suivi exactement la logique inverse. Les terrains des deuxième et troisième couronnes ont d’abord été urbanisés, tandis que le coeur est resté vierge.
De coeur vierge, les autorités namuroises n’en veulent plus. En tant que propriétaires de ce terrain de 11 hectares, elles souhaitent bâtir. Massivement. On n’évoque pas ici quelques maisonnettes éparpillées, mais un maximum de 434 logements concentrés en un éco-quartier qui serait à la fois énergétiquement exemplaire et abordable.
Namur le sait : comme d’autres villes, elle sera confrontée à une hausse importante de la population dans les prochaines décennies. Les projections de l’Iweps (Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique) parlent d’une augmentation de 901 500 habitants dans le sud du pays d’ici à 2061 (26,2 %).
La capitale wallonne n’ignore pas davantage qu’elle est confrontée à une désertion des jeunes ménages. » On perd les gens qui ont entre 30 et 55 ans « , expose Arnaud Gavroy, échevin de l’Aménagement du territoire (Ecolo). Précisément ceux qui travaillent et qui rapporteraient le plus aux caisses communales en matière d’impôts. Gênant. » Ils sont aussi importants pour la vitalité des quartiers. »
La faute aux prix de l’immobilier, impayables pour ceux qui veulent fonder un foyer et qui préfèrent dès lors migrer vers la périphérie plus abordable. » Ce qui pose des problèmes de mobilité puisqu’ils continuent à venir travailler en ville, à conduire leurs enfants à l’école… Et à alimenter les embouteillages. Il y a donc un besoin criant d’habitations pour ces familles « , plaide-t-il.
Bellevue est parfait, selon les critères de l’échevin. Proche d’un axe routier desservi par les transports en commun, une école et une crèche en cours de construction sur le site, pas trop éloigné de commerces… » Les habitants ne seront pas obligés d’avoir deux voitures et peut-être même pas une « , estime-t-il.
Voilà pour la stratégie globale. Le cortège des acronymes peut ensuite débuter : ZACC, RUE, PPP. Pour pouvoir édifier sur cette parcelle, les autorités ont dû déterminer quelles étaient les zones d’aménagement communal concerté (ZACC). En d’autres termes : décider quels seraient les terrains prioritairement bâtissables parmi ceux de la régie foncière. Une tâche accomplie en 2012 et qui plaça Jambes en tête de liste.
Les autorités ont ensuite rédigé un rapport urbanistique et environnemental (RUE) qui annonce, dans les grandes lignes, ce que la commune prévoit d’y faire et qui doit être approuvé par le fonctionnaire délégué de la Région wallonne. Enfin, si le feu devient vert, l’heure sera à la conception d’un projet concret, détaillé, soumis à enquête publique. Qui fera l’objet d’un partenariat public-privé (PPP) pour la mise en oeuvre.
Nimby ?
L’éco-quartier est pour l’instant bloqué au RUE. Pas seulement parce que le fonctionnaire délégué n’a pas encore rendu son avis. Aussi parce que les riverains freinent des quatre fers. Jusqu’à 434 logements au fond de leur jardin ? Pas question !
Ne leur parlez pas d’un syndrome Nimby (not in my backyard, pas dans mon arrière-cour), comme en sont souvent atteints les citoyens vivant autour d’un projet territorial qui les rebute. Ces Jambois assurent qu’ils ne voient pas d’un mauvais oeil que des habitations poussent sur cette enclave. » Quand on a acheté nos terrains, on savait qu’on y construirait un jour « , répètent Bruno Hesbois, Luc Verkest, Luc Van Hooland et Guillaume Becue, ceux qui mènent la fronde (massivement suivie, certifient-ils) dans leur quartier.
Construire, oui. Mais pas n’importe comment. Selon eux, le fameux RUE est mal ficelé. Les données qui y figurent seraient troubles, voire erronées. Particulièrement en matière de densité. Combien de logements prévus par hectare ? Ils ont obtenu plusieurs réponses à leur question. Qui aboutissent à des résultats très divergents. L’hypothèse la plus haute parle bien de 434 habitations, mais 395 ou 329 ont aussi été évoquées.
Beaucoup trop, dénoncent-ils. Pour parvenir à atteindre l’un de ces trois objectifs dans un espace restreint, il faudra construire en hauteur (le document va jusqu’à la possibilité de 3 étages au-dessus du rez-de-chaussée) et collé-serré. Ce qui ne se marierait pas avec le style des 4-façades bien à leur aise sur leur terrain. » Nous avons payé pour un certain cadre de vie, on ne va pas laisser tout gâcher sans rien faire « , lance Luc Verkest.
» Le projet est disproportionné par rapport à l’esprit du quartier, complète Bruno Hesbois. On ne veut pas entrer dans une logique de recours, mais pratiquer la politique de la main tendue vers le politique. Nous voulons une vraie concertation. » Les opposants ajoutent qu’autant de nouvelles habitations ne manqueront pas de causer des problèmes de mobilité, alors que les routes alentours sont déjà chargées aux heures de pointe. » Il est illusoire de croire que les gens se passeront de voiture… »
Ils ont remis un dossier au fonctionnaire délégué, interpellé tous les élus communaux. Mais jugent ne pas avoir été entendus. Sauf par… l’opposition PS, qui a sans doute vu là une belle flèche à décocher à la majorité CDH-MR-Ecolo.
La saga ne fait que commencer
» Nous ne voulons pas que le plateau de Bellevue devienne le plateau de la bévue « , scande Eliane Tillieux, cheffe du groupe socialiste. Celle-ci affirme partager les craintes des riverains, mais s’interroge également sur la stratégie foncière de la Ville. » Ne pourrait-on pas imaginer qu’elle garde la main sur ses terrains plutôt que les céder, par exemple en proposant des baux emphytéotiques aux habitants ? »
Sur ce point, elle pourrait tomber d’accord avec Arnaud Gavroy, qui imagine bien un système de community land trust, où les propriétaires acquièrent la maison, pas le terrain. Une manière, par la même occasion, de faire baisser les prix. Car construire des logements abordables pour les jeunes ménages dans un éco-quartier… L’échevin reconnaît qu’il faudra se montrer astucieux, tant financièrement que politiquement.
Sur le reste, pas sûr que les violons s’accorderont. L’Ecolo n’est pas tendre à propos des contestataires. » Ils ne veulent pas voir autre chose que des pavillons derrière chez eux. Mais dans le contexte actuel, ce serait criminel de continuer à construire comme par le passé ! Il faut s’adapter au futur qui s’amorce. Et sortir de l’émotionnel. »
La délivrance du RUE est attendue pour la fin d’année. L’esquisse d’un projet concret est espérée par l’échevin à partir de 2015. La saga Bellevue ne fait que commencer. Mais elle comportera sans doute de nombreux épisodes.
Par Mélanie Geelkens