Beaucoup de show, peu d’emplois

Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

Pour son data center belge, le géant des moteurs de recherche a décroché l’un des plus beaux terrains industriels de Wallonie. Résultat : à peine 40 emplois directs et pas un euro d’impôts. Enquête.

Elio Di Rupo entouré d’une nuée de photographes et de cameramen, tout sourire, auguste comme un seigneur arpentant son fief. Mais avec un gilet fluo et un casque de chantier frappés de l’écusson du vrai maître des lieux : Google. C’était le 10 avril, à Saint-Ghislain.

Le géant californien de la recherche sur le Web venait d’annoncer un nouvel investissement de taille sur le zoning de Ghlin-Baudour Sud : 300 millions d’euros destinés à doubler l’étendue de son centre de données, l’un de ses treize data centers ultra-protégés où sont stockées toutes les informations de ses utilisateurs. Après les 250 millions d’investissement initial, Google aura donc injecté en Hainaut plus d’un demi-milliard. Le chantier, dont la fin est prévue avant l’hiver, pourrait occuper à son pic de 300 à 350 personnes. Si le nombre d’emplois fixes ne doublera pas pour autant, il est certain que de nouveaux travailleurs rejoindront les quelque 120 personnes déjà présentes sur le site.

En ces temps de grisaille sur le front industriel, l’occasion était belle pour le Premier ministre montois de lancer un cocorico aux JT :  » La Belgique est un pays d’accueil, de créateurs, grâce à la qualité de nos universités, la qualité de vie, la main-d’oeuvre, les infrastructures. Donc, on a tout pour pouvoir s’en sortir.  »

Mais est-ce vraiment l’expertise de nos ingénieurs qui a attiré la multinationale en Wallonie ? Et notre qualité de vie si douce ne serait-elle pas plutôt fiscale ? Car derrière les slogans, la réalité économique prend un tout autre aspect lorsqu’on l’observe à la lumière des comptes annuels de Google. Ou plutôt de Crystal Computing, cette filiale belge créée en août 2006 afin de lancer le projet de data center en toute discrétion.

Cent-vingt travailleurs ? Dès l’inauguration du site, en octobre 2010, Google se targuait d’avoir atteint cet objectif.  » Dont 75 Wallons « , précisait Freddy Bonhomme, l’un des responsables du centre. Pourtant, les comptes de l’exercice faisaient alors état de… 19 équivalents temps-plein. Dont un seul diplômé du supérieur, non universitaire. En 2011, alors que le centre avait été pleinement opérationnel toute l’année, les effectifs ont culminé à 40 employés. Parmi eux, deux universitaires, un diplômé du supérieur et trente-sept travailleurs de niveau secondaire. Pas vraiment un repaire d’ingénieurs hautement qualifiés.

Aujourd’hui ? La direction du data center n’a pas donné suite à nos demandes d’informations. Interrogée récemment par nos confrères de Trends/Tendances, la responsable de la communication de Google Belgique a ressorti le chiffre de 120 personnes,  » réparties entre temps-plein et sous-traitants, du technicien en informatique à l’ingénieur en passant par la sécurité, la restauration et le facility management « .

Bref, Google englobe parmi ses travailleurs les emplois indirects, ce qui lui permet de tripler le nombre de postes de travail créés. Une manière de compter plutôt innovante, ironisent les syndicalistes de la région.  » Ce sont des emplois indirects à temps plein, nuance Geneviève Finet, chef du service développement économique de l’intercommunale Idea, gestionnaire du zoning. Il ne s’agit pas de sous-traitants qui travaillent le matin pour une entreprise et à midi pour une autre.  »

Reste que la Région ne voit pas les choses sous cet angle. En janvier, a appris Le Vif/L’Express, le ministre de l’Economie Jean-Claude Marcourt (PS) a notifié à Google le refus d’une aide à l’expansion économique de 10 millions d’euros. Motif : cette aide était conditionnée à la création de 110 emplois directs, loin d’être atteints. Est-ce la raison pour laquelle aucun ministre wallon n’était présent le 10 avril aux côtés d’Elio Di Rupo ? Au cabinet Marcourt, on assure que les relations avec l’entreprise américaine sont au beau fixe :  » C’est le ministre qui a permis ce nouvel investissement de Google, en négociant avec son fournisseur d’électricité (NDLR : Electrabel) une réduction de son énorme facture.  » A quelles conditions ? Mystère.

Impôts zéro

S’il crée peu d’emplois directs, le Google data center paye également peu d’impôts. Plus du tout même. En 2008, Crystal Computing avait reversé 325 337 euros sur un bénéfice de 850 161 euros. Mais en mars 2009, la discrète SPRL lancée avec 18 550 euros de capital a connu un apport d’argent frais spectaculaire : 275 millions d’euros ! En 2011, ses fonds propres atteignaient près de 335 millions. Une manne qui lui permet de bénéficier à plein des intérêts notionnels. Pour rappel, ce mécanisme fiscal propre à la Belgique permet aux entreprises de réduire leur base d’imposition en déduisant un pourcentage de leurs fonds propres, comme s’il s’agissait d’un emprunt. Sur un bénéfice de 8,6 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 107 millions facturé à sa société mère Google Irlande, Crystal Computing a ainsi déboursé en 2011 très exactement zéro euro d’impôt. Comme beaucoup d’autres multinationales installées sur le sol belge, d’ailleurs. L’argument en faveur de ce système est connu : sans les intérêts notionnels, jamais ces entreprises ne seraient venues chez nous.

Voire. Elio Di Rupo a raison sur un point : la qualité de nos infrastructures s’est révélée déterminante dans le choix de Google. Le terrain de 85 hectares qu’il a acquis pour un peu moins de 13 euros le mètre carré est une pépite. Desservi en fibre optique, situé le long du canal Nimy-Blaton, il autorise un système de refroidissement par évaporation unique au monde, qui permet au data center de fonctionner sans tour de refroidissement. Et l’optimisation énergétique devrait encore être améliorée après les travaux d’agrandissement.

Le hic : il ne reste plus de terrain industriel de cette taille en Wallonie.  » Ils ont pris le dernier que nous avions, reconnaît Geneviève Finet. Nous en avons encore quelques grands, mais plus de cette ampleur.  » Autrement dit, un autre gros investisseur qui frapperait aujourd’hui à la porte de l’intercommunale de Mons-Borinage-Centre serait contraint de patienter. Au risque qu’il aille voir ailleurs. Le jeu en valait-il la chandelle ? L’Idea gère 3 400 ha de zonings qui abritaient, fin 2011, 21 469 emplois. Soit une moyenne de 6,3 emplois par ha. Même en comptant 120 employés, le data center de Google atteint à peine 1,5 temps-plein par ha. Quatre fois moins que la moyenne.

Mais la qualité d’un investissement ne se mesure pas uniquement en nombre d’emplois ou d’impôts perçus. Si les retombées en termes d’image restent difficiles à évaluer, l’arrivée de Google en région de Mons, suivie par des investissements nettement moindres de Microsoft et d’IBM, ont permis à la ville d’asseoir son concept de  » Digital Innovation Valley « . Le socle même de sa candidature au titre de Capitale européenne de la culture 2015, basée sur la formule :  » Là où la technologie rencontre la culture « . Après ce succès, Elio Di Rupo a toutes les raisons de sourire.

DÈS CE JEUDI 25 AVRIL,  » GOOGLE : QU’Y GAGNE LA WALLONIE ?  » EST LE THÈME DE L’ÉMISSION Z-PIQUÉ AU VIF AVEC ETTORE RIZZA SUR canal Z

ETTORE RIZZA

Google atteint à peine 1,5 temps-plein par ha. Quatre fois moins que la moyenne

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