Toute l’Europe entendra parler de la première victoire de fantassins sur une armée de chevaliers. La bataille de Courtrai a brisé l’emprise française en Flandre. Pas pour longtemps.
La bataille de Courtrai illustre l’opposition entre la centralisation française, incarnée par Philippe IV le Bel, et la démocratie municipale des métiers, conflit qui se perpétuera bien au-delà du Moyen Age. Commencée à la mi-journée, la bataille est brève – deux à trois heures – et intense. Après un échange de flèches et de carreaux d’arbalètes, les fantassins français avancent jusqu’aux lignes flamandes. Mais les chevaliers français, impatients de récolter les fruits d’une victoire qui semble facile, passent trop tôt à l’attaque. Armées de longues piques, les milices communales résistent aux assauts le long d’un fossé en demi-lune bordé par la Lys et des marécages. Embourbés, les chevaliers français sont désarçonnés et massacrés. Les Flamands et leurs alliés zélandais et namurois n’auraient perdu qu’une centaine d’hommes. Dans les rangs français, plusieurs centaines de chevaliers et un millier d’écuyers ont perdu la vie.
Toute l’Europe entendra parler de la bataille, première victoire d’une masse anonyme de fantassins sur une armée de chevaliers. » Cette défaite de la France, grande puissance de l’époque, fait grand bruit jusqu’en Italie et en Espagne, rapporte l’historien Luc De Vos. Le triomphe de 1302 a brisé l’emprise française en Flandre, mais il sera de courte durée. Car les Flamands sont incapables de s’unir. Leurs villes se concurrencent. Tout profit pour la tutelle française. »
Un symbole identitaire
Dès août 1304, la flotte de Philippe le Bel anéantit les navires flamands devant le port de Zierikzee. Une semaine plus tard, l’armée flamande perd son chef, Guillaume de Juliers, à la bataille de Mons-en-Pévèle, près de Douai. En 1305, les Français imposent au comte de Flandre, Robert de Béthune, l’accablant traité d’Athis-sur-Orge. Le comté est amputé de sa partie méridionale, la Flandre » gallicante » (Lille, Douai, Béthune) et les Flamands sont contraints de démolir les fortifications de leurs villes et de payer une lourde indemnité de guerre.
Pendant cinq siècles, la bataille de Courtrai n’occupe qu’une place marginale dans la mémoire collective. Elle commence à attirer l’attention à partir de la fin du XVIIIe siècle. Les adversaires des réformes de l’empereur Joseph II la considèrent comme une preuve de l’existence d’anciens droits et privilèges. Après l’indépendance de 1830, la victoire de 1302 fait l’objet d’études dans une perspective nationaliste belge. Le roman d’Henri Conscience, De Leeuw van Vlaanderen, fait la part belle à l’héroïsme. Il a un tel retentissement que le culte de la » bataille des Eperons d’or « , appellation popularisée par l’ouvrage, éclipse celui du héros gantois Jacques Van Artevelde. La bataille du 11 juillet – date de la fête de la Communauté flamande – ne prendra une forme antibelge que plus tard, conséquence de la radicalisation du mouvement flamand.
» Dans l’imaginaire flamand, la bataille des Eperons d’or, rejet de la domination française, est un symbole identitaire fort, estime l’historien Hervé Hasquin. Les Flamands fêtent toujours l’événement, alors qu’ils semblent peu s’intéresser à la bataille de Waterloo. Et pour cause : Waterloo a fait basculer nos provinces dans le Royaume des Pays-Bas, étape vers une Belgique indépendante. »
Olivier Rogeau