Axel Dumas Fils d’Hermès

Représentant de la sixième génération, ce quadra aux allures de dandy va prendre les rênes de la vénérable et très profitable maison de luxe. Sa nomination, qui ne doit rien au hasard, consacre le retour de la famille au pouvoir.

Les cheveux noirs peignés avec soin, le regard pétillant, un menton arrondi sous un large sourire, Axel Dumas affiche un air serein. Dans quelques jours, le quadra, descendant de la sixième génération, prendra les rênes d’Hermès. Cent septante-six ans d’histoire à endosser.

Le 4 juin, à l’issue de l’assemblée générale annuelle, Patrick Thomas, l’actuel gérant, partagera son siège avec l’heureux élu jusqu’à son départ, à la fin de 2013. Axel Dumas, qui cultive la discrétion avec autant de soin que ses aînés – inutile de le chercher sur Wikipédia, dans le Who’s Who ou le Bottin mondain -, se retrouvera alors sur le devant de la scène. Seul à la tête d’un mastodonte aux 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et aux marges époustouflantes. Après la parenthèse Patrick Thomas, l’unique étranger à avoir dirigé la firme, la famille est de retour aux commandes. Plus forte et soudée que jamais, trois ans après l’intrusion spectaculaire du n° 1 mondial du luxe, LVMH, à son capital.

A l’origine, Axel Dumas n’était pas programmé pour décrocher cette place tant convoitée. Fils d’Olivier Dumas, un médecin passionné de Jules Verne, il (n’)est (que) le neveu de Jean-Louis Dumas, l’homme providentiel d’Hermès. Disparu en 2010, ce dernier aurait souhaité y asseoir son fils, Pierre-Alexis, actuel directeur de la création. Mais le dauphin tergiverse, quitte Hermès pour se former à la création, et le père s’en va chercher ailleurs. Chez L’Oréal d’abord, puis chez les whiskys William Grant. Bonne pioche, cette fois : il ramène Patrick Thomas, le patron depuis 2006.

C’est à cette époque qu’Axel entre dans le paysage. Débarqué en 2003 des Etats-Unis, après six ans passés à Paribas (à Pékin puis à New York), le jeune financier épate rapidement son monde.  » Il est brillant, il va extrêmement vite « , dit de lui Patrick Thomas, qui assure l’avoir repéré très tôt au sein du vivier familial. Son ascension dans le groupe est fulgurante. Après un passage éclair comme auditeur des comptes – le seul poste qu’il avait expressément demandé à ne pas occuper ! -, il enchaîne à la direction commerciale France, puis à celle de la bijouterie et, enfin, à la direction de la maroquinerie, la division reine, à l’origine de près de la moitié des ventes. Chaque fois, il imprime sa marque : la réorganisation des magasins, la création du concept de haute bijouterie ou encore le développement de trois sacs à succès – le Jypsière, le Toolbox et le Lindy. En 2011, il est promu directeur général des opérations. Un poste créé sur mesure. L’antichambre du pouvoir.

Outre un curriculum vitae impeccable – licence de philosophie, maîtrise de droit, Sciences po… -, on lui reconnaît bien des qualités humaines (de l’humour, notamment) qui rappellent quelques figures de la maison. Et puis, c’est un Dumas ! La seule des trois branches de la dynastie – aux côtés des Puech et des Guerrand – à avoir été aux commandes. La plus riche aussi : elle possèderait toujours 25 % du capital.

Dans ses nouveaux habits, Axel Dumas paraît déjà à l’aise.  » Il a endossé le rôle de façon très naturelle « , estime un proche.

 » Lorsque nous sommes en réunion avec Axel, on ne s’ennuie jamais « , assure Pierre-Alexis. Son rire tonitruant est communicatif.  » Il a ce don de détendre une discussion par un simple jeu de mots « , ajoute Wilfried Guerrand, compagnon de route des premières années, et actuel directeur général d’Hermès Femme. En 2010, lors de la présentation de la collection cuir, il se lance avec Olivier Fournier, directeur du pôle artisanal maroquinerie, dans un duo comique au Palais des Congrès. 2 000 salariés se tordent de rire. La même année, il apparaît grimé en licorne pour la soirée d’inauguration du thème Hermès. Et Axel Dumas d’ironiser :  » J’ai évité le lapin rose !  » Les créatifs sont sous le charme. Leila Menchari, l’excentrique décoratrice des vitrines Hermès, à l’oeuvre depuis 1978, en parle avec la tendresse d’une mère. Son ami Pierre Hardy, directeur de la création chaussures, conclut :  » Il a de l’audace, n’a pas peur de secouer la marque.  »

Une réputation à bâtir

Cet homme n’aurait donc aucun défaut ?  » Il est tout le temps en retard « , déplore Patrick Thomas. Dans la maison, on a beau l’appeler Axel et facilement le tutoyer, il peut aussi être cinglant, voire cassant.  » Son humour lui tient lieu de carapace « , plaide son oncle, Bertrand Puech.  » Il n’aime pas lorsque cela ne suit pas. Parfois alors, ses mots dépassent sa pensée « , ajoute un ancien cadre. Le plus souvent, on lui pardonne parce qu’il lui arrive d’avoir des regrets. Et aussi parce que ses remarques acérées sont souvent justifiées. C’est que, méticuleux et précis, l’homme connaît les chiffres, les marchés et le produit, et ne laisse guère place à l’approximation. Dans une discussion, il pousse ses interlocuteurs à aller au bout de leur démonstration.  » Il est toujours dans l’échange, il attend qu’on lui renvoie la balle « , raconte Olivier Fournier.

A l’extérieur de la maison, cependant, sa réputation reste à bâtir. A peine si les analystes financiers le remettent ! Aux réunions de grands patrons ou aux soirées parisiennes, il préfère les raouts organisés par les amis de sa femme, Elisabeth Franck-Dumas, journaliste chef de service à Next, le mensuel culturel de Libération. La communicante Anne Méaux, appelée à la rescousse lors de l’assaut de LVMH, assure quand même lui avoir organisé quelques dîners depuis l’annonce de sa nomination il y a un an.

Gourmand, amateur de charcuterie, amoureux de la Grèce, passionné d’art contemporain et mordu de philosophie – il cite Platon et les présocratiques -, Axel Dumas se raidit quand les sujets plus intimes viennent sur la table. La religion protestante ?  » Oui, j’ai été élevé dans cet esprit industrieux, économe et responsable.  » Mais encore ?  » C’est personnel.  » Sa femme et ses deux enfants, Anatole et Louise ? Tabou. La politique gouvernementale ?  » Il n’appartient pas à Hermès de la commenter.  » Ah bon ?

Le traumatisme LVMH reste encore vif dans son esprit. Lorsqu’il apprend l’intrusion de la firme au capital de la maison en octobre 2010, il est à Harvard. Il veut rentrer sur-le-champ, mais la famille tempère ses ardeurs. Ce serait du gâchis. A son retour, il sera de toutes les réunions quotidiennes pour mettre sur pied la holding H51, qui immobilise désormais 50,2 % du capital familial.  » C’était le plus déterminé à ne rien lâcher « , se souvient Me Olivier Diaz, du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier, appelé alors en renfort. Et Philippe Ginestié, conseil historique de la famille, de renchérir :  » C’était un peu le chef de guerre, irréductible face à l’ennemi.  » Invité à une réunion avec Bernard Arnault, l’assaillant, il a tout bonnement refusé de le rencontrer.

Voilà qui donne le ton pour les années à venir. Axel Dumas fera tout ce qui est en son pouvoir pour maintenir l’indépendance du groupe, éviter la banalisation de la marque, garantir encore et encore l’excellence Hermès, et faire prospérer la lignée… sans perdre son âme. Un défi pour cette maison qui voulait grandir sans jamais grossir, et qui pourtant a pris du gras. Elle pèse désormais plus de 28 milliards d’euros en Bourse – soit plus que PPR ou la Société générale – et, déjà, dans les ateliers de Pantin, certains anciens se mettent à regretter l’entreprise de naguère, plus conviviale. A l’extérieur, les mauvaises langues soutiennent que Dumas le jeune est attendu au tournant par cette famille devenue, en 2012, la troisième fortune de France :  » S’il réussit, tout le monde dira que c’était normal, s’il échoue, on lui tombera dessus.  » Lui espère une chose :  » Continuer chaque jour avec le même enthousiasme.  » Enthousiasme, du grec entheos,  » avoir le dieu en soi « . Facile quand on est fils d’Hermès.

JULIE DE LA BROSSE

Invité à une réunion avec Bernard Arnault, l’assaillant, il a refusé de le rencontrer

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