Ecrire sur la ville de l’utopique Mundaneum autorise à un exercice d’uchronie : et si Elio Di Rupo était devenu bourgmestre en 1988 ? S’il n’avait pas dû prendre la citadelle municipale par le haut ?
Gageons qu’Elio Di Rupo aurait, comme dans une ascension politique ordinaire, d’abord établi ses quartiers locaux autour de lieutenants du coin avant de s’en aller, avec eux, conquérir les capitales, et de tisser, par des cercles concentriques, un réseau de soutiens de plus en plus éloignés dans l’espace. Même si aujourd’hui ses échevins socialistes n’ont pour seule contrainte que de se choisir des fonctionnaires municipaux pour composer leur cabinet, au moment de son intronisation montoise, il gardait, chez les socialistes du cru, donc et y compris dans l’administration communale, de rancuniers adversaires.
Cela eut deux conséquences. La première, c’est qu’il limita vigoureusement les concessions au camp des terrassés : il fallut douze ans (tiens, tiens…) au fils de Maurice Lafosse, Pascal, pour siéger au collège communal. La difficulté de se trouver un directeur général stable car fiable relève de cette longue méfiance mutuelle. La seconde, c’est qu’il s’entoura surtout de personnes soit en rupture avec l’ancien régime, soit franchement novices. Au rang des premiers, Gilles Mahieu, qui fut chef de cabinet de Maurice Lafosse avant de l’être pour son successeur. Parmi les seconds, Anne-Sophie Charle, entrée comme porte-parole, et très vite érigée en clé de voûte de l’édifice mayoral.
La rigueur presque pathologique d’Elio Di Rupo l’a fait choisir ses fidèles comme à partir d’un modèle-type, ce qui peut les faire paraître interchangeables, et facilite les transmissions. Ils sont sveltes, tous. Propres, beaux et toujours frais chacun. Aucun n’est dilettante, surtout pas. Tous sont d’une intelligence aussi redoutable que travailleuse. Chacun est d’une fidélité absolue, ce qui facilite les transmissions (bis). Les vrais connaisseurs sentent sans devoir le voir, rien qu’à un timbre de voix qui change, si Gilles Mahieu se trouve en présence d’Elio Di Rupo ou pas.
Tous transpirent, à l’égard de leur grand homme, d’un respect suspicieux. Car gare à celui qui dit du mal, et honte à celui qui en pense. Ils sont tous de souriants control-freaks tirés à quarante épingles au moins. Comme le patron, quoi. Pas toujours à l’abri d’une gaffe néanmoins – tout le monde n’est pas un robot comme le patron. La porte-parole du bourgmestre, Juliette Picry, se demande encore pourquoi elle a laissé échapper une phrase qu’elle pensait anodine à un reporter britannique, entre le beffroi et la gare d’où il partait. Il en fit un gros titre du Guardian ( » Mons est la capitale européenne de la culture, mais ses habitants veulent seulement aller à Ikea « ) qui rend son énonciatrice un peu moins interchangeable dans les sphères socialisto-montoises.
A la Ville de Mons, c’est désormais Ermeline Gosselin qui dirige le cabinet mayoral, après avoir brillé au Boulevard de l’Empereur. Là-bas, c’était Gilles Mahieu qui avait tenu la boutique avec elle pendant des années. Jacques Braggaar, son successeur au secrétariat du parti, né à Ath et pourvu d’utiles connexions liégeoises, connaît Mons de près. Il y sera encore plus souvent. Installé au palais provincial en 2012, le gouverneur du Hainaut Tommy Leclercq, spécialiste éminent du tourisme, chantre onctueux de la culture wallonne, n’est pas que ça. Le Lobbain, qui n’est pas parvenu à composer, dans sa commune, une majorité à son service, mettant de la sorte un terme à ses ambitions politiques, est également un des plus proches amis du bourgmestre. » N’importe où et n’importe quand, si Tommy appelle Elio, il répondra toujours « , s’estomaque un socialiste.
La Province, important acteur culturel, scolaire et immobilier de la préfecture du département de Jemmapes, a du reste été un des leviers de Mons 2015… n’en déplaise à certains membres du collège provincial, auxquels leur premier magistrat plaît couci-couça. Voués davantage à un rôle en vue, donc sur la scène électorale locale et au-delà, deux figures ont été sélectionnées selon les mêmes critères par Elio Di Rupo, et élevées à semblable école : celle d’une intercommunale. La collecte des déchets pour Joëlle Kapompolé, le grand hôpital public pour Nicolas Martin.
Puis un échevinat, furtif pour l’une, bien plus long pour l’autre. Puis de bons résultats électoraux, moins pour l’une que pour l’autre. Ils sont appelés à gérer, pour le compte du PS, l’héritage montois d’Elio Di Rupo. Quand ? Il est parti pour encore douze ans (tiens, tiens… (bis)) de mayorat. Qu’il occupe la tête de liste socialiste en 2018 est une certitude établie. Qu’il y figure itou en 2024 est une certitude, mais beaucoup moins proclamée. Parce que les ayants droit, tout doucement, s’impatientent. Ils y pensent de plus en plus. Ils le taisent de moins en moins.
Par Nicolas De Decker