Dans le monde de l’imaginaire, tout est possible, sensuel et terrible à la fois. Les Métamorphoses d’Ovide ont, depuis la Renaissance, inspiré peintres, sculpteurs et graveurs. Une trentaine d’oeuvres ont été réunies au Louvre-Lens.
Comment expliquer le monde, son origine et ses déluges ? Comment mettre de l’ordre dans le chaos de la vie et des passions, s’opposer aux autorités et suivre son instinct ? A toutes ces interrogations, les Grecs et les Romains ont répondu en inventant la saga des dieux, les aventures des nymphes et celles des héros. Parmi tous ces textes, l’un des plus influents fut Les Métamorphoses d’Ovide.
A 24 ans, Ovide s’impose dans la Rome d’Auguste par des récits aux thèmes érotiques. Suivront une série d’écrits sur la séduction : Les Héroïdes, L’Art d’aimer, puis Les Remèdes à l’amour. A 40 ans, inspiré par les textes d’Hésiode et d’Homère, le poète entame l’écriture des Métamorphoses. Tout au long des 250 fables, les suggestions dominent. Du coup, elles laissent libre cours aux interprétations et stimulent l’imaginaire des peintres. Dans cet univers irréel, les rivières, sources, étangs et mers profondes deviennent des sujets agissants et de même les arbres, taillis, fruits et fleurs soumis, pour le meilleur et pour le pire, aux interventions des puissances supérieures. Et celles-ci ont le pouvoir magique de métamorphoser ici leur protégé, là, les adversaires. Les paysans de Lycie sont transformés en grenouilles, Daphné voulant échapper aux avances d’Apollon se fait laurier et Myrrha, pour avoir commis l’inceste avec son père, voit son corps prendre l’aspect d’un arbre alors que le géant Atlas se fige en une montagne.
Au passage, le poète évoque aussi les raisons pour lesquelles les mûres ont la couleur sombre du sang ou encore, l’origine des fleurs de narcisse et celle des coraux… Tout cela valait bien une immense exposition qui aurait réuni tous les génies qui – de Breughel à Titien et Rubens en passant par Poussin, Caravage, Zurbarán, Ribera, Boucher et tant d’autres – ont exploré le texte d’Ovide. Au Louvre-Lens, on a préféré inoculer le plaisir à petites doses. Soit une trentaine d’oeuvres qui, toutes (quelle belle idée !), révèlent les richesses souvent méconnues de seize musées de la région du Nord-Pas-de-Calais. Certes, il n’y a pas ici que des pièces maîtresses mais entre les noms illustres – Rubens, Delacroix, Rodin, Carpeaux…-, on découvre des artistes oubliés. L’exposition inclut même un tympan du XIIe siècle, un meuble flamand du XVIIe ou encore, quelques faïences et céramiques qui révèlent combien Ovide a aussi pénétré l’esthétique des objets décoratifs.
Visite en trois temps
Une mise en bouche, d’abord. On découvre dans deux vitrines quelques-unes des divinités à travers six petits bronzes romains de l’époque d’Ovide. Ainsi Jupiter, le roi des dieux, et séducteur aussi terrifiant que rusé. Cupidon qui préside aux amours, Mercure, le voyageur, Minerve le guerrier, Vulcain le dieu du feu et Neptune celui des mers. Aux cimaises, des gravures (du XVIe au XXe siècle de Picasso) évoquent le récit des aventures d’Actéon transformé en cerf, d’Arachné en araignée ou encore d’Adonis, dont le sang fera naître les anémones. On passe ensuite au thème principal des Métamorphoses : l’amour. Amour-passion venu comme un coup de foudre irrépressible et très physique mais bien sûr contrarié. Entre fougues et ruses, remords et vengeances. Voilà Narcisse sculpté dans le marbre par Ernest Hiolle en 1868 et par Jean Gabriel Chauvin près de quatre-vingts ans plus tard. Voilà Jupiter dans le corps d’un taureau blanc pour séduire Europe sur une faïence émaillée de 1925 signée JR Gauguin et le même, aux parfums de XVIIIe siècle, sous le pinceau de Sébastien II Leclerc. La dernière partie du parcours fait la part belle aux héros comme Ulysse, Orphée, Icare et Persée avec, par exemple, des oeuvres de Van Dijck et d’Henri Regnault, la seule pièce prêtée par un musée parisien (Orsay).
Médée, la sorcière amoureuse
» Un feu violent s’allume dans le coeur de la fille d’Acétès, roi de Colchide « . Mais peut-elle succomber à sa passion pour un étranger, le beau et courageux Jason ? Va-t-elle fuir le déshonneur, affronter la colère de son père ? La passion l’emporte. Et comme Médée est magicienne, elle aidera Jason à combattre en lui offrant des herbes enchantées, entame pour lui des chants magiques et, quand il doit affronter le dragon aux trois langues, c’est elle encore qui » jette sur lui une plante dont le suc a les effets du Léthé « . Médée intervient aussi, à la demande de son amant, pour préparer des potions afin d’offrir à son beau-père, une cure de rajeunissement. Pour ce faire, elle convoque les puissances de la terre, des airs, des fleuves et même de la lune et prépare une potion longuement décrite par le poète. Enfin, elle allonge le vieil homme sur un lit d’herbes et après l’avoir assoupi, elle » ouvre sa gorge, laisse écouler le vieux sang et le remplace par les sucs qu’elle a préparés. » Le miracle s’accomplit. Jason qui, entre-temps, a dérobé la Toison d’or, pourtant, ne sera pas fidèle à sa protectrice. Alors Médée sera impitoyable. Elle tuera sa rivale puis dévorera ses propres enfants. C’est cette dernière scène qui a retenu l’attention d’Eugène Delacroix. Une toile prêtée par le musée de Lille.
La belle Aréthuse
Cette fois encore, la beauté du corps de la nymphe Aréthuse sera la cause de ses ennuis. Après avoir traversé bien des forêts de Sicile, elle s’approche d’un fleuve afin de se rafraîchir. Elle pose un pied d’abord puis entre les chevilles. Le plaisir qu’elle ressent l’encourage à se dévêtir, à plonger nue et à s’ébattre. Soudain, des profondeurs de l’eau, elle entend un murmure suivi par le surgissement du dieu du fleuve, Alphée qui aussitôt veut la séduire. Aréthuse s’enfuit, court vite et longtemps. Mais Alphée se rapproche. C’est alors que la déesse Artemis intervient et cache l’héroïne sous un épais brouillard puis la métamorphose en fontaine. C’est ce moment que choisit de peindre en 1847, Léopold Burthe, un tableau appartenant aux collections de Roubaix.
Métamorphoses, au Musée du Louvre-Lens. Jusqu’au 21 mars 2016. www.louvrelens.fr
Par Guy Gilsoul