Au coeur des ténèbres

(1) Des histoires d’horreur qui ont vraiment eu lieu (1992).

N’ayez pas peur… Ayez TRèS peur ! Ce slogan, imaginé pour la sortie du Silence des agneaux, pourrait bien convenir au cinéma de Hideo Nakata, dont la voix incontestablement la plus originale et la plus remarquable s’est fait entendre ces dernières années dans le domaine du film fantastique et d’horreur. Le cinéaste de 43 ans au visage un peu poupon s’est imposé rapidement comme le maître contemporain d’un art de la terreur préférant la suggestion à la démonstration, le trait subtil aux déchaînements sanglants, l’inquiétude profonde aux stridences de surface. Ce qu’il définit lui-même en anglais comme  » quiet horror  » (horreur tranquille) a valu à ses films un succès dépassant largement les frontières nipponnes. Ghost Actress signala son talent avant que Ring ne s’impose internationalement û en 1998 û comme une £uvre culte, renouvelant le genre, très populaire au Japon, du film de fantômes. L’intrigue de ce film montre une cassette vidéo provoquant la mort de ceux et celles qui la regardent, à moins qu’ils ne trouvent, dans les sept jours qui suivent, une autre victime prête à la visionner…

Le succès de Ring entraîna la réalisation d’une suite ( Ring 2) par Nakata, tandis que Hollywood produisait û sans lui û un  » remake  » du premier film de la série. Récemment, et après avoir signé avec Dark Water un nouveau film de tout premier plan, le réalisateur japonais a traversé le Pacifique pour tourner The Ring 2, non pas  » remake  » de son propre Ring 2, mais suite du The Ring mis en scène aux Etats-Unis par Gore Verbinski… Un drôle de plan pour un artiste que les sirènes hollywoodiennes ne laissent pas indifférent (il va tourner bientôt, aux Etats-Unis, un  » remake  » de The Eye, des frères coréens Pang), même si les contraintes propres à l’industrie américaine du film réduisent forcément un peu sa latitude d’auteur.

Plus est moins

Invité au BIFFF (Festival international du film fan- tastique de Bruxelles), Hideo Nakata nous a confié quelques secrets de son inspiration, que le hollywoodien The Ring 2 ne trahit pas complètement, même s’il est moins personnel dans son récit du combat d’une mère (Naomi Watts) pour sauver son jeune fils des plans maléfiques d’une petite revenante.

Gamin, le petit Hideo Tanaka rêvait de devenir un scientifique, mais c’est vers le cinéma que se tourna finalement,  » un peu par accident « , le diplômé de l’université de Tokyo. Assistant aux studios Nikkatsu, il eut pour mentor Masaru Konuma, spécialiste du  » roman porno « , un genre spécifique au Japon et pratiquant un érotisme à la fois soft dans sa représentation et audacieux dans ses thématiques volontiers sado-maso…  » Je n’étais nullement fan de films d’horreur, se souvient le réalisateur, mais, quand la télévision m’a approché pour me donner ma chance comme metteur en scène à part entière, c’était pour me proposer une mini-série d’histoires horrifiques (1). J’ai saisi ma chance, en professionnel, j’ai réussi à faire peur et les producteurs japonais en ont déduit que ma voie était toute tracée… Trois ans plus tard, j’ai ainsi pu faire mon premier long-métrage de cinéma, Ghost Actress, un film dont j’avais eu l’idée et dont le personnage central est un réalisateur hanté par des images étranges et perturbantes pendant le tournage de son film…  »

Dès cette première grande expérience et encore plus avec Ring, Nakata a développé une manière très personnelle, faisant du  » less is more  » (moins = plus) sa subtile base de travail. D’une singulière économie d’effets, son cinéma instille une inquiétude réaliste et poétique à la fois, une tension palpable où l’apparition de l’élément terrifiant est longuement reportée, laissant à l’imagination des personnages, et du spectateur surtout, le soin de concevoir le pire…  » J’ai désormais accepté ma destinée de cinéaste d’horreur, sourit notre homme, mais en le faisant d’une manière différente de la plupart des productions du genre. J’aime une horreur tranquille, ancrée dans le quotidien, dans le réel, même si des fantômes effrayants y naviguent. Je déteste les films qui font couler des litres de faux sang. Ce dernier n’a aucune réalité. Si j’avais la possibilité d’utiliser du vrai sang humain, je pourrais peut-être parvenir à en faire quelque chose d’intéressant… Mais ce n’est pas le cas et, dès lors, je préfère m’abstenir. L’authenticité est importante pour moi, et elle suppose une certaine subtilité.  »

Nakata désigne la fenêtre derrière lui et explique :  » Imaginez un fantôme qui flotte simplement derrière la vitre et les rideaux, les yeux tournés vers nous. Il ne nous ferait rien, mais la peur nous gagnerait néanmoins, irrépressiblement. Et bien plus que, si à la place de ce fantôme au regard triste, il y avait un monstre qui crevait la vitre dans un grand fracas et nous attaquait soudainement !  »

Eaux troubles

Hideo Nakata, même s’il se déclare lui-même  » rationnel et incroyant « , et peu fasciné par le monde des esprits, ne manque pas de relier les thèmes de ses films à la tradition extrême-orientale des histoires de fantôme,  » une tradition née en Chine et faisant la part belle aux personnages de femmes assassinées, revenant hanter leur meurtrier (le mari, parfois), des fantômes moins vengeurs que mélancoliquement accusateurs, habités de sentiments de perte, de tristesse. Au Japon, le théâtre (Kabuki, Nô) a cultivé cette thématique. Les fantômes féminins, vêtus de blanc (chez nous la couleur du deuil), aux longs cheveux noirs (symbole de beauté mais aussi de colère) masquant le visage que je place dans mes films, sont issus de cette tradition « .

L’élément aquatique, également très relié à la culture japonaise, est omniprésent, et de façon menaçante, dans l’univers de ses films.  » Je suis d’un pays où les typhons rappellent régulièrement aux gens la menace mortelle que l’eau peut représenter. Dans l’inconscient collectif nippon, l’eau est avant tout source de danger. Pour nous, imaginer que, comme lors du récent tsunami, la surface de l’eau recouvre une terrifiante accumulation de cadavres est chose facile parce que presque quotidienne…  »

Loin de ses racines, le cinéaste est donc parti tourner à Hollywood,  » où un film tient plus du produit industriel et moins de l’£uvre artisanale « . Bien dans la peau du  » professionnel qui cherche à satisfaire le plus large public possible « , Nakata n’est pas dupe pour autant de la liberté qu’il perd en voyant augmenter ses moyens. Il serait dommage que, tel un John Woo, il y voie, à terme, une part importante de son originalité se fondre dans un moule réducteur…

Entretien : Louis Danvers

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