Pourquoi les Bleus sont-ils toujours à la ramasse ?
Il reste quelques minutes à jouer dans France-Uruguay et deux hommes sont dépités. Deux commentateurs de Radio France Internationale. Le premier agite nerveusement la tête de gauche à droite puis en sens inverse, sur un air de : -Mais c’est pas possible. Le second se lâche : -Raymond, il n’a même pas envie de le gagner, ce match. Il s’en bat les c–. Mais tu joues à 10 contre 11, mets-leur au moins la pression, bon sang ! Et les Bleus ne gagneront pas : ce triste 0-0 s’inscrit dans la continuité des derniers mois de cette équipe de France toujours dans le trou. Elle avait pris l’avion avec ses doutes, ses questions, ses conflits relationnels et plein de critiques. Il n’y a pas eu de soudaine grâce divine sur la pelouse du Cap, la crise continue. Non, non, rien n’a changé ! Tout, tout a continué. Hé, hé…
Les Français jouent les Mexicains ce jeudi. Un nouveau faux pas pourrait déjà les rapprocher de Clairefontaine. Le point sur tout ce qui devra tourner autrement pour qu’ils gardent une chance de réussir leur Coupe du Monde.
Emballer les échanges
La France n’a plus fait la différence au marquoir en première mi-temps depuis la nuit des temps. C’était contre l’Autriche, en octobre 2009. Entre-temps, elle a toujours subi ou, au mieux, équilibré les échanges. Même contre des adversaires indignes de son rang, les petits Chinois par exemple. Face à l’Uruguay, les Bleus ont atteint à peine 50 % de possession de ballon pendant les trois premiers quarts d’heure. C’est insuffisant quand on vise haut. Les hommes de Raymond Domenech ont tristement poursuivi sur leur lancée de la campagne éliminatoire, des barrages contre l’Irlande et de leurs matches de préparation : ils étaient étonnamment attentistes, comme s’ils espéraient une erreur de l’opposant au lieu de vouloir en mettre un.
Définir une ligne et s’y tenir
L’accession en finale du Mondial 2006 reste le seul grand fait d’armes du long bail de Domenech à la tête des Bleus. Mais déjà là-bas, leur tournoi avait mal commencé, avec des matches nuls contre la Suisse et la Corée du Sud. Le point pris pour débuter en Afsud contre l’Uruguay n’est pas le seul élément commun avec l’édition d’il y a quatre ans. A l’époque déjà, le coach avait modifié son système à la dernière minute et à la surprise générale, viré la disposition des pions testée pendant la préparation. Cette fois, il a travaillé un 4-3-3 pendant plusieurs semaines pour passer en 4-2-3-1 contre les Uruguayens – le système utilisé pendant les laborieuses qualifications.
Il y a un discours officiel et consensuel. Patrice Evra dit : » La décision a été prise en concertation avec le coach, nous étions tous d’accord avec ce choix. » Et une autre version. Un suiveur régulier des Bleus nous dit : » En catimini, dans le recoin d’un point presse, des joueurs nous ont confié qu’ils ne savaient plus à quoi s’en tenir, qu’ils en avaient plus que marre de ces changements incessants. Ils n’ont appris la modification du système que le matin du match. Ils voudraient une ligne de conduite tactique claire, du début à la fin du tournoi. »
Domenech a formé un pare-chocs médian avec Jérémy Toulalan et Abou Diaby » pour empêcher les Uruguayens de jouer et ça a bien fonctionné « . Il a aussi confirmé que la priorité dans ce match d’ouverture était de » ne pas prendre de risques « . Oui mais voilà, il faudra quand même bien oser et gagner l’un ou l’autre match pour passer en huitièmes de finale.
Trouver des attaquants qui marquent
C’est une vieille rengaine : les Français sont rarement dominés mais ils éprouvent des difficultés folles pour mettre des ballons au fond. Ils n’ont marqué que trois fois au cours de leurs cinq derniers matches. Seule l’Espagne était une opposition de haut niveau. Les autres adversaires : Costa Rica, Tunisie, Chine et Uruguay. Une misère, une galère. Sidney Govou et Nicolas Anelka (seul en pointe) étaient censés faire tourner le marquoir contre l’Uruguay : nouvel échec qui n’a finalement rien d’étonnant. Govou n’a scoré que deux fois cette saison en championnat avec Lyon et son bilan récent avec les Bleus est encore plus catastrophique : son dernier but remonte à octobre… 2008. Anelka présente un bulletin valable avec Chelsea (11 goals) mais lui aussi pédale dans la choucroute depuis un bon moment avec l’équipe nationale.
Le problème offensif de Domenech est énorme car tous ses attaquants, ou presque, sont en panne de forme, de sensations, de confiance. Thierry Henry ? Le premier Français de l’histoire présent à une quatrième Coupe du Monde sort d’une année ratée à Barcelone avec seulement quatre buts. André-Pierre Gignac ? Celui qu’on a autrefois présenté comme un futur goleador de légende n’a fait mouche que huit fois cette saison avec Toulouse. Djibril Cissé sera peut-être l’homme qui sauvera les Bleus contre le Mexique et l’Afrique du Sud : en marquant 23 fois en 2009-2010 avec le Panathinaikos, il est devenu l’attaquant le plus prolifique du championnat de Grèce depuis 2000. Gignac et Henry ont eu leur chance en cours de match face à l’Uruguay, il reste donc à tester Cissé. Voire Mathieu Valbuena, Bleu tout récent mais qui avait réussi des débuts tonitruants en marquant directement contre le Costa Rica lors de la préparation. On ne peut pas exclure que Domenech joue un joker contre le Mexique, qu’il lance un nouveau comme Valbuena dans l’équipe pour l’emballer. Il l’avait fait à la Coupe du Monde en Allemagne avec Franck Ribéry, dont la carrière avait véritablement décollé à ce moment-là.
Gérer les egos
Florent Malouda, qui sort d’une saison pleine avec Chelsea, était le grand absent au coup d’envoi du match contre l’Uruguay. Il avait pourtant joué l’ensemble des matches de préparation. L’explication de Domenech était purement tactique, il a dit qu’il avait voulu donner une coloration plus défensive à son entrejeu. Il a aussi rappelé les bienfaits de la rotation dans un noyau et signalé qu’il aurait besoin de tout le monde dans ce tournoi, y compris de Malouda.
Mais il semble fort que les raisons soient ailleurs. Il y a eu un clash entre le joueur (déjà mis au ban de l’équipe de France après l’EURO 2008 pour avoir déclaré qu’il jouait à gauche… du banc des remplaçants) et le sélectionneur, trois jours avant le match. Ils se seraient même disputés sur deux points. Domenech aurait repris Malouda de volée après une intervention trop musclée à l’entraînement. Commentaire de Bixente Lizarazu : » Il faudrait que Domenech aille une fois aux entraînements du Bayern. Il verrait que là-bas, les joueurs se démontent tous les jours sur la pelouse. Il a pris une sanction imbécile. »
Domenech et Malouda se seraient aussi opposés lors d’une discussion très football sur le rôle du joueur. Le coach lui aurait demandé de se faire à l’idée d’un rôle plus défensif aux côtés de Toulalan. Malouda aurait répliqué qu’avec son bilan à Chelsea (15 buts), il pouvait faire autre chose que simplement casser les actions adverses. Réponse de Domenech : » Tu ne penses qu’à ta gueule. » Et des clashes comme celui-là, il y en a régulièrement dans le giron des Bleus. Entre les joueurs, entre le groupe et l’entraîneur. Gérer autant de fortes têtes est une mission difficile. Par exemple, Anelka est en brouille prolongée avec Yoann Gourcuff et l’ignore complètement autant sur le terrain qu’à l’hôtel. Anelka est un solitaire né, Gourcuff n’a pas que des amis dans le noyau car il aurait pris, pour certains, trop d’importance médiatique en trop peu de temps. Gérer les egos… Mais Domenech refuse systématiquement de donner son éclairage sur » les ragots de l’extérieur « .
S’ouvrir un peu/beaucoup
Domenech semble ne pas avoir tiré les leçons de l’EURO 2008 calamiteux des Français. Là-bas déjà, il avait complètement coupé ses joueurs du monde, les avait enfermés dans une cage dorée (les Français ont l’habitude d’opter pour les hôtels les plus luxueux lors des tournois), avait méchamment limité l’utilisation de consoles de jeux et autres gadgets. Il refait le coup en Afrique du Sud. Il a choisi un camp de base à l’extrême pointe sud du pays, entre Cape Town et Port Elizabeth. Plus de 20 délégations sont installées un millier de kilomètres plus haut, dans la région de Johannesburg, en altitude et d’où six stades sont facilement accessibles. Ces pays-là monopolisent une bonne partie de l’attention. Et les Français ne sont donc pas trop ennuyés. Point de vue communication, Domenech a depuis longtemps pris le pli d’en faire le minimum. Il vient aux conférences de presse à reculons, envoie balader ceux qui osent lui poser des questions délicates, monte sur ses grands chevaux à la première occasion.
Forcément, les joueurs embrayent, suivent l’exemple du patron. William Gallas, par exemple, a annoncé qu’il n’ouvrirait pas la bouche avant le retour au pays. Sans raison précise. Ou sans doute simplement à cause de l’une ou l’autre critique, de l’une ou l’autre cotation qui ne lui auraient pas convenu. Toujours ces egos… La cassure nette entre les Bleus et leur public, si bien décrite pas Yannick Noah ( » On a les supporters qu’on mérite « ) s’accompagne depuis le lendemain de l’EURO d’une fracture entre le coach et le groupe de joueurs d’un côté, ceux qui les suivent et doivent rapporter leurs humeurs de l’autre.
» Le désamour entre les supporters et l’équipe de France est plus prononcé que jamais, c’est devenu très grave « , nous lance un des deux dépités de Radio France Internationale. » Plus on avance et moins il y a de monde derrière les Bleus. Oui, le Stade de France est toujours plein, même pour les bêtes matches amicaux. Mais il ne faudrait surtout pas se focaliser là-dessus pour conclure que nos joueurs sont toujours fort populaires. Cela vaudrait le coup d’interroger ceux qui viennent à Saint-Denis : ce sont beaucoup de gens qui quittent leur province l’espace d’une journée, visitent Paris puis vont voir un match de foot avant de reprendre le train ou leur voiture. Histoire d’avoir eu un full programme. S’il n’y avait rien à voir dans la ville, ils ne se déplaceraient sans doute pas, l’équipe de France seule n’est plus un motif suffisant pour avaler des centaines de bornes. Et quand on entend les sifflets, on comprend tout. « l
par pierre danvoye, en afrique du sud- photos: reporters
La France n’a plus fait la différence en première mi-temps depuis octobre 2009.