Faut-il encore présenter cet ancien patron de salle de marché, devenu une star médiatique grâce à ses livres dérangeants ? Dans son dernier opus, Faites sauter la banque !, Marc Fiorentino n’a rien perdu de sa hargne. Ce capitaliste furibond se déchaîne sur les banques qui vampirisent les particuliers, tout en regardant passer le train numérique à grande vitesse. Obsédé par l’argent depuis son enfance passée dans une HLM de Vincennes, en Ile-de-France, ce juif tunisien, devenu millionnaire à 26 ans, ne veut pas être le seul à en profiter. Contraint à étudier par son père qui travaillait la nuit au tri postal, l’ancien trader, au caractère entier, conspue les castes de privilégiés et la confiscation du système par quelques-uns. Entre deux bouffées de cigare, il a au moins le mérite de la sincérité.
Le Vif/L’Express : Etes-vous toujours adepte de full-contact ?
Marc Fiorentino : Absolument. J’ai commencé il y a sept ans et j’en fais trois fois par semaine. Ce sport de combat m’aide à supporter la vie de tous les jours et à me défendre contre les coups. C’est d’ailleurs aussi le sport que je pratique avec les banques…
Justement, le titre de votre dernier livre Faites sauter la banque !, c’est une déclaration de guerre au monde bancaire ?
Non. C’est plutôt une exhortation aux clients des banques, pour les secouer, les réveiller, pour qu’ils se fassent enfin respecter. On ne peut plus passer son temps à pester sur les banquiers et continuer à se faire pigeonner par ceux-ci. Il faut arrêter de se laisser tondre comme des moutons. Cette apathie du client de banque est à la fois étonnante et énervante.
Une apathie que vous expliquez comment ?
Par la peur du banquier. Il y a là un aspect psychanalytique. Cette peur est vraiment logée dans les tripes de l’épargnant. C’est culturel aussi. On retrouve cette peur en France, en Belgique, en Espagne, en Italie… L’épargnant anglo-saxon, lui, ne réagit pas de la même façon. A Londres ou à New York, il a un rapport plus sain avec sa banque. Pour lui, il s’agit d’un commerce comme un autre. Donc, il veut être traité comme un vrai client. On change plus facilement d’enseigne dans ces pays. Mais on a moins besoin de le faire parce que la banque est réellement au service de ses clients.
Et chez nous ?
Chez nous, on a déjà l’impression que la banque nous rend un service en acceptant d’ouvrir un compte à notre nom. Pour le reste, il ne faut surtout pas trop la déranger. Ce qui est dingue, c’est que nous acceptons ça. Nous sommes d’une docilité incroyable. La situation des banques reste encore très confortable. Elles n’ont aucune raison de se remettre en question. Elles continuent à nous traiter de haut en nous pompant de l’argent, via des frais exorbitants, sans nous apporter de services en contrepartie. Elles ne se concurrencent même pas. Elles fonctionnent comme un cartel. Leur seule concurrence, ce sont les banques en ligne, mais elles les ont rachetées pour les étouffer.
Vous dénoncez le » massacre des frais « . Comment expliquer que ces frais aient tellement augmenté ces dernières années ?
Pour les banques, il n’y a plus moyen de faire beaucoup de bonnes affaires sur les marchés financiers parce que leurs activités spéculatives ont été réglementées. Elles vont alors chercher l’argent là où il se trouve encore, chez les particuliers. Comme ceux-ci ne réagissent pas, elles continuent à presser le citron. Et cela se fait en toute impunité, car financiers et politiques entretiennent des liens incestueux. D’anciens banquiers deviennent responsables politiques et inversement.
Vous combattez l’establishment ?
Oui, parce qu’il tue la concurrence. Ce n’est pas le système qui m’insupporte – je suis un libéral convaincu – mais la confiscation du système par quelques-uns. Je défends la libre concurrence contre les cartels.
Cela fait plusieurs années que vous dites qu’il faut arrêter de se faire pigeonner. Or rien ne change. Vous prêchez dans le désert ?
Auparavant, c’était le cas. J’annonçais des choses qui n’arrivaient pas. Aujourd’hui, le monde bancaire est réellement en train de basculer à cause de la révolution numérique, un peu comme l’industrie musicale avec le téléchargement illégal. Tout va s’écrouler de la même manière pour les banques, c’est évident.
Ce sont les géants du Net qui vont prendre leur place ?
Entre autres, oui. Google, Apple, Facebook, Amazon… L’avenir proche verra se répandre l’Apple Pay, le système de paiement mobile via l’iPhone 6, qui vient d’être lancé aux Etats-Unis et bientôt dans d’autres pays. Ce système existe depuis longtemps, certes. Mais pour le généraliser, il faut, comme toujours, un leader marketing sur le marché. Avec ses 800 millions d’utilisateurs dans le monde, Apple va jouer ce rôle. Une véritable révolution se prépare. Cela ne s’arrêtera pas au mode de paiement. Ce n’est qu’un début et cela peut aller très vite, comme pour la musique. Désormais, les changements de comportement dus à la révolution numérique sont très rapides.
Ce n’est qu’un début, dites-vous. Peut-on envisager que nos emprunts et nos placements soient un jour gérés par Apple, PayPal ou Google ?
Pas encore. Mais les mentalités sont néanmoins en train d’évoluer dans ces domaines-là aussi. Même en France : de plus en plus, les personnes désireuses d’emprunter passent d’abord par un courtier en ligne comme Meilleurtaux.com qui offre une simulation de votre crédit. Au bout du compte, ces personnes aboutissent dans une banque mais elles sont en position de force pour négocier. Par ailleurs, le crowdfunding ou financement participatif, qui se développe de plus en plus, est révélateur d’une volonté manifeste de contourner les banques. Un secteur qui est en train d’exploser est celui du prêt de particulier à particulier, à l’instar de Lendingclub.com, qui envisage une entrée en Bourse et qui a été annoncé par le magazine américain Forbes comme l’une des cinq entreprises américaines les plus prometteuses. En matière de placements, la révolution en ligne a déjà commencé. Aux Etats-Unis, quasi tout se fait par Internet. Cela commence à se répandre chez nous aussi, notamment pour les assurances-vie.
Ce sont surtout les jeunes qui vont mener cette révolution bancaire ?
Les moins de 20 ans, oui. Je le vois avec mes enfants. Cette génération ne connaît pas le nom des enseignes bancaires, mais bien Apple et Facebook. Quand vous leur parlez d’ouvrir un compte en banque, ça leur paraît dépassé comme notion. Ils vont donc s’adapter tout de suite à la révolution numérique financière. Le téléchargement musical illégal, ce sont les moins de 20 ans qui ont lancé le mouvement. Les adultes ont suivi.
Les banques ne parviennent pas à anticiper cette révolution ?
Pas vraiment. D’abord, parce qu’elles préfèrent continuer à profiter de leur confort. Ensuite, elles sont confrontées à un problème social majeur, celui de la disparition des agences bancaires. Ces dernières ne sont plus rentables. Elles le seront de moins en moins. Avec l’explosion numérique, c’est leur mort annoncée. Mais on ne supprime pas des milliers d’agences en quelques semaines. Pendant au moins cinq ans, les banques sont condamnées à un certain immobilisme. Le rapport Nora-Minc sur l’informatisation de la société annonçait, en 1978 déjà, que la banque de détail serait la » sidérurgie de demain « . C’est maintenant que ça va se passer. Cependant, la léthargie des clients des banques va sans doute permettre que cela se fasse en douceur, en suivant la pyramide des âges, c’est-à-dire en ne remplaçant plus les départs à la retraite.
Les géants numériques ne seront-ils pas pires que les banques dont ils vont prendre la place ?
Je ne pense pas que des acteurs globaux vont reprendre toutes les fonctions bancaires, mais plutôt que les fonctions bancaires vont éclater et qu’on va retrouver des acteurs différents pour chaque fonction. Il y aura une multitude d’opérateurs, avec davantage de concurrence entre eux.
Pour l’instant, ce sont des multinationales américaines comme Google ou Apple qui se positionnent, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour les Européens…
Malheureusement. En étouffant les velléités des banques en ligne qu’elles ont rachetées, les banques classiques européennes ont laissé le champ libre aux anglo-saxons. Les banques en ligne qui se développent chez nous n’ont rien de révolutionnaire. Leurs parts de marché sont ridicules. Pour développer les banques en ligne, il aurait fallu dans ce secteur un Xavier Niel qui, avec Free, a proposé des services de téléphonie et un accès Internet trois fois moins cher que les autres et a révolutionné les télécoms françaises. Maintenant, c’est trop tard.
A vous lire, à vous entendre, vous êtes toujours un homme en colère. Serez-vous un jour apaisé ?
Dans un pays comme la France, avec une telle omniprésence de la pensée unique, l’apaisement n’arrivera pas avant de rendre mon dernier souffle.
Que vous inspire le retour de Nicolas Sarkozy sur la scène politique ?
Pas grand-chose. Je ne suis plus un enfant à qui on revend un produit dans un repackaging en lui disant que c’est un nouveau truc. On verra dans deux ans et demi.
Vous devez avoir beaucoup d’ennemis dans le monde bancaire… Comment se manifestent-ils ?
Je n’ai quasi que des ennemis dans les banques. Cela se manifeste par des emmerdes, des enquêtes, des contrôles. Sans vouloir entrer dans les détails, on scrute et analyse tout ce que je fais dans la finance pour me coincer sur le moindre faux pas. Je suis clairement attendu au coin du bois.
Certains de vos contradicteurs vous trouvent trop caricatural, voire populiste. Que leur répondez-vous ?
Je revendique le populisme si c’est le moyen de créer de la proximité avec les gens face à un establishment qui veut protéger ses privilèges. Pour moi, c’est plutôt un compliment. Caricatural, c’est vrai, mais c’est nécessaire pour faire passer des messages auprès du plus grand nombre et provoquer un électrochoc. Ce n’est pas en utilisant le même langage que les banques et les financiers que je vais pouvoir créer cette prise de conscience. Il faut parler cash.
Vous donnez beaucoup de conseils, mais vous-même avez connu quelques échecs cuisants dans le domaine des investissements spéculatifs ou de la restauration. Peut-on vous faire confiance ?
Je conseille de ne faire confiance à personne. Il vaut mieux écouter ce qui se dit à gauche et à droite et puis se faire sa propre opinion. Je donne des orientations, je ne suis pas un gourou. Je commets des erreurs comme tout le monde. J’essaie simplement de transmettre le fruit de mes connaissances sur un secteur que je pratique depuis trente ans. En tout cas, ce que je dis est sincère.
Vous vous êtes refait depuis lors. Etes-vous riche aujourd’hui ? Fumez-vous toujours le cigare ?
Oui, grâce à mon activité professionnelle financière. Ce ne sont pas mes livres qui me rendent riche, même s’ils se vendent bien. Quant au cigare, je vais aller en fumer un cet après-midi en me promenant. C’est meilleur au grand air.
Quel est votre rapport à l’argent, que vous semblez particulièrement aimer ?
Le même que le classement ATP pour un joueur de tennis. Dans mon métier, l’argent est la mesure de la performance. C’est ce qui fait vibrer. Je suis un homme d’argent. Maintenant, ce que j’en fais, ça me regarde. Pour le reste, je pense avoir transmis à mes enfants bien d’autres valeurs que celle-là, à commencer par celle de la famille.
En parlant de la famille, vous avez toujours des proches en Israël. Quel regard portez-vous sur ce pays qui a beaucoup défrayé la chronique ces derniers mois ?
C’est la seule vraie démocratie de la région. Les investissements étrangers dans les entreprises israéliennes ont battu de nouveaux records. C’est pas mal pour un pays qui est en guerre. Israël est extrêmement dynamique, notamment en matière de nouvelles technologies. Par rapport à ce qui s’est passé avec Gaza, c’est difficile de juger. Il y a eu dérapage. En même temps, je crois qu’on ne peut pas comprendre ce que c’est de vivre dans un pays dont l’existence est remise en cause par ses voisins, si on n’y vit pas soi-même. Israël n’est pas dans une stratégie de conquête, mais de survie.
Faites sauter la banque !, par Marc Fiorentino, éd. Stock, 224 p.
Propos recueillis par Thierry Denoël – Photo : Renaud Callebaut pour le Vif/L’Express
» La révolution numérique pour les banques, ce sera comme le téléchargement illégal pour l’industrie musicale »