Arnaga : le rêve basque de Rostand

Venu en convalescence au Pays basque, l’auteur de Cyrano de Bergerac s’éprend de la région, et y fait construire une superbe demeure, traditionnelle et moderne à la fois, qui invente un nouveau style. Une maison, deux jardins : c’est le chef-d’oeuvre d’un poète qui savait aussi faire rimer les murs et les arbres…

L’automne est déjà piquant, au Pays basque, en ce mois de novembre 1918. Alors qu’il s’apprête à gagner Paris, afin de participer aux célébrations de l’armistice, Edmond Rostand s’offre une dernière promenade dans le jardin de sa propriété d’Arnaga. A son bras, sa maîtresse, la jeune comédienne Mary Marquet – son épouse, Rosemonde Gérard, a été  » éloignée  » il y a trois ans… Soudain, près de l’orangerie, un affreux spectacle saisit le couple : la centaine de pigeons blancs qui occupaient une grande volière sont disséminés sur le sol, tous les volatiles sont morts. Rostand, très peiné, presse le pas vers la maison, quand, soudain, un dernier pigeon, un survivant, vient mourir à ses pieds. Mary Marquet, très choquée, craint que cette mystérieuse hécatombe ne soit un  » mauvais présage « . Trois semaines plus tard, Edmond Rostand meurt chez lui, à Paris, terrassé par la grippe espagnole…

Achevée sur une maladie, l’histoire d’amour entre le poète et Arnaga commence par une autre : en 1900, Edmond Rostand souffre pendant les répétitions de sa nouvelle pièce, L’Aiglon, consacrée au tragique destin du fils de Napoléon. Le créateur, en 1897, du personnage de Cyrano n’est pas satisfait du travail des comédiens. Un jour, excédé, il s’emporte, transpire, finit par attraper une pleurésie, et sa santé se dégrade. Au lendemain de la première, tenue le 15 mars, Rostand doit arrêter toute activité pour se faire soigner. Sa convalescence, difficile, désespère le Dr Grancher, son médecin traitant, qui finit par lui recommander l’un de ses collègues, Gustave Hameau, installé à Cambo-les-Bains, en plein Pays basque, et déjà fameux pour ses travaux sur les virus. En juillet, la famille prend donc ses quartiers d’été dans cette petite ville de cure. Avec l’air et les eaux basques, Rostand guérit sans tarder et tombe aussi vite amoureux du Pays basque, de sa lumière changeante et de sa nature luxuriante. Au gré d’une promenade, il s’éprend plus précisément d’un vaste terrain, sur une colline près de laquelle coule le ruisseau Arraga –  » eau qui coule sur les pierres « , en français. Dès octobre, l’auteur achète le terrain, mais il demeure trop fragile pour entamer un chantier : élu à l’Académie française en 1901, il ne peut d’ailleurs y entrer qu’en 1903, une fois sa santé entièrement rétablie. Et c’est en 1903 aussi qu’il lance la construction de cette maison, destinée à devenir la nouvelle résidence principale de la famille, loin du chaos parisien. L’oreille agacée par la sonorité dure des deux  » r « , il change simplement Arraga en Arnaga.

Anglais, pékinois, premier Empire ou Louis XVI

La direction du chantier est confiée à Joseph-Albert Tournaire, Grand Prix de Rome en 1888. Mais Rostand n’est pas homme à laisser sa maison entre ses seules mains. Il s’engage dans les travaux d’Arnaga avec une minutie surprenante, jusqu’à leur achèvement, en 1906. Secondé par Rosemonde, il commande de nombreux matériaux raffinés à Paris, à Bordeaux, à Toulouse et en Angleterre, et fait venir de Chine d’anciens et très rares panneaux en laque de Coromandel, qui vont tapisser les murs du salon chinois, le plus précieux de cet édifice spectacle. Rostand est attentif au moindre détail. Le poète souhaite l’irréprochable pour Arnaga, qui est son  » hétérotopie « , son monde imaginaire inscrit dans le réel.

Car Arnaga la belle est à l’image de son propriétaire : cette maison est une oeuvre de Rostand, une  » pièce en pièces « . Chaque chambre, chaque espace de la villa fascine par sa singularité, renvoyant à une culture particulière, ou à un décor de théâtre, ou à une rêverie de l’auteur. Les styles se mélangent sans retenue – anglais, pékinois, premier Empire ou Louis XVI. En fait, c’est la vie de Rostand qui va se jouer ici, et son inspiration qui bâtit son décor.

Quarante pièces couvrent les 600 mètres carrés au sol, sur quatre niveaux. Au rez-de-chaussée, disposées autour du grand salon, se trouvent les pièces où les Rostand (Edmond, Rosemonde et leurs deux adolescents, Maurice et Jean) vivent l’essentiel de leur temps en journée. Le premier est réservé aux chambres de la famille et des invités, tandis que le deuxième, uniquement accessible par un escalier de service, est dévolu aux domestiques. La demeure est aussi caractérisée par sa modernité. En 1900, quand il achète son terrain, Rostand est sous le choc des inventions découvertes à l’Exposition universelle, ou déjà en vogue à Paris : l’électricité, l’eau chaude, le téléphone, le chauffage central…

De loin, Arnaga offre le profil puissant et anguleux des fermes du Labourd, ornées de colombages et de pans de toit inégaux, car il est d’usage d’ajouter au fil du temps des extensions au bâtiment principal. Les colombages sont rouge foncé, comme ceux que Rostand avait l’habitude de voir aux environs et, autour des larges poutres, un crépi blanc légèrement ocré reflète la  » lumière blonde  » du Pays basque. Arnaga, qui suscite rapidement la curiosité et l’inspiration, donne naissance à un nouveau courant architectural, appelé  » néobasque « .

Mais  » le clou de la propriété, ce sont les jardins « , juge Michel Fenasse-Amat, directeur et initiateur du festival d’Arnaga, organisé in situ chaque année en mai. Edmond Rostand, en effet, décide de doter son domaine de deux jardins très différents. A l’entrée, un immense parterre à la française, à la perspective parfaite, s’ouvre par une magnifique pergola, qui donne sur des massifs de fleurs prolongés par plusieurs bassins dans lesquels se reflète la majestueuse silhouette, belle et droite, la villa. Un espace géométrique que le poète entoure d’une véritable forêt : refusant de planter des arbrisseaux, qu’il qualifie de  » plumeaux « , Rostand fait déplacer des dizaines d’arbres déjà grands.

Si le jardin à la française symbolise la métrique parfaite de l’alexandrin, son pendant à l’anglaise, camouflé derrière la maison, évoque l’âme tourmentée du poète. Charmant, ce fouillis vert est sans nul doute à l’origine de la passion de Jean Rostand pour les sciences naturelles. Arrivé à Arnaga à l’âge de 11 ans passés, c’est un garçon qui n’aime ni la mondanité, ni ses costumes en velours, un  » petit sauvageon  » qui gambade sans répit à la recherche de quelque nouvel insecte à épingler dans sa collection, et troue méticuleusement ses pantalons de futur biologiste célèbre. Dans le grand salon de la villa, un tableau le montre adolescent, cheveux mi-longs sortant en bataille de sa casquette – il voulait les couper, sa mère ne pouvait s’y résoudre… -, avec dans la main gauche un papillon prisonnier. Une image du bonheur propre à l’enfance, transcendé par le petit paradis qu’est Arnaga.

Visite de la Villa Arnaga : www.arnaga.com

Dans notre numéro du 7 août : la Bretagne.

Par Joséphine Manière

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