Arlon, la gallo-romaine

A la pelle, au pinceau, puis au microscope, les archéologues font revivre les ruelles de l’antique Orolaunum Vicus. L’enthousiasme les gagne

Musée d’Arlon (actuellement en restauration), 13, rue des Martyrs, à 6700 Arlon. Tél. : 063 22 61 92.

Nous sommes en Gaule Belgique, sous le règne de l’empereur Claude, au Ier siècle de l’ère chrétienne. La forêt ardennaise règne alors sans partage, des rives du Rhin jusqu’au-delà de la Meuse. Une voie impériale, qui suit la ligne des crêtes, la traverse de part en part. Elle relie la capitale du Pays des Rèmes (Reims) à celle des Trévires (Trèves). La Via croise en chemin une autre grande chaussée qui relie Tongres à Metz. Lieu de passage obligé des militaires et des commerçants, l’endroit est tout désigné pour le développement d’un Vicus. Orolaunum (Arlon), construite sur le versant méridional d’une colline aux sources mêmes de la Semois, n’est alors qu’une petite bourgade, mais elle va peu à peu connaître la prospérité. Sous la protection des anciennes divinités locales, les activités artisanales, administratives et religieuses s’y concentrent, le commerce s’y développe. Les Trévires,  » cavaliers au courage unique parmi les Gaulois « , rompus à l’art de la guerre avec les Germains, avaient suscité l’admiration de Rome durant la guerre des Gaules. Pour avoir servi la cause de l’Empire, ils avaient aussi été épargnés. La pax romana permit à leurs descendants de faire d’Orolaunum Vicus une ville florissante et de vaquer à leurs paisibles occupations durant près de trois siècles.

Malgré cela, la topographie d’ Orolaunum reste très mal connue. Aucun écrit, même pendant le haut Moyen Âge, ne vient témoigner de sa splendeur, hormis le nom du lieu qui apparaît, pour la première fois, dans l’Itinéraire d’Antonin, sorte de  » carte routière  » de la Gaule. Certes, les grands travaux menés un peu partout dans la ville actuelle n’ont pas manqué de faire resurgir ci et là les traces du passé. Mais, à part plusieurs caves découvertes sous les bâtiments du Service technique provincial, les vestiges d’habitat exhumés à ces occasions n’avaient à ce jour jamais fait l’objet de fouilles préventives. La législation relative à la protection du patrimoine archéologique est récente. Pas de plans donc, ni même de photographies ! Dommage pour une ville qui semble miser résolument sur son prestigieux passé pour attirer le regard du touriste. A voir la colonne du dieu cavalier terrassant le monstre anguipède, qui trône au beau milieu de la Grand’ rue piétonnière, on serait enclin à penser que le faux a pris ici le pas sur le vrai.

Course contre la montre

Jusqu’à présent, les archéologues s’étaient donc essentiellement contentés de fouiller les thermes et les fortifications du haut de la ville. Seul l’emplacement de trois nécropoles, toujours situées à la sortie du Vicus, permettait de se faire une vague idée de son étendue réelle. Le mobilier funéraire, quant à lui, donne une idée de la richesse de ses habitants. Plus récemment, des indices d’occupation ont été mis au jour lors de travaux de sondage sur le site du Neu, un ancien chancre industriel. Il est en effet prévu d’y aménager un bassin d’orage. Toujours sur le qui-vive, Denis Henrotay, archéologue provincial à la Région wallonne, a insisté pour prospecter les lieux.  » Les aménageurs ont peur de nous et la difficulté est toujours d’arriver en amont des travaux « , confie- t-il. Récupérés au fond des tranchées de prospection, de petits fragments ornés de poterie rouge sigillée et de la céramique grise décorée à la molette n’ont laissé aucun doute. Sous les hangars de l’ancienne fabrique de béton sommeillaient les fondations de tout un quartier datant du Ie au IVe siècles et ce, sur une surface de 13 000 mètres carrés ! Pas question ici d’une  » banale  » villa gallo-romaine isolée dans la campagne, mais d’un habitat urbain avec ses quartiers, ses ateliers, ses échoppes, ses ruelles. L’intérêt est majeur. Hormis les vestiges retrouvés à Saint-Mard (Virton) et à Mamer (grand-duché de Luxembourg), il n’existe que très peu d’éléments pour comprendre comment fonctionnaient les Vicus des provinces du Nord.

Archéologie de l’invisible

Le plus intéressant réside pourtant ailleurs. Suite à leur abandon après la chute de l’Empire romain, tout le quartier a été recouvert par les marécages de la Semois, dont la source jaillit à proximité. Une épaisse couche de tourbe bien visible dans la tranchée en témoigne. Bien plus que des tessons de poterie, fibules de bronze et autres pièces de monnaie, éléments somme toute assez classiques pour un chantier de fouilles de ce genre, c’est ici un immonde tas de boue tamisée qui suscite l’émerveillement. Il a été récupéré dans les latrines qui jouxtent les fondations de cinq maisons dégagées. Au fil du tamisage apparaissent, pêle-mêle, sandales cloutées, peigne de bois, épingle en os, noyaux de cerises, grains d’épeautre et même le squelette complet d’un aigle royal.  » C’est ce qu’Arlon pouvait rêver de mieux, s’enthousiasme l’archéologue : contrairement aux autres sites déjà fouillés, tout ce qui est organique est ici merveilleusement conservé. Les cuvelages des puits sont intacts. Comme ces antiques WC étaient aussi utilisés comme poubelles, le travail des botanistes et des zoologues va pouvoir reconstituer en détail tout ce qui figurait à leur table.  » Après le passage du pédologue (étude du sol), un palynologue se chargera d’étudier les grains de pollen restés prisonniers des couches de tourbe. Ces restes végétaux permettront de reconstituer le paysage de l’époque. Forêts défrichées, vergers, pâturages, champs cultivés ? La moisson de renseignements viendra en tout cas à point nommé pour étayer ce que l’on sait déjà de la vie quotidienne d’Arlon à l’époque impériale.

Celle-ci est en réalité déjà richement illustrée par la collection de quelque 600 bas-reliefs exposés au musée de la ville, qui s’enorgueillit de posséder la plus riche collection gallo-romaine du royaume. La plupart d’entre eux proviennent d’un fabuleux gisement iconographique. Démantelés peu après les incursions germaniques vers l’an 300, des monuments funéraires ornés avaient servi en remploi dans la construction d’un castrum. Les blocs ainsi récupérés avaient été alignés côte à côte sur une largeur de 5 mètres, servant d’assise aux murs flanqués de tours circulaires. Comme en témoigne le site de  » la Tour romaine « , plusieurs centaines d’entre eux restent à découvrir. Ils gisent là, sous la ruelle des remparts.  » Malheureusement ce patrimoine majeur n’est pas suffisamment mis en valeur, soupire l’archéologue, sa présentation mériterait d’être repensée. Pour visiter les remparts, il faut se glisser au fond d’une cave dont il faut se procurer la clef au bistrot du coin … « 

Marc Fasol

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