Antisémite, Marx ?

(1) Prêcheurs de haine û Traversée de la judéophobie planétaire, Fayard/Mille et Une nuits, 2004.

(2) Gallimard.

(3) Karl Marx, antisémite et criminel ? Didier Devillez Editeur, 2005, 185 p..

(4) Voir Le Vif/L’Express du 19 décembre 2003, page 69.

Antisémite, la gauche ? Certains l’affirment. Ainsi l’intellectuel français Pierre-André Taguieff – pour ne citer que lui – soutient-il que, à la faveur du conflit israélo-palestinien et de la montée de l’islamisme radical,  » l’hostilité contre les juifs est massivement repassée  » de ce côté-là du spectre politique (1). Au c£ur de ce type d’accusation figure souvent la perception du judaïsme formulée par le jeune Karl Marx dans son opuscule A propos de la question juive paru en 1844…

L’idée d’un antisémitisme de gauche surgit lorsque, à la fin des années 1970, arrive au pouvoir, en Israël, l’aile droite dure des partis hébreux. Jusqu’alors l’antisémitisme était perçu comme une attitude réactionnaire. Des publicistes vont donc tenter de prouver le contraire. L’un d’eux, Robert Misrahi, publie, en 1972, Marx et la question juive  » (2), lecture anachronique de l’écrit de Marx. Telle est en tout cas, l’opinion (3) de l’essayiste belge Jacques Aron, spécialiste du judaïsme et du sionisme (4), qui s’est efforcé de remettre l’écrit de Marx dans le contexte allemand de l’époque.

Le libelle de Marx, £uvre d’un philosophe hégélien fraîchement diplômé, consigne une controverse avec un chargé de cours nommé Bruno Bauer, rappelle Aron. Il s’agit d’un règlement de compte intellectuel sous la forme d’une réflexion théorique sur l’Etat. Celle-ci traite de la place que doit y tenir la religion. Partant, elle aborde la question juive qui se présente alors dans sa seule acception religieuse, dimension à laquelle Marx refuse de la réduire. Marx, le premier, explique en effet Aron, fait de l’émancipation des juifs allemands une question politique. Sujet qu’il inclut, de surcroît, dans le vaste débat de l’émancipation sociale de l’humanité…

Marx, rationaliste incroyant, considère, c’est vrai, la religion juive comme figée, formaliste, tatillonne. Il dénonce aussi de manière féroce le judaïsme profane. Il critique les pratiques mercantiles dans lesquelles sont confinés les juifs ; il a des mots durs contre le trafic et l’argent. Mais il relève aussi que, désormais, toute la société, chrétiens compris, se livre à ces activités. Autrement dit, que les juifs sont citoyens au même titre que les autres et que, dès lors, ils ont droit au même statut. Misrahi, pour sa part, estimera que Marx, prisonnier des préjugés de son temps, ne fait là rien d’autre qu’accuser les juifs d’exploiter le peuple…

N’y a-t-il donc aucun antisémitisme à gauche ? Certains de ses leaders ont parfois instrumentalisé des préjugés antijuifs séculaires. Il existe aussi des  » prêcheurs de haine  » qui diabolisent Israël. Qu’une jonction s’opère parfois entre certains de ces courants est probable. Ces dérives doivent être condamnées. Pour autant, la gauche n’a jamais fait de l’antisémitisme un programme ; il n’a jamais existé d’antisémitisme de gauche au sens raciste de ce terme aujourd’hui lesté de tout son poids génocidaire. Si l’antisionisme radical peut être un antisémitisme masqué, il est loin de contaminer l’ensemble de ce périmètre idéologique où se sont traditionnellement recrutés les meilleurs alliés des juifs.

Jean Sloover

Quand l’auteur du Manifeste du Parti communiste est accusé d’être un  » prêcheur de haine « …

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