Anorexie : les victimes de la mode

Depuis que deux mannequins sont morts de dénutrition, le monde des défilés commence à se préoccuper de la maigreur des filles des podiums. Et les médecins s’inquiètent pour la santé des adolescentes

Quand Sylvie Rouer-Saporta regarde un défilé de mode, elle ne prête guère attention au tombé des tissus ni à l’audace des coupes. L’£il de ce médecin spécialiste des troubles du comportement alimentaire décèle en revanche l’hypertrophie des glandes sous-maxillaires,  » qui fait aux mannequins des petites joues de hamster « , et les fissurations que dissimule le maquillage, à l’angle de leurs lèvres,  » signes de vomissements à répétition « .  » Ces symptômes sont caractéristiques de l’anorexie « , précise-t-elle.

Anorexie. Un mot entré par effraction dans l’univers ultraglamour de la mode. Un mot qui effraie, après les décès, l’an dernier, de l’Uruguayenne Luisel Ramos et de la Brésilienne Ana Carolina Reston, deux jeunes mannequins vaincus par la dénutrition. Un mot qui fâche, aussi, alors que le carrousel des défilés repart.

Le premier coup de semonce est venu de Madrid. En septembre 2006, le gouvernement régional a pris à rebrousse-poil créateurs et agences de top-modèles en bannissant les filles trop maigres des podiums de la Pasarela Cibeles, le Salon ibérique de la mode. Motif : l’exemple est désastreux pour les adolescentes espagnoles.

Les responsables de la São Paulo Fashion Week, le plus grand événement de la mode sud-américaine, lui ont aussitôt emboîté le pas. Même le temple milanais de la mode a suivi le mouvement. Fin décembre 2006, les professionnels et le gouvernement ont signé un code de bonne conduite qui exige des mannequins un certificat médical. Le très redouté Conseil des designers de mode d’Amérique, s’il a refusé d’imiter les Italiens, a tout de même décidé, la semaine dernière, d’envoyer des recommandations à ses ouailles.

Paris et Londres font de la résistance.  » En réglementant le poids des mannequins, on se donnerait bonne conscience, mais on ne résoudrait pas un problème de santé publique aussi grave que l’anorexie « , tranche un responsable du secteur.

Agences de mannequin et couturiers sont, pour la plupart, allergiques à toute réglementation.  » Ne tuons pas la liberté dont se nourrit la création artistique, avertit la styliste Nathalie Rykiel. Et n’oublions pas que les critères de la beauté ont changé : l’époque est à la vitesse, si bien que, pour le fuselage des avions comme pour le corps des femmes, on gomme tout ce qui dépasse, tout ce qui ralentit.  » Cyril George-Jerusalmi, directeur de l’image de l’agence Ford, lui, montre du doigt les starlettes et autres jet-setteuses faméliques qui font la Une des magazines people.  » Aujourd’hui, les mannequins en vogue sont inconnus dans les cours de récréation. C’est à Nicole Richie et à Victoria Beckham que les filles veulent ressembler.  »

 » Prêtes à maigrir pour travailler  »

Quelques voix discordantes s’élèvent pourtant.  » C’est bien de poser des garde-fous, estime Pauline Hervey, directrice de l’agence City Model. Quelques filles s’infligent des régimes déraisonnables.  » Un point de vue partagé par l’Espagnole Irène Salvador, top et animatrice de télévision :  » Parfois, les filles se sentent coincées, surtout les étrangères, qui envoient de l’argent à leur famille : elles sont prêtes à maigrir pour pouvoir travailler.  »

Croix de bois, croix de fer, il n’y a pas plus d’anorexiques sur les podiums que dans la vraie vie, jurent les professionnels.  » La plupart des filles sont naturellement très minces parce qu’elles ont des ossatures très fines et qu’elles sont, c’est vrai, de plus en plus jeunes « , avance la créatrice Chantal Thomass. Ce n’est pas l’avis de ce photographe de mode qui se confie sous couvert d’anonymat :  » Les filles font peur tellement elles sont maigres. A croire qu’elles sont malades.  » C’est le cas, selon le Dr William Lowenstein, spécialiste des addictions :  » Avec une alimentation normale, on ne peut pas avoir la silhouette des mannequins qui défilent sur les podiums. A moins d’avoir 14 ans, de prendre des laxatifs ou des diurétiques, de se faire vomir ou de souffrir d’hypermétabolisme !  »

Les médecins sont inquiets. Pour les intéressées, bien sûr, mais aussi pour les adolescentes qui dévorent les magazines de mode.  » Ces images les influencent, souligne le Dr Marie-France Le Heuzey, psychiatre à l’hôpital Robert-Debré, à Paris, et auteur de L’Enfant anorexique (Odile Jacob). Comment expliquer autrement la mondialisation des troubles du comportement alimentaire et le rajeunissement des malades, qui ont parfois 10 ou 11 ans ?  » Justine D., 17 ans, qui raconte sa descente dans l’enfer de l’anorexie dans Ce matin, j’ai décidé d’arrêter de manger (Oh ! Editions), en témoigne :  » J’adorais regarder la chaîne Fashion, lire les pages mode des journaux. Moi aussi, je voulais être belle et mince.  » Elle a perdu 35 kilos.

Anne Vidalie

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