L’échangisme n’est pas qu’un phénomène de mode au cinéma ou dans la littérature. Ces dernières années, les clubs libertins se sont multipliés, en Belgique. Mode d’emploi
Mega léchouille à ma p’tite pupuce et bibiche(elles se reconnaîtront). » A l’évidence, la poésie n’est pas le fort de Krystie et Mister G, les auteurs de ce v£u lubrique formulé sur le forum Internet du club privé l’Aphrodisia. Dans ce modeste lieu d’échangisme, situé à Rebecq (près de Tubize), le romantisme est loin d’être l’arme privilégiée des séducteurs. Les 80 adeptes – pour moitié Français – qu’on y rencontre le week-end ne prennent pas le temps de s’éterniser en préliminaires verbaux. Les avances sont polies mais directes : » Tu as envie ? »
Comme le rappelle le poste télé qui, derrière le bar, diffuse en permanence des films porno, on vient ici dans un seul but : s’envoyer en l’air. A deux, à plusieurs, devant les autres, dans toutes les positions. Sans gêne, ni contrainte. La déco kitsch sans équivoque invite à la luxure : lumières tamisées, couleurs à dominante bordeaux et aubergine, aquarelles coquines aux murs, bibelots phalliques… Pour le passage à l’acte, il faut monter aux étages et s’engouffrer dans des alcôves feutrées, sommairement équipées de matelas, de pots remplis de préservatifs et de rouleaux de papier essuie-tout. Dans l’une des pièces trône l’incontournable fauteuil gynécologique, très prisé par les libertins.
Le ludisme est plus diversifié au Only4You, à Fontaine-Valmont (près de Thuin). Les 300 à 400 personnes que le club accueille les soirs de week-end peuvent y satisfaire leurs fantasmes à gogo, que ce soit sur le matelas à eau, dans la chambre à miroirs, dans une salle sadomaso, derrière une vitrine de bordel, dans l’ascenseur » pour le septième ciel » ou sur le capot d’une Renault 5, qui a gardé l’empreinte de généreux fessiers.
Les pièces sont ouvertes à tous les regards gourmands. Adeptes d’ébats publics, les échangistes doivent forcément avoir un penchant pour l’exhibitionnisme. D’autant que les voyeurs, qui envahissent les clubs, sont souvent plus nombreux que les » pratiquants » eux-mêmes. Il ne faut pas non plus avoir honte de ses rondeurs. Comme le dit Valérie, la jeune gérante du Only4You, qui exhibe un joli décolleté de circonstance : » Les clients sont plutôt rassurés de constater qu’ils ne sont pas entourés que de top-modèles. » La moyenne d’âge des échangistes dépasse les 40 ans. Pour beaucoup, l’époque insouciante des poitrines fermes et galbées ou des barres de chocolat abdominales est donc révolue…
S’ils érigent la liberté sexuelle en philosophie, les échangistes n’en sont pas moins à cheval sur quelques principes. Maître mot : le respect. Les dérapages semblent rares. » En six ans, j’ai dû mettre trois personnes à la porte, dont deux parce qu’elles avaient trop bu « , reconnaît Jan qui, avec son épouse Marylou, dirige l’Aphrodisia. Valérie affirme repérer les femmes qui viennent sous la contrainte de leur compagnon. » Il m’arrive de refuser l’entrée à un couple lorsque je sens une réticence de la part de la femme. Parfois, celle-ci me fait même carrément un signe négatif derrière le dos de son homme « , sourit la gérante.
Autre règle : autour de ceux qui se câlinent, les commentaires graveleux du style » Elle est bonne ! » ne sont guère tolérés. A l’Only4You, appareils photo et GSM (ceux-ci étant de plus de plus souvent équipés d’un objectif photographique…) doivent rester au vestiaire. Toujours dans le même club, le nombre de célibataires masculins autorisés à entrer est limité. En effet, le prix prohibitif demandé aux célibataires (75 euros contre 40 à 50 euros pour les couples, en semaine) ne décourage visiblement pas les prétendants mâles ( lire p.31). Sur le site Internet de l’Aphrodisia, qui accepte par contre tous les hommes seuls, un client se plaint : » Si vous ne limitez pas l’entrée des célibataires, il y a des couples qui ne viendront plus… »
Côté hygiène, les règles paraissent encore plus strictes. Les deux clubs visités sont pourvus de matelas d’hôpitaux plastifiés ou entourés d’une alèze en plastique. Le passage aux douches est vivement encouragé. » Aucune galipette n’est autorisée dans la piscine, le jacuzzi ou le sauna « , précise Valérie. Pas même une caresse ou un bisou ? » Non plus ! ajoute-t-elle. Savez-vous, par exemple, que l’excitation vaginale entraîne une diminution de la qualité de l’eau ? » Quant à l’usage des préservatifs, il est laissé à la discrétion des adultes responsables qui » s’échangent « . Neuf sur dix l’utiliseraient systématiquement, y compris pour les fellations.
L’échangisme est dans l’air du temps. Il y a vingt ans, on ne comptait qu’une douzaine de clubs en Belgique. Aujourd’hui, il y en a près d’une centaine… Mais, certains, comme l’Only4You, préfèrent être identifiés comme discothèque érotique plutôt que comme boîte échangiste. Hypocrisie ? Le rez-de-chaussée du club de Fontaine- Valmont ressemble assurément à une discothèque classique, avec en plus un podium à strip-tease et l’obligation de se trémousser en lingerie, en dehors du samedi soir. » Pas mal de femmes viennent chez nous parce qu’elles savent qu’elles seront davantage respectées que dans une discothèque normale, où on leur mettra la main aux fesses plusieurs fois sur la soirée « , affirme Valérie. Ici, on demande avant de les effleurer… l
Jan et Marylou, les patrons du club l’Aphrodisia à Rebecq, sont échangistes depuis dix-huit ans, soit depuis leur mariage. » On a préféré ce type de sexualité plutôt que de se tromper l’un l’autre, comme le font la plupart des couples, explique Jan. Je trouve cela plus sain. La jalousie, connais pas ! Ma femme ne fait jamais les poches de mes pantalons pour y trouver un numéro de GSM suspect. » Pour eux, comme pour beaucoup d’autres échangistes, les parties à plusieurs permettent de raviver la libido. Bien sûr, il ne faut pas mêler sexe et sentiments, sinon les c£urs se briseraient. » Les amoureux qui viennent en club doivent être sûrs d’eux, affirme Jan. Les couples à la dérive qui se lancent dans l’échangisme pour tenter de s’en sortir vont droit dans le mur. » Contrairement aux a priori, les pratiques libertines ne sont pas qu’un fantasme masculin, même si l’on rencontre beaucoup moins de femmes que d’hommes célibataires dans les boîtes échangistes. » Les filles osent moins avouer leurs fantasmes, de peur d’être taxées de salope, assure Jan. Elles assument plus difficilement cette part de leur sexualité. Il est d’ailleurs significatif de constater qu’elles viennent souvent en club à deux. » l Th.D.
Mariés depuis dix-sept ans, Françoise et Eric, la quarantaine, fréquentent régulièrement des clubs libertins de la région de Saint-Trond. » L’échangisme est un moyen de maintenir le désir au sein de notre couple, explique Eric, une façon de casser la routine qui finit, tôt ou tard, par s’installer. » Des clubs, ils en ont vu beaucoup, mais depuis qu’ils ont découvert Internet, les deux conjoints prennent moins souvent leur voiture pour se rendre dans des boîtes échangistes. » Les sites de rencontre nous ont permis d’élargir notre cercle de connaissances et de trouver de nouveaux partenaires, précise Françoise. Nous organisons donc de plus en plus souvent des soirées privées chez l’un ou chez l’autre couple que nous avons connu en ligne. » » Via les sites de discussion réservés aux adultes, on fait également des rencontres chacun de son côté et non plus en couple, poursuit Eric. Comme c’est nettement plus risqué pour notre relation, il faut être clair dès le début. Avant d’aller plus loin avec l’éventuel partenaire, nous précisons toujours que nous vivons en couple et que nous ne recherchons que du sexe. » » C’est surtout mon mari qui a commencé à utiliser le Net. Malheureusement pour lui, il s’est vite rendu compte que les prétendantes ne se bousculaient pas au portillon. De mon côté par contre, je n’ai que l’embarras du choix « , précise Françoise, un brin moqueuse. l V.G.
Thierry Denoël