Après le sulfureux Anatomie de l’enfer, Amira Casar poursuit dans Peindre ou faire l’amour son exploration du regard et de la vocation d’actrice
Je trouve que la rétine du monde a beaucoup rétréci. J’ai donc envie de faire des £uvres qui vont percuter, transcender et traverser le temps. » Les images comme les mots forts ne font pas peur à la jeune et talentueuse Amira Casar. Celle qui fut d’abord remarquée dans le très commercial La Vérité si je mens a vite pris le chemin de ces » visions singulières « , où elle désire » habiter » le plus souvent possible. Une solide formation théâtrale et une personnalité exigeante lui ont donné des ambitions de forme et de sens, qui ont pu s’exprimer chez Anna Fontaine ( Comment j’ai tué mon père) et surtout dans le sulfureux et remarquable Anatomie de l’enfer de Catherine Breillat.
Aujourd’hui, l’actrice au nom tranchant se retrouve à l’affiche de Peindre ou faire l’amour, des frères Arnaud et Jean-Marie Larrieu, nouvelles coqueluches d’une certaine critique (pas la moins snob) et cinéastes assurément dotés d’une personnalité comme les apprécie Casar. Présenté en compétition au Festival de Cannes, où d’aucuns lui prédisaient un succès de scandale à la Grande Bouffe, son film fit l’effet que d’un pétard mouillé. Elégamment tourné, Peindre ou faire l’amour fait découvrir l’échangisme à un couple rangé. Sabine Azema et Daniel Auteuil incarnent Madeleine et William, que le départ de leur fille a laissé seuls pour la première fois depuis de nombreuses années. Madeleine, peintre amateur, rencontre à la campagne Adam, un homme charmant et aveugle (Sergi Lopez), qui lui fait visiter une maison à vendre. William ayant marqué son accord pour acquérir un bien où ils vont pouvoir, pensent-ils, se ressourcer, le couple jusque-là citadin va s’installer au grand air et s’y sentir d’autant mieux que les rapports avec Adam et sa jeune épouse Eva (Amira Casar) ne se limiteront pas longtemps aux bons termes de voisinage…
Les regards et les mots
L’intérêt thématique du film des Larrieu est de ne pas considérer l’échangisme comme seul piment érotique pour le couple aîné. Les cinéastes ont voulu observer comment ce dernier se retrouve marqué plus profondément par une expérience qui aura une influence déterminante sur sa vie à venir. La faiblesse de Peindre ou faire l’amour est malheureusement de ne point savoir ancrer cette démarche théorique dans une réalité suffisamment crédible, tout en jouant la provoc’ un peu facile, au détriment du fond. Azema et Auteuil, surtout, en sont les victimes, le second nommé frisant plus d’une fois le grotesque. Sergi Lopez et Amira Casar tirent nettement mieux leur épingle du jeu. Très à l’aise dans un rôle assez périlleux pourtant, la jeune comédienne déclare » aimer chez les Larrieu une forme de stoïcisme, l’absence de pathos, une certaine tranquillité, un rapport charnel avec la nature et la vie « .
Casar décrit Peindre ou faire l’amour comme » un film sur la question du regard « . » Je joue Eva, femme d’un Adam aveugle. Elle est ses yeux, mais il ne la voit pas. Elle peut dire à Madeleine : « Il y a longtemps qu’on ne m’a pas regardée » » …
» Dans Anatomie de l’enfer, le film de Catherine Breillat, c’était » Je veux être regardée par où je ne suis pas regardable. Mon personnage voulait initier l’homme, elle était comme la femme originelle… Dans le film des Larrieu, mon personnage s’appelle Eva, Eve… J’y vois plus qu’un signe, c’est comme si les deux formaient une sorte de diptyque sur le regard « , explique l’actrice en rapprochant deux £uvres dont la plus récente semble bien fluette à côté de celle tournée voici trois ans, et qui a singulièrement marqué son interprète. » Breillat, c’est la force de ses mots, ses mots d’écrivaine, qui m’a d’abord poussée vers elle, commente Amira Casar. Puis j’ai vu A ma s£ur et j’ai vu aussi une cinéaste. Catherine est raffinée mais jamais chichiteuse, elle est drôle et grave à la fois. »
Au départ, comme nombre de comédiennes pressenties pour jouer Anatomie de l’enfer, elle ne souhaitait pas travailler avec Rocco Siffredi, star du porno aux attributs virils plus réputés que les talents d’acteur. » J’étais étroite d’esprit, je disais : « Nous ne sommes pas du même monde », reprend l’actrice, mais quand j’ai compris que Catherine voulait un guerrier, pas une crevette, qu’elle voulait ce corps puissant et cette tête si triste au fond, j’ai surmonté ma réaction initiale… Bien sûr, j’avais une doublure, pour les scènes de sexe non simulé. Avec Rocco, je ne me suis laissé pénétrer que par les mots… »
C’est par le texte qu’Amira est venue au désir de devenir actrice. » Au Conservatoire, j’ai eu des professeurs puissants, se souvient-elle, comme Catherine Hiegel, qui m’a ouverte à Thomas Bernhardt et au domaine germanique, et Madeleine Marion, qui était la muse d’Antoine Vitez et une spécialiste des vers claudéliens et raciniens. Ces femmes étaient des amazones ! J’ai eu une chance extraordinaire de les trouver sur mon chemin, en ces temps marqués malheureusement par une immense perte de savoir et de sa transmission. »
Intarissable et vivant intensément chacune des phrases qu’elle enchaîne, Casar poursuit son éloge d’une Catherine Breillat qui eut sur elle l’effet d’une » révélation « . » Elle m’a totalement respectée tout en me mettant au centre de tout son questionnement, me faisant partager ses doutes. J’ai senti avec elle l’importance de l’abandon, au-delà de toute inhibition. Comme dans cette scène où elle évoque le sang menstruel, le sang inférieur, le corps de la femme et jusqu’à ses cheveux vus comme une obscénité, ce qui n’est pas sans rappeler les débats autour du voile… Dans l’abandon, la voix et la voie sont libres ! »
Rebelle aux différentes formes d’oppression visant les femmes, la comédienne dit » ne pas supporter une définition qui détermine l’origine. Mon histoire est large et éclatée, je ne veux pas la ressasser. J’affirme que je ne viens pas de tel ou tel pays. Je viens des cuisses de ma mère ! »
Celle qui assène avec raison qu' » être instinctif, quand on est un acteur, c’est le minimum syndical » entend refuser d’être » mise dans une boîte noire façon femme mystérieuse, fatale, dangereuse, voix grave, etc. J’ai un petit clown en moi qui ne demande qu’à s’exprimer… » Et d’annoncer un avenir fait de rencontres avec Tony Gatlif et la très rock’n’roll Asia Argento, » pour faire des films de qualité, parce qu’il y a trop de merde, et qu’on n’ose plus affirmer que la culture élève intellectuellement, et qu’elle bouleverse organiquement « .
Louis Danvers