Que penser de l’expression : » Un fait vaut mieux qu’un lord-maire » ? Léo Scheut, par courriel
C’est une expression à la fois vraie et ambiguë. Sa première ambiguïté tient à la confusion entre ce qu’on voit et ce qu’on en déduit. La seconde ambiguïté naît de la difficulté d’accepter des normes spécifiques à la description-compréhension de l’activité humaine. Jadis, la perception d’un état de la réalité s’ajustait à une norme explicative traditionnelle. La perception d’un fait se confondait avec sa vérité. La réalité perçue renvoyait à une nécessité. Le soleil se levait puis se couchait et on » savait » pourquoi. Les bonnes et les mauvaises pratiques que l’on constatait étaient telles selon des critères acceptés socialement. Cette confusion était normale au sein d’une vision qui ne distinguait pas entre le naturel et l’humain. Au fur et mesure que le concept de science se développait, une division s’est opérée. Au-delà du constat d’un phénomène physique, on ne cherchait plus le pourquoi mais le comment. Si l’explication de certains phénomènes ne dérangeait pas trop les habitudes mentales, d’autres provoquèrent une révolution parce qu’ils allaient à l’encontre de l’évidence perceptive. La vision de la course du Soleil poussait à l’évidence à penser que ce dernier tournait autour de la Terre. C’était un fait, il n’en est plus un. Bref, nous acceptons – comment faire autrement ? – que les faits scientifiques aient leurs règles d’existence.
La seconde ambiguïté tient à la difficulté politique de se mettre d’accord sur le processus qui va du constat d’un fait sociétal – qui lui-même peut être découpé selon le point de vue des uns et des autres – à sa compréhension. Le monde physique est un » alentour » où l’on va puiser selon nos besoins. La société, elle, représente des intérêts divergents. Ceux-ci sont gouvernés soit par la violence du pouvoir soutenue, ou non, par une part significative des sujets ; soit par un débat permanent des citoyens et des prises de décision toujours modifiables qui en sont la conséquence. Or, au centre des discussions, nous nous heurtons au problème du sens. C’est un fait : des chômeurs ne veulent pas travailler. Il faut les y obliger, assurent les uns ; il faut rendre plus attrayant leur salaire, empêcher les délocalisations et supprimer la précarité, selon d’autres. Autrement dit, le fait que des chômeurs ne veulent pas travailler ne veut rien dire en soi tant qu’on ne précise pas les causes et les remèdes du refus. Bref, dans toute société, il n’y a de fait que dans un cadre idéologique qui répond aux intérêts des uns et des autres. Quelle est l’idéologie du lord-maire ?
Jean Nousse