Félicien Rops scandalisa Namur. Aujourd’hui, c’est Jan Fabre qui rallume le feu aux quatre coins de la capitale wallonne.
Oui, voilà un vrai cadeau pour l’un des artistes flamands les plus provocateurs. Namur lui offre la ville. Jan Fabre (né en 1958) l’a prise à bras-le-corps et disposé, de manière théâtrale, en six lieux stratégiques, des oeuvres manifestes. Une réussite. Pourtant, il ne connaissait pas cette cité ancienne couchée entre Meuse et Sambre. Mais il avait confié voici longtemps déjà : » Si je devais voler une oeuvre dans un musée, ce serait Pornocratès de Félicien Rops. » Oui, Rops (1833-1898) est pour lui, un frère de sang. Dans leur vie et leur art, en effet, tous deux brisent les tabous, pourfendent la morale et réveillent le diable en l’homme. A leur manière, ils sont chacun des » décadents « , amoureux de la beauté et de leurs rêves. Rops, plus habité par la présence de la femme, ici dominatrice, là diabolique. Fabre, davantage fasciné par les limites du corps et de la mort.
Le point d’orgue de cette manifestation réunissant 250 oeuvres se développe dans le musée Rops. Les oeuvres de l’artiste anversois conversent avec celles de celui que ses amis nommaient » Fely « . Comment ? Selon une suite d’approches thématiques communes. Cela va de leurs révoltes contre le politiquement correct et leurs expériences de la vie nocturne (plus scandaleuse chez Rops, plus violente chez Fabre), leurs moments de petits bonheurs ou leur curiosité pour la nature et pour la littérature, jusqu’aux moments forts où les questions se focalisent autour de l’instinct de vie et de mort comme autour de l’artiste, insaisissable et… bouffon.
Une autre exposition, à la Maison de la Culture, prolonge le dialogue autour de l’autoportrait et de l’hybridité. Mais, avant de rejoindre ces ensembles parfois aussi inattendus que détonnants, le mieux est sans doute de rejoindre les six pièces réparties dans la ville. Elles livrent, en effet, progressivement, les clés de l’oeuvre de Fabre, et par ricochets, de Rops. Le point de départ de cette promenade dans Namur se trouve au pied du château de la citadelle, sur un promontoire qui domine la Meuse et l’horizon à l’est. La représentation de l’artiste, debout sur une monture géante venue du fond des âges qui n’est autre qu’une tortue pointe la direction du soleil levant. Le titre de l’oeuvre, Searching for Utopia, évoque cette île imaginaire décrite par l’écrivain anglais Thomas More au XVIe siècle.
Non loin, à la Porte de Médiane, un autre » Fabre » de bronze rappelle que, toujours, la réalité de la vie nous échappera. Perché sur un escabeau, il lève les bras au ciel, une règle dans les mains et mesure les nuages. Alors que lui reste-t-il, à l’artiste, sinon de devenir une sorte de chef d’orchestre entremêlant les informations, les techniques et les manières les plus diverses afin de créer un » spectacle » ? C’est ce que nous suggère un troisième portait juché au balcon du Théâtre de Namur. A deux pas, dans les Jardins du Maïeur, Fabre en Prométhée, protège de son manteau un briquet qui, dès qu’on s’en approche, libère la flamme. Au Palais provincial, un autre portrait évoque la situation du créateur face aux divers pouvoirs. Enfin, dans la nef de l’église Saint-Loup, Fabre s’éclipse, laissant la place à trois scarabées qui, dans l’Egypte ancienne, symbolisaient l’énergie du soleil renaissant…
Facing Time Rops/Fabre, à Namur. Jusqu’au 30 août prochain. www.ropsfabre.be
Guy Gilsoul