Un médicament pour maigrir ? Le laboratoire GSK se lance sur ce créneau très sensible avec un nouveau produit, bientôt en vente dans toute l’Europe. Son point fort : il s’achète sans ordonnance. Une opération d’envergure mondiale à la mesure du pari commercial.
C’est un pèse-personne en forme de croix de pharmacie, surmonté d’un slogan simple : » Alli, la solution pour perdre du poids « . A côté, une cartouche verte, » Parlez-en à votre pharmacien « . La publicité n’est pas encore sortie dans la presse, mais les femmes sont déjà nombreuses à avoir poussé la porte des officines pour se renseigner sur ce nouveau médicament au nom flairant la pochette-surprise. Alli ne sera en vente qu’à partir du 15 mai ? Il fait débat depuis plusieurs mois sur les forums Internet et dans les médias. Et pour cause : voici le premier traitement contre le surpoids et l’obésité, accessible sans ordonnance. Il suffira de le demander au comptoir, comme un vulgaire tube d’aspirine.
Produit par le laboratoire Glaxo-SmithKline (GSK), Alli est commercialisé depuis juin 2007 aux Etats-Unis, où 5 millions de personnes l’ont déjà acheté. A la mi-mai, il débarquera dans toutes les pharmacies d’Europe, à la faveur d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) unique pour les 27 pays de l’Union européenne. Une première pour un produit d’automédication. A l’approche de l’été, dans une société obsédée par la minceur, l’arrivée d’Alli ne passera pas inaperçue. D’autant que GSK a mis le paquet pour le lancement de ce produit, qui fait basculer la lutte contre les kilos superflus de l’univers des compléments alimentaires à celui des médicaments délivrés sans prescription, comme Humex, Nicorette et Nurofen.
L’automédication : un marché de 50 milliards de dollars
Pour l’anglo-américain GSK, n° 2 mondial de la pharmacie et n° 3 mondial de l’auto-médication, l’enjeu est de taille. Le laboratoire a toujours misé sur l’automédication. Un marché de 50 milliards de dollars – une paille, comparé aux 500 milliards de la pharmacie traditionnelle – mais en forte progression. La difficulté à sortir de nouvelles molécules, la tentation des patients à accéder directement aux traitements, la volonté des Etats de réduire les remboursements santé, la nécessité de prolonger la vie des médicaments pour lutter contre les génériques : tout pousse à l’essor de l’automédication.
Cette tendance n’avait pas échappé à Manfred Scheske. L’actuel patron de GSK santé grand public pour l’Europe occupait les mêmes fonctions aux Etats-Unis au début des années 2000. Il repère alors sur le marché une molécule, l’orlistat, mise au point par le suisse Roche et commercialisée sous le nom de Xenical pour aider les gros à se débarrasser de leurs kilos en trop. Cher et d’une efficacité modeste, le traitement rencontre un succès limité. Mais il répond à un vrai besoin, l’obésité étant en passe de devenir le fléau du xxie siècle dans les pays développés. D’où l’idée du switch : récupérer la molécule de Roche dans une formulation moins dosée pour pouvoir la vendre sans prescription médicale, tout en préservant au maximum son efficacité.
Les négociations entre les deux labos aboutissent en 2004 et GSK décroche, en février 2007, l’autorisation de mise sur le marché aux Etats-Unis pour l’orlistat 60 mg (contre 120 mg dans Xenical). Baptisé Alli (pour évoquer le mot » allié » en anglais), le produit est lancé trois mois plus tard, dans un pack avec guide d’accompagnement au régime et livre de recettes, le tout appuyé par un site Internet sophistiqué (Myalli.com).
Mais l’ambition de GSK est de faire d’Alli une marque mondiale. Après les Etats-Unis, il rachète à Roche les droits pour l’Europe. Dès janvier 2007, ses équipes se mettent en ordre de bataille sur le Vieux Continent. A Londres, siège de GSK, un » Monsieur Alli » est nommé. Sa mission : chapeauter les campagnes à venir, réglementaire (pour décrocher l’AMM) et marketing (pour réussir la commercialisation). A Bruxelles, le bureau des affaires publiques du groupe entame un sérieux lobbying. » Il fallait convaincre les pays de l’intérêt du switch « , explique Sophie Crousse, directrice des affaires publiques européennes de GSK santé grand public. Si des pays comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne sont familiers de l’automédication, d’autres (France, Espagne, Grèce, Italie) sont plus réservés. » Notre travail a consisté à montrer la différence entre le traitement du surpoids et le traitement des maladies liées au surpoids, raconte Mark Dickinson, alias « Monsieur Alli ». De fait, les gens gèrent déjà leur poids seuls. «
Pas question pour le labo de rater le lancement d’Alli. » Il peut devenir un blockbuster de l’automédication, estime Vincent Genet, directeur de l’activité santé chez Alcimed. Les investisseurs seront extrêmement attentifs aux résultats. » La chance de GSK, c’est de bénéficier des études cliniques réalisées pour Xenical, et donc d’une caution médicale, ainsi que d’un historique d’inocuité (Xenical est en vente depuis dix ans).
Aux Etats-Unis, un an après son lancement, Alli figurait au septième rang des meilleures ventes en automédication ; son chiffre d’affaires a atteint 266 millions de dollars en 2008. Dans toute l’Europe, GSK mise sur les pharmaciens. Ce sont eux qui délivreront le produit et devront en expliquer le bon usage aux clients. Un arsenal d’outils a été déployé à leur intention: un document de 40 pages sur le surpoids et l’obésité, suivi d’un guide complet sur Alli. GSK leur a même proposé des séances d’information in situ (60 000 en Europe). Les pharmaciens joueront-ils leur rôle de conseil et de vigilance ? C’est tout l’enjeu pour GSKà et pour les patients.
V. L.