Le musée Jacquemart-André, à Paris, accueille une sélection des plus beaux masques de la célèbre collection Barbier-Müller. Fascinant et insolite
L’Homme et ses masques. Paris, Musée Jacquemart-André, 158, boulevard Hausmann. Jusqu’au 28 août. Tous les jours de 10 à 18 heures. Tél. : +33 1 45 62 11 59 ; www.musee-jacquemart-andre.com. Par Thalys (durée 1 h 25), départs toutes les 30 minutes (à partir de 49 euros). A lire : L’Homme et ses masques. Chefs-d’oeuvre des musées Barbier-Müller, avec des textes de Michel Butor et Alain-Michel Boyer (éd. Hazan).
Murs noirs, vitrines sévères. Rien, au départ de l’architecture du lieu, ne nous prépare à la présence d’une exposition d’art » primitif « .
L’ancien hôtel particulier du 8e arrondissement de Paris, construit par un banquier dans la seconde moitié du xixe siècle, recèle en effet une superbe collection de mobilier xviiie ainsi que des £uvres signées Tiepolo, Mantegna, Canaletto, Chardin ou encore Uccello, avec un panneau célébrissime représentant la lutte de Saint-Georges contre le Dragon. Le ton est aristocratique, le raffinement de mise. Régulièrement, une partie du bâtiment devient pourtant l’hôte d’une exposition temporaire, toujours choisie avec le plus grand soin. La beauté y est chaque fois au rendez-vous.
Les » furieux » et les » compatissants »
Cet été, 87 masques de la collection Barbier-Müller (qui compte au total 5000 pièces) comblent l’esthète qui découvre entre autres, le masque Téké qui, pour avoir appartenu au peintre André Derain, aurait ouvert la voie au fauvisme, ou encore cet autre, Kwali du Gabon, acheté par le poète dadaïste Tristan Tzara. On reste suspendu par la qualité de l’ensemble. Cela commence par un masque doré du bouddhisme tantrique, qui laisse de larges places au vide des yeux, des joues et de la bouche. La vitrine suivante nous montre l’habileté à mêler cuivre et bois en Côte d’Ivoire et au Congo.
A la manière de rimes poétiques, on passe ensuite à un groupe de trois pièces mêlant le Vietnam, le Gabon et le Congo qui, de la même manière, ont recours aux surfaces blanchies. Le parcours organise les rencontres, et les masques venus du monde entier se côtoient en se préoccupant moins de leur fonction que de leur » effet » : les » furieux « , les » méditatifs « , les » compatissants « … A ce jeu, l’approche ethnologique, qui consiste à mettre l’accent sur l’usage particulier de chaque masque en fonction d’une culture et d’un imaginaire singulier, fait place à un autre, détaché de la réalité sociale de l’objet pour n’en garder, à force de regroupements formels (la peinture blanche, la grimace, les signes abstraits…) que le choc visuel. Somme toute, le langage soi-disant universel.
Approche poétique
Mais l’audace, encouragée par l’approche poétique û au moyen d’une série de courts poèmes de Michel Butor (qui signe le concept de l’exposition) û ne s’arrête pas en si bon chemin. Soudain, le visiteur assiste à une confrontation entre un masque japonais et… un masque suisse de la région de Saint-Gall.
Eh oui, au pays des banques, des chalets et des trous dans le fromage existe bien un primitivisme qui démontre un art aussi étonnant qu’expressionniste. Et Jean-Pierre Müller, le célèbre collectionneur, d’annoncer que ce fut même l’un d’eux qui entra en premier dans sa collection de masques du monde. Au détour d’une autre vitrine, après avoir admiré un masque des Navajos, un autre venu de Polynésie ou encore de l’Alaska, on peut alors découvrir d’autres £uvres, utilitaires, nées dans le monde occidental et ayant pour fonction première de protéger le visage contre le feu (les pompiers britanniques), l’ennemi (à l’usage des tankistes de la Première Guerre mondiale), voire une balle de base-ball ou de hockey. C’est à la fois impressionnant et dérangeant. Impressionnant, parce qu’on peut projeter sur ce dernier type d’objets autant de fantasmes que sur ces autres, dits populaires ou primitifs. Dérangeant, parce que le propos de chacun des masques traditionnels (et parfois même relevant de l’archéologie) sont à des années-lumière de ces autres, liés à des fonctions » non magiques « . A moins que…
Guy Gilsoul