Korneel Bernolet, couronné Jeune musicien de l’année 2014, donnera un récital à Bruxelles, le 2 février. Ce claveciniste et chef d’orchestre de 26 ans est la nouvelle étoile dans la constellation du baroque européen. Rencontre.
Bernolet, voilà un patronyme bien fransquillon pour un jeune Flamand prénommé Korneel. Le musicien précise : » Cela veut dire petit Bernard… Mes ancêtres sont arrivés en Flandre au XVIe siècle. » Sa région d’enfance à lui, c’est même un coin du coin de l’ouest, le Westhoek. Souvenirs de Nieuport, sur l’Yser, fleuve improbable, frêle mais redoutable par temps d’ancienne guerre…
Il y a quelque chose de l’Yser dans l’expression de Korneel. Côté pile, une part de bonhomie douce-amère, comme une trace d’adolescence bien tempérée. Côté face, une détermination à transcender les digues. Il faut l’entendre et le voir négocier sur son clavecin fleuri la Suite en la de Rameau. Si la tête se laisse aller à osciller, épousant le flux musical, le port reste net, tout en contrôle. Son jeu exhale une délicatesse cotonneuse qui apprivoise la mécanique forcément rigide des cordes pincées, sans transiger sur l’architecture rythmique. On sent l’ombre assumée d’un Gustav Leonhardt, un de ses maîtres ou, encore, l’esprit en alerte d’un Christophe Rousset ou d’un Jos van Immerseel avec qui il collabore aujourd’hui.
Ce mardi 2 février, Korneel Bernolet donnera un récital, inscrit au programme de Bozar Music, à la chapelle protestante, à Bruxelles (1). A cette occasion, son prix de Jeune musicien de l’année 2014, décerné par l’Union de la presse musicale belge, lui sera officiellement remis. Le maestro Sigiswald Kuijken est conquis : » C’est un musicien extrêmement doué, à la concentration infatigable. Un talent naturel. »
Mais ce talent a une histoire. A 6 ans, Korneel Bernolet est fasciné par la percussion. Il veut devenir batteur de rock. Puis il passe au piano et au pianoforte, pour s’arrêter au clavecin. » C’est sur cet instrument que j’ai opéré mon développement technique. C’est avec lui, dans le répertoire du XVIIe et du XVIIIe, que je vis mon meilleur » buikgevoel » (ressenti des tripes) « .
Docteur en arts de l’université d’Anvers, le virtuose est aussi collectionneur de claviers d’époque. » Pour moi c’est indissociable de la mission du claveciniste, on doit s’immerger dans la sonorité de cet instrument qui s’est épanoui entre 1600 et 1800. Sa collection est en plein dans le mille de son approche baroqueuse. Pour comprendre comment un Rameau (2) concevait ses oeuvres en fonction du potentiel du clavecin. » L’interprétation est indissociable de cet apprentissage-là, prétend Korneel. C’est sur cette voie que j’emmène mon Ensemble Apotheosis. »
Ce perfectionniste se montre très attentif à la personnalité des instruments. Il faut apprivoiser là aussi, s’acclimater encore et toujours. » Il m’arrive de jouer en concert sur des clavecins horribles. Pourtant le public me félicite pour leur sonorité… » Il adore ce paradoxe : » C’est l’imagination qui fait le boulot, c’est elle qui s’engouffre entre l’outil et la musique. » Il assure qu’un interprète se doit d’être le forgeron de l’imaginaire musical.
Avec le clavecin et sa sonorité métallique, il est difficile de faire chanter la mélodie, non ? Korneel Bernolet s’emporte : » C’est une autre façon de chanter. Bien sûr, le » ping » de la corde pincée reste un » ping « , mais on peut l’obliger à épouser une courbe chantante. » L’imagination, encore. » Les nuances des « pings » peuvent être infinies « , s’enthousiasme-t-il. Il le prouve.
(1) A la chapelle protestante, place du Musée, à Bruxelles. www.bozar.be
(2) CD Jean-Philippe Rameau, Pièces de clavecin en concert, Korneel Bernolet, Apotheosis, Etcetera Records.
Philippe Marion