On trouve normal de mettre fin à la guerre d’Afghanistan, de résoudre le conflit israélo-palestinien ou d’arrêter la guerre civile en Syrie. Mais rares sont ceux qui songent à terminer la guerre contre les trafiquants de drogue. On parle même régulièrement de l’intensifier. Or, cette guerre, qui dure depuis près d’un demi-siècle, a déjà causé la mort de centaines de milliers de personnes. Peu de monde regrettera la disparition des gros caïds du trafic qui ont choisi ce genre de risque. Mais combien de policiers, de militaires et de civils innocents ont aussi été tués au cours de ces affrontements ? On estime que rien qu’au Mexique, 120 000 personnes sont mortes dans le cadre des répressions anti-drogue. On finira un jour par arriver à la conclusion absurde que la guerre contre la drogue aura tué davantage de monde que la drogue elle-même.
J’ai moi-même travaillé deux ans dans le cadre d’un programme de prévention-SIDA auprès des toxicomanes. Ce genre d’expérience vous enlève toute notion d’angélisme envers les drogués de rue. La plupart d’entre eux se prostituent ou mendient pour se payer leur » fixe « . Les autres volent ou tuent si nécessaire. Je ne suis pas un baba cool fumeur de pétard et je fus longtemps partisan d’une répression dure. Je fis cependant quelques constats qui ébranlèrent mes certitudes.
1. Les drogues qui tuent le plus sont en vente libre : l’alcool et le tabac…
2. Les drogues les plus dangereuses pour le cerveau et la santé sont en vente libre : il s’agit, notamment, de l’essence et de la colle.
3. Malgré toutes les opérations de répression et de » tolérance zéro « , les drogués n’ont jamais eu de problème à se fournir et le prix s’est stabilisé ou a même diminué dans certains cas.
Il faut donc se rendre à plusieurs évidences.
1. La guerre contre le narcotrafic menée depuis 40 ans est un cuisant échec. Elle n’a jamais réussi à endiguer le trafic de stupéfiants. Au contraire, elle a permis de financer de nombreuses guérillas et organisations terroristes.
2. La prohibition des drogues a eu le même effet que la prohibition de l’alcool aux USA dans les années trente. Elle a permis l’émergence d’une délinquance spécifique et la création de très grosses fortunes.
3. Même lorsque que l’on réussit à momentanément éradiquer une drogue, les toxicomanes se rabattent sur d’autres, parfois encore plus nocives.
4. Nos prisons surpeuplées débordent de gens qui y sont seulement à cause du trafic de drogues. Nos policiers, trop peu nombreux et dépassés, consacrent une énergie incroyable à la répression des trafics de stupéfiants.
Pourquoi n’arrêtons-nous pas cette guerre insensée ? Il existe plusieurs réponses. La plus cynique est que les gros trafiquants eux-mêmes ne veulent absolument pas de la dépénalisation des drogues. Ils y perdraient leur fortune. La deuxième est liée à une méconnaissance de la réalité de terrain. Le commun des mortels croit que la libération de toutes les drogues entraînerait des ravages chez les jeunes. Or, rien n’est plus faux. La colle et l’essence sont en vente libre et, pourtant, rares sont les jeunes qui en consomment dans notre pays. Des alternatives au » tout répressif » inefficace existent. On pourrait imaginer que toutes les drogues soient en vente en pharmacie sans ordonnance. La publicité en serait interdite. Et l’état leur imposerait des taxes élevées qui financeraient divers programme de prévention et de désintoxication. Cette solution n’est évidemment pas parfaite mais elle s’avère certainement moins catastrophique que la prohibition actuelle. Il est temps d’aborder cette question avec intelligence et sérénité. Mais rien ne vous oblige à penser comme moi…
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par Pascal de Sutter