A la recherche du temps lent

Barbara Witkowska Journaliste

Loin de l’agitation et des clameurs de la vie quotidienne, une magnifique exposition à la fondation Boghossian nous invite à ralentir la cadence infernale et à nous  » poser « .

Dès que l’on a franchi la porte, on est transporté en d’autres temps, d’autres lieux… On fait une longue halte devant ce somptueux paravent chinois du XVIIe siècle, habillé de dizaines de couches de laque de Coromandel, dont la réalisation a demandé des années de travail. En tournant la tête, on admire deux bassins à poissons chinois et leurs extraordinaires émaux cloisonnés. Plus loin, des costumes brodés jadis dans les pays du bassin méditerranéen racontent la patience et l’humilité des femmes qui leur ont donné forme et existence. On s’attarde devant les personnages des miniatures persanes aux attitudes empreintes d’une lenteur indolente, et on contemple longuement ce ravissant bol à parois ajourés dont émane une rare poésie.

Derrière ces chefs-d’£uvre, une cohorte d’artistes anonymes qui £uvraient patiemment et religieusement, pendant des mois, voire des années, pour aboutir à ces résultats somptueux.  » Je ressens une grande émotion devant ce savoir-faire qui est en train de disparaître, explique Diane Hennebert, chargée de la direction de la fondation Boghossian et commissaire principale de l’exposition. Nous vivons une période que j’appelle d’ « ensauvagement » où règne l’hégémonie du présent. Nous oublions le passé et nous avons des doutes par rapport au futur. J’ai envie qu’on se souvienne du geste d’une brodeuse ou d’un peintre de miniatures qui manifestaient une telle humilité dans un travail aussi perfectionné. « 

Les fruits d’une longue patience

Ces magnifiques objets anciens dialoguent avec des £uvres de vingt-cinq artistes contemporains que l’on peut qualifier d’  » héritiers du temps long « . Ces  » résistants  » font fi de la tendance actuelle qui nous oblige à vivre dans l’urgence, à avancer toujours plus vite et être de plus en plus efficaces et rentables. Les £uvres de certains artistes sont le fruit d’une longue patience. Diane Didier épingle sur un mur 800 papillons (deux années de travail), réalisés avec des bouts de tissus et de rubans. A l’idée du temps long s’ajoute l’idée du temps circulaire, car tous les matériaux sont de récupération. Les aquarelles  » labyrinthiques  » de l’artiste pakistanaise Isbah Afzal, peintes avec un pinceau à un seul poil, témoignent d’une recherche humble et impassible. Simone Pheulpin, autre Pénélope des temps modernes, découpe de fines bandelettes dans du coton des Vosges puis les assemble pendant des mois pour créer des sculptures compactes, évoquant des coquillages ou des fossiles.

D’autres artistes travaillent plus rapidement, mais racontent le temps immobile et l’éternité, telle la série Seascapes du photographe japonais Hiroshi Sugimoto. Très contemplative aussi, l’£uvre de Lee Ufan est un bloc de pierre façonné naturellement par les pluies, le vent, les années qui passent et symbolise un temps dont la durée nous échappe.

Un rêve d’éternité. Le temps long des arts d’Orient , Fondation Boghossian, jusqu’au 26 février, www.fondationboghossian.com

BARBARA WITKOWSKA

A l’idée du temps long s’ajoute celle du temps circulaire

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