Dans la conception courante, qui est également celle de notre droit, la peine est avant tout un châtiment ou, comme le disent les juristes, un » traitement afflictif et infamant » : la peine fait souffrir celui qui est jugé coupable. Elle le désigne aussi à l’opprobre public. Il s’agit d’un mal infligé en compensation du mal causé, la contrepartie du tort que l’on a pu commettre. Au fondement de la peine se trouve l’idée que celui à qui on l’inflige l’a bien méritée. Il n’y a pas de justice qui vaille sans que l’on adhère à ces deux prémisses : la peine est légitime, car elle sanctionne une faute grave qui exige punition ; elle est juste, car cette punition est proportionnée à la gravité de la faute. Il ne vient ainsi à l’idée de personne que le fait de punir est, en tant que tel, un acte de cruauté ou de sadisme, mais chacun admet généralement que la sanction doit rester mesurée, et même réduite au strict nécessaire. En un mot, punir est ressenti comme une pénible nécessité, le crime ne pouvant, c’est évident, rester impuni. Ce préalable posé, la peine sert-elle uniquement à » faire payer » l’auteur de l’infraction ? Peut-on, dans une société civilisée, condamner quelqu’un à des mois ou à des années de prison sans se demander à quoi cela mènera le condamné ? Autrement dit, une vision arithmétique de la peine, consistant à dire que tel méfait, commis dans tel contexte, » vaut » autant, épuise-t-elle le sujet ? Ou bien la question de l’utilité de la peine ne se pose-t-elle pas d’office ? Une peine peut être juste et s’avérer inutile. A l’inverse, il peut sembler utile, dans certains cas, de punir injustement. Comment cela ?
C’est que le souci de justice est contrebalancé par des considérations d’un autre ordre, liées à l’efficacité des peines. Les questions de sécurité reviennent aussi constamment à l’avant-plan. Faut-il » mettre à l’ombre » les coupables uniquement parce qu’ils ont fauté ? Ou bien faut-il avant tout empêcher les gens dangereux de nuire ? La peine sert-elle à purger le passé ou à prévenir le futur ? Doit-elle avant tout stigmatiser le délinquant ou lui permettre de se resocialiser ? Comme la bouteille à moitié pleine et à moitié vide, on pourrait dire de la sanction pénale qu’elle a des vertus tantôt positives (amender, dissuader, réinsérer), tantôt négatives (faire souffrir, stigmatiser, mettre hors d’état de nuire). Selon qu’on envisage la peine du point de vue de celui qui la subit ou du point de vue de la société, on aboutit à des bilans très contrastés ! La peine est, donc, une chose complexe, dont les enjeux pour la société sont considérables. Tout se passe cependant comme si l’on faisait mine de s’en apercevoir seulement aujourd’hui. Comme si l’on se réveillait de 170 ans de léthargie au cours desquels la prison aurait idéalement rempli sa vocation d’être, tout à la fois, un châtiment mérité, le lieu du repentir, l’endroit propice pour faire retour sur soi et s’armer de bonnes résolutions, la place rêvée pour apprendre à vivre en citoyen responsable et, en même temps, la meilleure protection contre les méchants. Il faut bien le dire : la Belgique, comme ses voisins, a été frappée de cécité au sujet de la prison à laquelle aucune alternative n’a jamais été inventée, sinon proposée. Nos juges sont de la sorte contraints de » bricoler » les peines en mâtinant leur sévérité d’indulgence ou en tempérant leur mansuétude par un peu d’austérité. Au total de ces efforts plus ou moins laborieux pour justifier le taux de la peine, ce qui apparaît n’est rien d’autre que le malaise grandissant éprouvé par la magistrature face à l’incarcération. Car les juges ne sont pas dupes : l’emprisonnement, tel qu’il est subi actuellement, entraîne beaucoup plus d’effets pervers qu’il n’offre d’avantages. Ces formules ont fait florès : la prison est l’école du crime et une usine à récidive. Au lieu d’amender les condamnés, elle les révolte contre l’injustice de leur condition. Au lieu de les resocialiser, elle achève de les mettre au ban : ne jamais réinsérer un produit désinséré ! Le bilan est donc terrible et la seule fonction que l’incarcération remplit effectivement est d’écarter, pour un temps limité, le faible pourcentage des détenus représentant un danger pour la société. Pourtant, tous ses inconvénients majeurs n’ont pas réduit sa cote auprès du public. C’est qu’elle présente, à côté de ses tares bien réelles, un énorme attrait pour l’imaginaire, car elle correspond pour ainsi dire instinctivement à notre représentation de ce qu’est un châtiment. Et la force de cette représentation nous empêche d’apercevoir que la réalité est toute différente !
Marie-Cécile Royen
La prison est une école du crime et une usine à récidive