12 révolutions pour le patient

A quoi ressembleront les complexes hospitaliers du futur ? Des experts nous répondent.

1. Phénomène BYOD

Le personnel des hôpitaux n’échappera pas au phénomène  » Bring your own device  » (BYOD en abrégé, littéralement,  » apportez votre propre appareil « ).  » A l’avenir, le médecin entrera dans la chambre ultraconnectée du patient avec son propre ordinateur portable, sa tablette ou son smartphone, et se connectera à Internet ou au réseau wifi, indique Pierre Jacmin, directeur au Grand Hôpital de Charleroi. Il accédera à ses mails et consultera l’ensemble du dossier médical informatisé du malade, en ce compris les radios.  »

2. Portail patient

De plus en plus de grands hôpitaux du pays se dotent d’un  » portail Web  » sécurisé. Il permet au patient de se renseigner sur l’établissement, les équipes médicales, le parcours de prise en charge, les soins, les avancées de la recherche… Infographies, vidéos pédagogiques d’experts et témoignages de patients illustrent les différentes rubriques.  » Créer un portail patient est l’une de nos priorités, reconnaît le Pr Philippe Kolh, directeur stratégique au Centre hospitalier universitaire de Liège. A ce stade, on peut déjà, via Internet, prendre rendez-vous. Mais un véritable portail Web donnerait au patient un accès, sans accompagnement, à son dossier médical. Lors de l’hospitalisation, il aurait la possibilité de réserver en ligne une place de parking, de signaler ses préférences alimentaires, ou encore de répondre au questionnaire de satisfaction de l’établissement. De même, il pourrait gérer les factures d’hébergement et de soins.  »

3. Véhicules de manutention sans pilote

Certains centres hospitaliers belges s’équiperont de véhicules sans pilote guidés par laser, conçus pour la manutention. Ces  » tortues  » automatisées transportent le linge, les repas, les médicaments, les instruments stérilisés, les archives, les produits d’entretien, les déchets… Quelques hôpitaux français utilisent déjà de tels  » AGV  » (Automatic Guided Vehicle).

 » Nous avons prévu un réseau d’AGV dans notre futur établissement, qui ouvrira ses portes à l’horizon 2020, révèle Pierre Jacmin. Ce système n’est envisageable que dans une structure neuve, car il a son propre circuit de déplacement, ses ascenseurs dédiés. Les chariots ne naviguent jamais à vide : dans un sens, ils emportent le linge sale, dans l’autre, ils distribuent le linge propre, et cela vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C’est un investissement lourd, mais rentable à terme.  » L’installation ne va-t-elle pas réduire les besoins en personnel ?  » Ces véhicules sans pilote suppriment des tâches sans réelle valeur ajoutée, répond Pierre Jacmin. La diminution des effectifs sera surtout liée à la réduction du nombre de lits, imposée aux hôpitaux par les pouvoirs publics.  »

4. Robots d’accueil et de nettoyage

Les hôpitaux de demain disposeront-ils de petits robots d’accueil et d’information polyglottes, capables d’orienter ou de guider les patients ? D’autres robots seront-ils affectés au nettoyage des chambres, avec pour objectif de réduire les infections nosocomiales ? De tels projets de robotique sociale sont menés au Japon et en Corée du Sud. En France, une société a développé le robot humanoïde Nao,  » compagnon interactif  » qui répond aux questions, reconnaît ses interlocuteurs et est déjà très prisé dans le monde de l’éducation.  » Prenons garde à ne pas tomber dans l’excès technologique, prévient le Pr Philippe Kolh, du CHU de Liège. Les personnes admises à l’hôpital sont souvent en détresse. Elles souffrent, sont inquiètes. Or, elles risquent de se retrouver de plus en plus souvent face à un médecin qui passe la moitié de la consultation devant son ordinateur, sa tablette ou d’autres écrans. Il y a un équilibre à trouver. « 

5. Vidéosurveillance et géolocalisation

Assurer la sécurité des patients et la sérénité du personnel hospitalier est l’une des priorités de  » l’hôpital intelligent « . La vidéosurveillance et le contrôle d’accès sont déjà opérationnels dans certains établissements du pays. Ils permettent la gestion des flux d’entrée et de sortie, des présences, des accès aux parkings…  » Nous avons mis en place un système de géolocalisation des agents de gardiennage, dotés par l’hôpital d’un smartphone spécifique, indique Pierre Jacmin. On peut, via le wifi et une opération de triangulation, alerter le gardien situé le plus près de l’endroit où il faut intervenir.  »

De même, la gestion électronique du flux des patients devrait, à l’avenir, permettre d’organiser plus efficacement les visites, de réduire les délais d’attente et d’augmenter ainsi la qualité du service.

6. Bracelets à code-barre ou connectés

Plusieurs hôpitaux belges disposent déjà de bracelets d’identification du patient sur lesquels figurent le nom, le prénom et un code-barre.  » Au CHU de Liège, tout patient hospitalisé est muni d’un bracelet de ce genre, confirme le Pr Philippe Kolh. Le scan du code-barre vise à réduire le risque d’erreurs : si l’infirmière se trompe de tube de prélèvement ou de poche de sang, le système le signale instantanément. Pour l’avenir, l’idée est d’élargir ce système d’identification aux médicaments, avec l’indication du dosage, de la voie d’administration, de la posologie…  »

Certaines personnes vulnérables, comme les nouveau-nés, les jeunes enfants et les personnes âgées, peuvent aussi être équipés de bracelets connectés, qui donnent l’alerte en cas de sortie de l’enceinte de l’hôpital ou d’errance dans une zone non autorisée. Une alarme sonore se déclenche, la vidéosurveillance s’active, des sorties se ferment. Un projet pilote est expérimenté depuis quelques mois à l’hôpital de Courtrai : des bracelets électroniques ont été placés aux chevilles de bébés afin de les tracer et éviter ainsi toute tentative d’enlèvement.

7. Lits intelligents

De nouveaux prototypes de lits médicaux destinés aux hôpitaux aideront les patients confinés au lit à se mouvoir sans assistance. Le lit interprète les intentions du malade et l’aide à se mouvoir en conséquence. Des lits-fauteuils de revalidation  » intelligents « , dotés de capteurs, enregistreront divers paramètres en vue de prévenir les escarres, plaies qui apparaissent quand une personne demeure dans la même position pendant une longue période.

8. Nouvelle architecture

L’hôpital traditionnel apparaît comme lieu froid, angoissant, déshumanisé. Cette perception anxiogène est due à la nature du lieu, où se côtoient la maladie, la souffrance et la mort. Mais elle tient aussi à la structure de l’établissement, avec ses couloirs sans fin, son dédale de services, ses dégagements encombrés d’équipements divers, son manque de lumière naturelle, ses locaux exigus, ses fenêtres qui donnent sur de sinistres patios, son choix pauvre des matériaux, des couleurs, de la décoration, son hall d’entrée et d’accueil trop vaste.

L’hôpital de demain offrira une autre image.  » Nous avons entamé un travail préparatif de longue haleine autour de la conception du futur Grand Hôpital de Charleroi, confie Pierre Jacmin, directeur du département Technologie et Systèmes d’informations du GHdC. Notre ambition est de construire un hôpital de la nouvelle génération, inspiré d’un modèle hollandais, avec une organisation en pôles de soins, qui place le patient au centre des préoccupations.  » Cinq zones sont prévues : les bureaux et la polyclinique, la logistique, le  » hot floor  » (urgences, soins intensifs, bloc opératoire), l’hospitalisation de brève durée et celle de longue durée.

La construction de nouveaux hôpitaux intègre aussi l’objectif d’une réduction des coûts énergétiques et d’entretien. Le futur hôpital du Chirec, sur le site Delta, à Bruxelles, se veut à la pointe dans ces domaines. Le bâtiment disposera d’un système de cogénération, de récupération d’eau et d’isolation. Ici aussi, l’organisation ne se fait plus en services, mais en pôles thématiques. Le patient reçoit les soins nécessaires sans devoir parcourir des kilomètres de couloirs. La circulation des visiteurs est séparée des circuits médicaux et logistiques.

9. L’hôpital  » zéro papier  »

Des initiatives destinées à promouvoir l’hôpital numérique, ou  » hôpital 2.0  » se multiplient. La célèbre Cleveland Clinic (Ohio), classée parmi les meilleurs hôpitaux des Etats-Unis, fait figure de référence pour avoir réussi à réduire drastiquement le papier dans l’établissement et au sein de son réseau hospitalier. La clinique américaine ouvre cette année à Abu Dhabi, dans les Emirats, un luxueux hôpital entièrement numérique, construit par une filiale du groupe belge Besix. Quelques établissements européens suivent le mouvement. Toutefois, le concept d’hôpital  » zéro papier  » reste dans la plupart des cas très utopique. Les hôpitaux digitalisés fonctionneront longtemps encore en mode hybride, avec à la fois des documents numériques et imprimés.

En Belgique, dossiers médicaux, rapports, prescriptions remplissent toujours les étagères des hôpitaux. Le CHU de Liège figure néanmoins parmi les pionniers européens en matière de dématérialisation.  » Cet objectif d’un hôpital paperless nous conduit à ne plus créer de dossier médical papier pour les nouveaux patients, indique le Pr Philippe Kolh, directeur stratégique. Nous sommes passés depuis plusieurs années déjà au « DPI », le dossier patient informatisé, qui intègre au dossier médical un volet infirmier. L’imagerie médicale et les rendez-vous se retrouvent également dans le système informatique. Il nous faudra encore un an et demi environ pour terminer l’intégration de l’ensemble des prescriptions. Puis viendra le dossier « intelligent », avec « aide à la décision ». Il accompagnera le médecin, lui signalera les allergies du patient, les pathologies associées… Ce sera le crème du dossier médical.  »

Au Grand Hôpital de Charleroi, la dématérialisation des prescriptions de médicaments et d’analyses de laboratoire est en cours.  » C’est un processus compliqué, explique Pierre Jacmin, car au moins trois acteurs interviennent : le médecin prescripteur, le pharmacien qui délivre ou le laboratoire qui réalise les analyses, et l’infirmier qui administre le médicament ou fait la prise de sang.  » Par ailleurs, les hôpitaux sont confrontés à l’inflation de données numériques récoltées.  » Tous les ans, le GHdC se voit contraint de doubler sa capacité de stockage, s’exclame le directeur. Cette tendance va s’accentuer avec le décryptage du génome humain. Nous faisons l’acquisition de capacités de stockage au fur et à mesure de nos besoins, ce qui a un coût. A terme, on ne s’en sortira qu’en mutualisant le centre de traitement des données : plusieurs hôpitaux devront accepter de se partager un seul gros « datacenter » sécurisé.  »

10. Hyperconnectivité, Big Data et Internet des objets

Les hôpitaux entrent dans l’ère de l’hyperconnectivité, facilitée par la fibre optique et le réseau wifi haut débit sécurisé. Avec ce qu’on appelle le  » Big Data « , l’accumulation de données médicales devient un actif stratégique, un outil de création de valeur, qui permet aussi d’adapter les protocoles de soins. De même, l' » Internet des objets « , ou  » Web 3.0 « , n’est plus une spéculation futuriste :  » Il devient possible de faire transiter par Internet les flux de données d’appareils de monitoring de patients alités, de pacemaker ou de bracelets-patients équipés d’une puce wifi. Cela va révolutionner le parcours de soins et faciliter le suivi médical à distance lors d’hospitalisation à domicile « , prédit Philippe Naelten, patron de la société Win, qui installe des systèmes de communication intégrés dans la plupart des hôpitaux wallons (connexions Internet à très haut débit, réseau privé de données sécurisés, systèmes de téléphonie intelligents…).

 » Il y a dix ans, on rêvait de tels réseaux, mais le coût des connexions était rédhibitoire, se souvient Naelten. La clé de ce changement : les réseaux à grande capacité. Son corollaire : la sécurité des infrastructures. Le dossier médical informatisé, accessible partout, sera mis à jour en temps réel. Le corps médical pourra intervenir en tenant compte des examens effectués. L’hôpital hyperconnecté sera équipé de mobile devices, notamment des smartphones et tablettes étanches utilisables en bloc opératoire. Le patient hospitalisé, lui, bénéficiera d’un confort proche de celui de son domicile. Il sera en contact avec sa famille, ses proches, l’administration. Il pourra gérer ses commandes de menus, ses rendez-vous chez le coiffeur…  »

11. Robotique médicale

Quelques robots médicaux ont fait leur apparition dans les blocs opératoires du pays. En chirurgie digestive, cardiaque ou lors d’opérations de la prostate, ils permettent des interventions dites  » mini-invasives  » : caméra et instruments peuvent être introduits dans le corps des patients par de petites incisions, ce qui rend inutile l’ouverture de l’abdomen ou du thorax et limite ainsi le traumatisme opératoire.

En chirurgie, le système largement le plus utilisé aux Etats-Unis et en Europe est le robot américain Da Vinci, longtemps dépourvu de concurrent. Plus de 3 000 robots Da Vinci ont été vendus dans le monde, dont une trentaine en Belgique. Le système devrait connaître de nouveaux développements : Intuitive Surgical, la société qui l’a créé, a mis une quinzaine de kits à la disposition d’universités à des fins de recherche.

Parallèlement à ces systèmes polyvalents – et donc très coûteux – se développent des dispositifs plus spécifiques, dotés de technologies ciblées, pour un type précis de chirurgie : chirurgie laser du fond de la gorge, microchirurgie de l’oeil, chirurgie du cerveau guidée par l’image…  » Nous avons un projet de robot de chirurgie intracardiaque mini-invasive, signale Benoît Herman, coordonnateur du Louvain Bionics, un centre d’expertise en assistance robotisée créé l’an dernier au sein de l’UCL. Ce projet nécessitera quatre ans de mise au point et autant d’essais cliniques, financés en partie par la Région wallonne, à hauteur de 5 millions d’euros.  »

Le Louvain Bionics, qui rassemble une équipe d’ingénieurs, de médecins et autres professeurs de l’UCL, a concrétisé plusieurs prototypes et spin-off. Une des réalisations concerne le guidage de la découpe de tumeurs intra-osseuses par des instruments imprimés en 3D sur mesure (pour chaque patient). Une autre vise à faciliter la rééducation de personnes en partie paralysées suite à un accident vasculaire cérébral (AVC).

Ce robot de réhabilitation neuro-motrice est actuellement testé aux Cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles, et dans quelques autres centres. Le patient est assis derrière une table munie d’un grand écran et d’un joystick. L’appareil déplace le bras pour l’aider à retrouver de la mobilité. Le Pr Thierry Lejeune, du service de médecine physique de l’UCL, explique :  » Avec le robot, le bras fait plus de mouvements que lors d’une séance avec un thérapeute. En outre, le système donne, à chaque instant, un feedback au patient et au personnel soignant. Il livre aussi, au terme de l’exercice, un résultat, un score à améliorer, un geste à corriger… Le côté ludique favorise la motivation au cours d’un processus de rééducation souvent très long.  »

Bon nombre d’outils créés par des ingénieurs ne répondent pas aux besoins des patients et de thérapeutes, constate le Dr Lejeune.  » D’où un taux d’abandon très élevé. Autre handicap : le coût des robots, plusieurs centaines de milliers d’euros. Comment financer ces nouvelles technologies ? D’autant que le système de santé belge prend en compte le temps de prise en charge du patient, pas le type de technique utilisée. En clair, le remboursement est le même, que le patient soit traité manuellement par un kiné ou qu’il interagisse avec un robot.  »

12. L’hôpital à la maison

La tendance est à la réduction du temps d’hospitalisation et au suivi médical à domicile, encouragés par les pouvoirs publics, pour raisons d’économies. Depuis 2002, les hôpitaux ne sont plus financés sur la base de la durée réelle du séjour. Leurs frais liés à une hospitalisation sont remboursés en fonction de la durée moyenne de séjour national pour une pathologie donnée et un indice de sévérité.  » Résultat, chaque année, la durée moyenne des séjours en hôpital diminue, suivant l’exemple américain, constate Philippe Kolh. Mais attention à ne pas renvoyer le malade trop vite chez lui !  »

Le retour du patient à domicile s’accompagne d’un suivi continu, grâce à des appareils mobiles et des solutions  » cloud  » (stockage de données). Avantages : réduction des coûts, du risque d’infection, ou encore du stress, le patient restant dans un environnement familier. La surveillance médicale à distance – température, pression artérielle, pulsations cardiaques… – se développe surtout pour les malades chroniques : diabétiques, insuffisants pulmonaires, cardiaques, rénaux…  » Dans leurs cas, les complications et réhospitalisations sont fréquentes, avertit le Pr Kolh. Mais on ne peut se contenter d’équiper le domicile du malade. Il convient aussi de mettre en place les structures de surveillance. Il ne suffit donc pas que les données soient envoyées sur le serveur de l’hôpital, il faut aussi du personnel pour les lire, les décrypter. Les pouvoirs publics devraient dès lors adapter leur mécanisme de financement.  »

Tout ce qui peut être fait hors de l’hôpital se fera à domicile ou sera délégué aux institutions de revalidation, aux maisons de retraite et de soins.  » Reste à assurer l’échange d’informations entre l’hôpital et l’extérieur, alerte Pierre Jacmin. Comment va-t-on garantir des connexions sécurisées quand l’hospitalisation se fera en dehors de l’hôpital ? L’enjeu est de taille.  »

O. R.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire